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Dossier Serre : des serres connectées et plus efficientes

L’amélioration des techniques et des connaissances, le développement du numérique et les recherches en matière d’énergies conduisent à des serres plus efficientes. Des avancées majeures sont possibles.

« Le pilotage d’une serre de 2 ha se fait aujourd’hui à partir de quelques capteurs climatiques dispersés dans la serre, constate Vincent Truffault, physiologiste au CTIFL. On suppose que le climat y est homogène. Or, ce n’est pas le cas. Et comme on adopte une seule conduite climatique pour les 2 ha, toutes les plantes ne sont pas à 100 % de leur capacité. Il en est de même pour les capteurs liés à l’irrigation. » De nouveaux capteurs enregistrant les réactions des plantes (température de feuille, de fruit, du méristème, flux de sève, diamètre de tige…) ont été mis au point. « Mais ces capteurs coûtent très cher et sont difficiles à installer car non connectés. » Les capteurs climatiques étant devenus moins coûteux grâce au numérique et étant désormais connectés, l’idée a été d’en installer beaucoup plus, à différents endroits et hauteurs, et d’utiliser la modélisation pour simuler l’activité des plantes. « En multipliant le nombre de capteurs de température, rayonnement, CO2, hygrométrie… on peut simuler cette activité en temps réel pour chaque zone de la serre, ce qui permet d’adapter la conduite et d’amener toutes les plantes à 100 % de leur capacité. »

 

 

Un projet visant à mettre au point des outils d’aide à la décision en culture de tomate sous serre, Magestan, a été lancé en 2016 par le CTIFL et la société CybeleTech, qui conçoit des outils numériques d’analyse des données et de prédiction. « L’objectif est d’avoir un outil qui analyse toutes les données climatiques et d’irrigation, tous les leviers possibles et tous les postes de charge pour en déduire quel élément est limitant et quel levier peut être le plus efficace techniquement et économiquement, explique Marion Carrier, responsable R & D chez CybeleTech. La prise en compte de tous ces paramètres est compliquée pour l’être humain. Le numérique facilite leur analyse. » L’idée ensuite est de transférer les consignes à l’automate de serre en demandant une validation au producteur ou de faire un retour par web au producteur, qui modifie alors les consignes de l’ordinateur climatique. Un premier outil d’aide à la décision en tomate, facilement transférable en concombre, poivron, salade, est actuellement en test au CTIFL et chez un producteur. Les gains espérés sont une meilleure visibilité (volumes, qualité…) et un gain de 5 à 10 % de rendement.

Verre diffus et éclairage

Une autre piste pour améliorer l’efficience des serres est de mieux valoriser la lumière. Des progrès ont été faits dans ce sens au niveau des formes des serres et des matériaux. Après l’adoption des films plastiques diffusants, le verre diffus se développe peu à peu. « Le verre diffus permet d’apporter de la lumière en bas de la plante, souligne Vincent Truffault. Il réduit aussi les brûlures de tête chez le concombre, très sensible au niveau de son apex. Au final, le rendement augmente de 10 % en concombre et de 2 % en tomate. » Un autre axe est l’éclairage des serres, qui permet de produire toute l’année la même qualité de fruit et qui s’inscrit dans le mix gaz/électricité qui sera nécessaire à terme pour valoriser l’énergie des cogénérations. Les consommateurs recherchant aujourd’hui des produits français, l’éclairage intéresse des producteurs, même si le créneau devrait rester limité aux produits premium. « L’éclairage se développe grâce aux Leds, qui consomment 50 % d’énergie de moins que les lampes à vapeur de sodium, durent très longtemps, ne chauffent pas, ce qui permet de les mettre en végétation, et pour lesquels on peut choisir les longueurs d’onde les plus efficaces pour la photosynthèse », constate Raphaël Tisiot, du CTIFL. Plusieurs équipements sont désormais disponibles pour l’éclairage en haut de la serre ou dans la culture : en barres rigides (Philips), en guirlandes, plus faciles à installer et donc moins chères (Tootem) ou encore à intensité et spectre variables (VGD Led). L’espèce la plus étudiée et où il y a le plus de surfaces éclairées en production (20 ha) est la tomate. « Dans nos essais avec quatre variétés de tomate éclairées entre les deux bras, l’éclairage permet dans tous les cas d’augmenter le rendement, sans impact sur la qualité mais avec des différences entre variétés », indique Raphaël Tisiot. Les essais vont se poursuivre pour notamment adapter au mieux le spectre lumineux aux différentes variétés.

