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Les magasins de producteurs face à la grande distribution

Créés il y a une quarantaine d’années, les magasins de producteurs ont désormais le vent en poupe. Et pourtant, des inquiétudes montent… Des initiatives portées par la grande distribution viennent bousculer leur réseau.

Clairement identifié comme un produit d’appel, le rayon fruits et légumes est stratégique pour un magasin de producteurs. L’offre d’une large gamme de produits saisonniers tout au long de l’année constitue un atout pour le magasin.
© Terre d'envies

Il faut remonter en 1978 pour trouver le premier magasin de producteurs en France, Uniferme. C’est dans la région lyonnaise en bord de route que sept producteurs de fruits et légumes ont décidé de se réunir pour vendre leurs productions. « Notre objectif visait à valoriser au juste prix nos productions mal rémunérées en circuits longs mais aussi à créer du lien avec les consommateurs de nos produits », explique Gérard Lhopital, co-fondateur d’Uniferme (Mornant, 69). Face au succès de leur initiative, une boutique a vu le jour assez rapidement au sein de laquelle une gamme élargie à d’autres productions a été proposée. « Cela a permis à certains producteurs de développer leurs surfaces d’exploitation et, à d’autres, de nous rejoindre », poursuit-il. Après une décennie compliquée, la boutique enregistre des croissances spectaculaires à deux chiffres suite notamment aux crises sanitaires successives dont celle de la vache folle. Jusqu’à la fin des années 2010, la boutique gère la pénurie. Depuis, elle regroupe 18 producteurs pour faire face à la demande. Plus globalement en France, ces deux dernières décennies ont participé au développement de la vente en circuits courts, de plus en plus plébiscitée par les consommateurs. Actuellement à l’échelle nationale, environ 67 000 paysans commercialisent tout ou partie de leurs productions en circuits courts et près de 10 % d’entre eux ont fait le choix de créer des magasins de producteurs ou de s’y impliquer (Agreste RA 2010). Un phénomène qui s’accélère depuis une dizaine d’années.

Un choix éthique

« Lorsqu’un producteur fait le choix d’adhérer à un magasin de producteurs, c’est pour affirmer ses valeurs militantes. Ensemble avec nos consommateurs, nous militons pour un mode d’alimentation durable », indique Hervé Parain, président du réseau Boutiques Paysannes d’Occitanie. Mais, c’est aussi pour renforcer les liens entre producteurs et dégager des revenus supplémentaires via la mutualisation des ressources et du temps consacré à la commercialisation que se sont développés ces magasins. « Un magasin de producteurs, c’est avant tout l’aboutissement d’une dynamique collective engageante au sein de laquelle des producteurs se retrouvent autour de valeurs communes », poursuit-il. Ce mode de commercialisation exige un investissement humain et financier important mais également des connaissances et des capacités de gestion nouvelles. Les conditions de son succès et son impact sur les exploitations et les territoires restent en partie à préciser. « Si nous nous retrouvons tous autour d’une même philosophie, il était important de travailler ensemble pour trouver des solutions en vue de développer les magasins et pérenniser leur activité dans un contexte où la concurrence se durcit. Il y a une vraie attente et un réel besoin d’échanger entre les magasins de producteurs déjà existants », explique Franck Deygas, président du réseau Terre d’envies. Ce que nombre d’entre eux ont fait en participant au projet national Magpro.

Créer des références technico-économiques

Développé sur la période 2014-2018, ce projet national et multi-partenarial Casdar Magpro a réuni 18 partenaires du développement agricole et rural, de l’enseignement et de la recherche. L’objectif de Magpro est d’explorer ce mode de commercialisation en plein essor en vue de produire des références technico-économiques, financières et organisationnelles utiles au développement des magasins de producteurs. Les 5 et 6 février à Anduze (30), à l’occasion d’une rencontre des magasins de producteurs du grand Sud organisée par les réseaux Trame, Boutiques Paysanne d’Occitanie et Terre d’envies, les résultats de l’étude ont été présentés. Une douzaine de fiches abordant des problématiques aussi diverses que l’approvisionnement d’un rayon fruits et légumes, la gestion d’un fichier clients, la construction des prix, la gestion des mouvements d’associés… sont disponibles et téléchargeables sur le site www.magasindeproducteurs.org. « Ce projet a permis à des partenaires de travailler ensemble, à des magasins de producteurs déjà fédérés en réseau ou individuels de se retrouver en vue d’échanger et porter un projet commun. L’opportunité économique n'est pas suffisante pour la réussite et la pérennisation de notre réseau, nous allons devoir aller plus loin dans sa structuration », indique Franck Deygas, président du réseau Terre d’envies.

Un objectif économique

Outre un militantisme assumé visant à défendre un modèle alimentaire alternatif et la volonté pour certains de sortir de l’isolement, les producteurs adhérents à un magasin mettent en avant deux éléments clés : la mutualisation et la maîtrise de la commercialisation de leurs produits. « En portant ce projet de création d’un magasin de producteurs en lien avec un maraîcher et un vigneron sur le domaine où nous sommes tous les trois installés, nous voulons nous doter d’un circuit de commercialisation supplémentaire sans que ce soit trop chronophage pour nous. La mutualisation de l’investissement constitue également un point clé de la faisabilité de notre projet », explique Maximilien Molle, un jeune paysan boulanger installé en 2016 à Assas (34). De son côté, Franck Deygas, co-fondateur du magasin la Main paysanne créée en 1997 à Annonay (07), réalise 60 % de ses ventes via la boutique. Un choix de commercialisation qui a porté ses fruits. « De 55 chèvres au moment de mon installation, mon cheptel en compte trois fois plus. Ce développement est étroitement lié à celui des ventes du magasin qui, aujourd’hui, affiche un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros pour 17 associés », conclut-il.

