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« Les bonnes volontés ne sont plus suffisantes »

L'ancien ministre délégué à l'Agroalimentaire, député de la Mayenne, défend le projet de loi contre le gaspillage alimentaire devant être débattu à l'Assemblée nationale avant fin 2015. A ses yeux, seules des règles communes à tous permettront de significativement baisser le gâchis alimentaire dans notre pays.

Guillaume Garot, ancien ministre délégué à l'Agroalimentaire, a remis au printemps dernier un rapport au Premier ministre sur les moyens de lutter contre le gaspillage alimentaire. Par la suite, la loi de transition énergétique, votée en août, a vu son article sur l'obligation faite à la GMS de faire don de ses invendus invalidé pour des raisons techniques par le Conseil constitutionnel. Il avait provoqué une bronca de la GMS. On pourrait aussi ajouter un projet de loi déposé mi-septembre reprenant cet article, la première Journée du don alimentaire et la réunion du Comité de suivi du Pacte contre le gaspillage le 18 octobre. Pour fld, Guillaume Garot fait le point sur une année 2015 particulièrement chargée.

FLD : Un nouveau projet de loi anti-gaspillage alimentaire a été déposé le 15 septembre. Mais légiférer est-il vraiment nécessaire sur un sujet qui fait l'unanimité chez les Français ?

GUILLAUME GAROT : Oui, nous avons besoin de cette loi qui passera à l'Assemblée nationale avant la fin de l'année. Et pour une raison très simple : les bonnes volontés ne suffisent plus. La mobilisation, c'est magnifique mais ce n'est plus suffisant. Je travaille sur le sujet depuis plusieurs années. J'ai incité les fédérations d'acteurs à s'engager en juin 2013 à travers le Pacte contre le gaspillage alimentaire. Malgré la bonne volonté des plus motivés, on voit que le gaspillage est malheureusement toujours une réalité et que si on veut être efficace, il faut des règles pour tout le monde. Cela n'enlève rien à ceux qui travaillent et développent des actions concrètes et même cela les renforce.

Surtout, la loi obligera ceux qui ne font rien à changer de pratiques. Car il y en a encore certains qui voudraient passer à côté. La loi fixe un cadre, une sécurité juridique, des objectifs et elle énonce des règles. Et qui dit règles, dit contrôles et sanctions. Je le redis, ce n'est pas une contrainte supplémentaire pour ceux qui font le travail. La loi est simplement là pour entraîner tout le monde. En ce sens elle est nécessaire. Soyons réalistes, la loi ne réglera néanmoins pas toutes les difficultés.

FLD : A ce propos, qu'est-ce qui pêche dans le dispositif de lutte contre le gaspillage alimentaire ?

G. G. : La vraie difficulté, c'est absorber tous ces gisements de fruits et légumes déclassés et souvent jetés malgré l'intervention des associations de l'économie solidaire. Lutter contre le gaspillage est un des modèles de l'économie sociale et solidaire avec ses enjeux écologiques, économiques et sociaux. Il faut pouvoir le généraliser avec des crédits publics qui s'avèrent insuffisants ou du moins pas à la hauteur de ce qu'attendent les acteurs de cette économie.

FLD : On remarque tout de même une certaine inquiétude, surtout juridique, des parties prenantes autour du don. Comment l'expliquez-vous ?

« Malgré la bonne volonté des plus motivés, on voit que le gaspillage est malheureusement toujours une réalité. »

G. G. : D'un côté, les enseignes qui ne sont pas encore engagées se demandent comment faire. De l'autre, les associations s'inquiètent du manque de ressources pour faire face à la réception de tous les dons. Il faut un cadre entre celui qui donne et celui qui reçoit. La convention-type entre la GMS et les associations, décidée lors du dernier Comité de suivi, est justement là pour sécuriser le don et énoncer de façon claire et précise les conditions matérielles de celui-ci. Je veux rappeler ici aussi que la défiscalisation est un dispositif gagnant pour la grande distribution. Mais, en même temps, les associations nous disent : « Nous ne sommes pas le centre de tri des invendus de la GMS ». Il faut être vigilant pour que le don soit de qualité.