Tomate, concombre, fraise

Environ 5 ha de serre de concombre sont également éclairés en France et des essais sont menés pour adapter la technique à cette espèce. « L’éclairage actuel basé sur 80 % de rouge et 20 % de bleu a été développé pour la tomate, souligne Vincent Truffault. Or, le concombre ne réagit pas tout à fait comme la tomate. Nous devons adapter les longueurs d’onde utilisées en y mettant sans doute plus de bleu et du rouge lointain. Les recherches devront aussi porter sur l’adaptation de la conduite climatique, indispensable quand on éclaire. » Des essais sont aussi menés sur l’éclairage de la fraise en culture chauffée, les leds étant disposés 30 cm au-dessus des plantes. « Les premiers résultats montrent que la valorisation de l’éclairage dépend beaucoup de la variété, rapporte Jean-Philippe Bosc, du CTIFL. Les variétés testées en 2018 (Gariguette, Ciflorette, Dream et Cléry) gagnent en productivité au premier jet, mais la remontée est diminuée chez Gariguette et Cléry. Un léger effet positif sur l’indice réfractométrique des fruits est parfois observé. L’optimisation de l’éclairage reste toutefois impérative pour réduire le coût de la consommation électrique. »

Vers une gestion intégrée de la nutrition

Une avancée au niveau de la nutrition des cultures sous serre pourrait être apportée avec la mise au point par le CTIFL d’un biogénérateur permettant d’établir une écologie microbienne dirigée. « Des bactéries bénéfiques pour les plantes sont installées et se développent dans une colonne filtrante dont on maîtrise les conditions et à travers laquelle on fait passer le drainage, explique Serge Le Quillec, du CTIFL. Ces bactéries vont ainsi coloniser la rhizosphère. Il peut s’agir de bactéries qui stimulent les défenses naturelles des plantes ou encore qui solubilisent le phosphore et l’azote, facilitant leur assimilation par les plantes. » Les premiers essais avec un biogénérateur devraient commencer au CTIFL de Carquefou courant 2019.

Avis de spécialiste

Silke Hemming, chercheuse à l’Université de Wageningen (Pays-Bas)

"L’intelligence artificielle peut aider à prendre les bonnes décisions"

« Les besoins en alimentation augmentent dans le monde et la serre est une bonne solution pour produire avec moins d’espace, d’eau, de pesticides. Par ailleurs, l’intelligence artificielle est en plein développement. A l’université de recherche de Wageningen, nous nous sommes demandés si l’on ne pouvait pas combiner les données que l’on a déjà sur une serre avec l’intelligence artificielle. Un challenge international sponsorisé par Tencent et David Wallerstein (CXO Tencent) a été organisé. L’objectif était de mener dans un compartiment de 96 m² une culture de concombre d’août à décembre 2018, en la gérant à distance grâce à l’intelligence artificielle. Le résultat dépendait du bénéfice net réalisé, de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de la durabilité. Cinq équipes composées d’experts en intelligence artificielle et en horticulture ont participé au challenge, avec en référence une équipe de producteurs néerlandais. C’est l’équipe Sonoma composée d’experts de Microsoft Recherche et d’étudiants d’une université danoise et hollandaise qui a gagné. Les producteurs ont été 3es. Mais toutes les équipes étaient proches. Cela ne signifie pas que toutes les serres peuvent être entièrement gérées par des ordinateurs. D’une part, l’ampleur du défi était limitée. En outre, pour de nombreuses décisions et travaux, par exemple le travail des cultures et les contrôles des parasites et maladies, les personnes sur place sont indispensables. Mais cela montre que, même quand les technologies sont moins avancées, l’intelligence artificielle peut aider à prendre les bonnes décisions. Le challenge sera renouvelé en 2019. »