« S’engager dans un magasin de producteurs, c’est d’abord accepter de vivre une aventure humaine." Florian Pascal, président du réseau des magasins de producteurs de PACA

A savoir

En pratique

Des agriculteurs locaux peuvent se réunir dans un magasin de producteurs afin de commercialiser en circuits courts les produits bruts ou transformés de leurs exploitations. Ces produits devant représenter en valeur au moins 70 % du volume des ventes total de ce point de vente (selon la loi sur la consommation 2014).
Un point de vente collectif, forme particulière de magasins de producteurs, introduit l’obligation pour les producteurs d’être présents à la vente. A cette condition, les producteurs bénéficient du cadre de la remise directe.

Magpro : un enjeu de développement local

Dans le cadre du projet Mag, une étude réalisée sous la direction de l’Inra-UMR Innovation a permis d’établir que pour 100 euros dépensés dans un magasin de producteurs, 98 euros profitent à des acteurs du territoire qu’ils soient producteurs, salariés du magasin, fournisseurs… Sur ces 98 €, 62 € sont à nouveau dépensés sur le territoire dans un rayon de 80 km ; ce qui se traduit par un coefficient multiplicateur local de 2,6. « Ce chiffre atteste d’un très bon résultat. En effet, le seuil maximal, situé à 3, indiquerait que l’ensemble de l’apport monétaire initial soit dépensé localement », analyse Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Inra et spécialiste des circuits courts. Ce même coefficient appliqué à un supermarché s’établit à 1,05. « Dans un contexte où règne une concurrence effroyable entre différents types de magasins dits de proximité, ces résultats vont permettre d’y voir plus clair », complète la chercheuse. Ils devraient également permettre aux producteurs de mieux défendre leurs projets auprès des collectivités territoriales.

Choisir le statut juridique de son magasin

La création d’un magasin de producteurs nécessite la mise en place d’une entité juridique distincte de celle des producteurs membres du type Association loi 1901, groupement d’intérêt économique, société à responsabilité limitée, société par actions simplifiées, société coopérative agricole ou société coopérative d’intérêt collectif. Cette structuration est incontournable pour que le magasin puisse réaliser un certain nombre d’actes juridiques tels que la location ou l’acquisition d’un bien immobilier, la réalisation d’investissements, la conclusion de contrats de mandat de vente… Acte fondateur pour le groupe, le dépôt des statuts constitue un document de référence précisant le cadre de fonctionnement. « Avant d’en venir à cette étape, il est primordial de réfléchir à plusieurs points essentiels en interne. Pour cela, il est vivement conseillé de se rapprocher d’un service juridique compétent sur ce sujet très spécifique », avertit Claude Sourice, directeur de l’AGC CEGAR.

Vers une marque nationale de référence

Ne pas laisser dévoyer un concept qu’ils ont lancé il y a 40 ans. C’est le défi que doivent relever les producteurs face à des enseignes de la grande distribution sans scrupule.

La commercialisation en circuits courts ne cesse de capter de nouveaux consommateurs. Selon une récente étude conduite dans le cadre du Codia, 42 % des consommateurs ont recours au moins une fois par mois aux circuits courts pour leurs achats alimentaires. Ils y consacrent 25 % de leur budget alimentaire. Ils sont majoritairement issus des classes les plus aisées et les plus diplômées, mais une frange toujours plus étendue de la population est concernée. Evaluée aujourd’hui à 3 % des dépenses alimentaires globales, la demande en produits locaux affiche un potentiel estimé à 10 %. Une opportunité que les enseignes de la grande distribution ont exploitée avec une très grande réactivité en développant des initiatives qui viennent bousculer les magasins de producteurs. Sur le terrain, des tassements de chiffre d’affaires sont constatés dès lors qu’un magasin dit de "proximité" s’implante. « S’il est difficile d’affirmer que nous sommes menacés, notre rôle est d’anticiper cette concurrence. Ces nouveaux magasins capitalisent sur nos valeurs et nos outils », indique Hervé Parain, président du réseau Boutiques Paysannes d’Occitanie. Unanimement, les producteurs constatent une pression concurrentielle croissante.

Agir vite et efficacement

« Il y a urgence à nous rassembler en vue de défendre nos valeurs. Nous n’avons plus d’autres choix que de porter un message clair et compréhensible jusqu’aux consommateurs », complète Franck Deygas, président du réseau Terre d’envies. La visibilité des magasins de producteurs est en jeu. Avec 480 enseignes, le réseau Biocoop affiche un chiffre d’affaires de 950 M€. L’enseigne Grand Frais et ses 130 magasins atteignent 1 000 M€, Naturéo les 92 M€. Les trois réseaux du Grand Sud, Boutiques Paysannes Occitanie, Terre d’Envies et le réseau des magasins de producteurs de PACA comptent 62 magasins pour un chiffre d’affaires de 46 M€. Pour acquérir une bonne visibilité et parvenir à défendre leur concept qui prône une agriculture responsable, de proximité et un juste revenu du travail, les producteurs ont décidé de créer une marque nationale de référence. « Son objectif vise à fédérer un maximum de magasins de producteurs sur les 300 actuellement recensés en France afin d’apporter une vraie visibilité à notre réseau ainsi qu’une véritable force de frappe », précise Franck Deygas. Dès 2024, ils tablent sur une centaine de magasins fédérés autour de la marque et un chiffre d’affaires supérieur à 200 M€.

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