Vers un mix énergétique

La question de l’énergie est centrale pour la production sous serre. La fin des contrats actuels de rachat de l’électricité des cogénérations est un thème essentiel.

« Beaucoup de choses ont déjà été faites sur l’isolation de la serre pour économiser l’énergie, constate Ariane Grisey, du CTIFL. La serre semi-fermée et les systèmes de déshumidification active permettent aussi une meilleure gestion de l’énergie. Le principal enjeu aujourd’hui en matière d’énergie est d’assurer l’après contrat C13. » Jusqu’à présent, les serristes avaient une bonne visibilité sur leurs coûts énergétiques grâce à la cogénération. Mais dès 2025, les premiers contrats C13 arriveront à terme. « Il y aura d’autres possibilités de vendre l’électricité et sans doute d’autres contrats, mais moins favorables. De plus, du fait des différentes taxes, le coût du gaz naturel va augmenter. La cogénération continuera sans doute à être utilisée, mais elle contribuera moins au chauffage des serres. L’avenir passera par un mix énergétique. » Actuellement, 77 % des serres en France sont chauffées au gaz et plus de la moitié du parc est en cogénération. 15 % sont chauffées au bois, 6 % à partir d’énergie fatale. Cette situation devrait évoluer. Plusieurs pistes sont envisagées pour produire de la chaleur et/ou de l’électricité. Le solaire thermique, qui utilise l’énergie thermique du soleil pour échauffer un liquide ou un gaz, qui réchauffent ensuite l’eau servant à chauffer la serre, est une piste intéressante, notamment pour les nouvelles serres pouvant valoriser l’eau basse température. Des solutions de solaire thermique passif existent aussi pour les tunnels. « La principale difficulté avec le solaire thermique est le déphasage entre la production de chaleur, élevée l’été, et les besoins des serres, importants surtout l’hiver, relève Ariane Grisey. Le dimensionnement des installations n’est pas simple. Il y a aussi un besoin en surface important. »

La piste du chauffage infrarouge

Une autre piste est la méthanisation. « La difficulté réside dans la gestion du digestat, qui implique des surfaces d’épandage. » D’autres pistes sont étudiées comme la pyrogazéification du bois, la récupération d’énergie fatale, la géothermie, les panneaux photovoltaïques installés sur les serres ou les hangars, des films photovoltaïques souples à coller sur les serres, qui restent toutefois très coûteux… Le CTIFL, en partenariat avec Eiffage et Verelec, étudie aussi les potentialités d’un chauffage infrarouge (technologie plasma Verelec) en culture de tomate. Les radiateurs sont positionnés dans la végétation en remplacement d’un double réseau Forcas. « A la différence du Forcas, qui chauffe surtout par convection, le rayonnement infrarouge permet un chauffage par radiation et entraîne une montée en température des masses, explique Serge Le Quillec. La température moyenne du fruit augmente de 1 à 2°C, ce qui permet théoriquement de raccourcir le délai floraison-récolte de la tomate et d’augmenter le rendement. Enfin, l’activation de la maturation des fruits devrait limiter le problème du 6e fruit vert sur les grappes régulées à 6 fruits. Cette technologie, qui pourrait offrir des potentialités intéressantes, s’inscrit de plus dans le mix gaz/électricité nécessaire à la valorisation des cogénérations quand les contrats actuels seront arrivés à terme. »

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