« Il faut pouvoir agir préventivement sur tous les maillons de la filière, producteurs et distributeurs, mais aussi consommateurs ».

FLD : Comment voyez-vous aujourd'hui la perception du gâchis alimentaire en France ?

G. G. : On s'aperçoit que les gens commencent à réduire la notion de lutte contre le gaspillage alimentaire seulement au don effectué par la grande distribution de leurs fruits et légumes déclassés. Mais, il ne s'agit que d'une partie du problème et donc seulement une partie de la solution. Il y a ici un travail d'éducation considérable à mettre en œuvre. Parce qu'il faut pouvoir agir préventivement sur tous les maillons de la filière, producteurs et distributeurs, mais aussi consommateurs.

Pour être efficace, il faut agir large. Ainsi, le Comité de suivi du Pacte a décidé d'initier une campagne de communication sur les réseaux sociaux auprès des publics cibles, en particulier les jeunes. Une initiative similaire avait été menée en 2013 avec succès.

FLD : Au-delà de la sensibilisation, peut-on aller plus loin ?

G. G. : Pour cela, il faut développer le thème de l'alimentation dans l'éducation, en mettant en œuvre des actions concrètes, et j'insiste sur l'aspect concret. Nous disposons du socle juridique pour cela avec la loi d'orientation agricole. Les administrations – Agriculture, Education nationale, Ecologie – doivent être mobilisées pour mettre au point des modules d'éducation à dispenser aux élèves. Alors, peut-être pas pendant les cours mais plutôt pendant la pause méridienne qui doit aussi être un moment d'éducation. On peut aussi développer une éducation au gâchis alimentaire, et c'est mon vœu, dans le cadre de l'aménagement des rythmes scolaires. On pourrait ainsi développer des modules à l'inttention des collectivités locales.

FLD : Vous venez d'évoquer les collectivités locales. Pensez-vous qu'elles doivent jouer un rôle ?

G. G : J'en suis convaincu. Pour être efficace dans ce dossier, il faut des règles nationales, et la prochaine loi y pourvoira, et des structures comme le Comité de suivi du Pacte. Mais, rien de durable ne pourra être accompli sans une mobilisation locale. Et celle-ci doit se faire autour des collectivités territoriales. Alors, il n'y a pas de norme en la matière : il peut s'agir de la commune, des communautés, des départements, voire, pourquoi pas, de la Région. L'important demeure de fédérer l'ensemble des parties prenantes, de les entraîner autour de projets locaux associant la diversité des acteurs de terrain : cantines scolaires – je tiens ici à souligner le travail exceptionnel de la restauration collective –, la grande distribution au niveau local, les associations liées au domaine solidaire, les marchés de gros et, évidemment, les producteurs. La liste n'est pas close. Il faut une volonté politique pour arriver à bien travailler ensemble. Et je porterai ce message au prochain Congrès des maires, du 17 et 19 novembre.

FLD : Cet été, la grande distribution a vivement réagi lorsqu'elle s'est senti montrer du doigt suite au vote de la loi de transition énergétique. Comprenez-vous cette réaction ?

G. G. : Tout d'abord, je veux saluer clairement les efforts de tous ceux – grande distribution, marchés de gros, entreprises – qui se sont engagés avec cœur contre le gaspillage alimentaire avec des initiatives concrètes et innovantes. Ces démarches méritent d'être reconnues, soutenues. Je comprends leur réaction. Mais, en même temps, des engagements ont été pris par les grandes surfaces. Sur le terrain, cela n'a pas toujours été suivi des faits. Force est de le constater.

En tout cas, ces conventions ainsi que les réunions qui se sont déroulées autour de Ségolène Royal, très impliquée dans le sujet, ont permis de sensibiliser plus largement l'opinion publique, les consommateurs.

FLD : En Angleterre, une députée travailliste présente un texte de loi contre le gaspillage alimentaire ouvertement inspiré de ce qui est fait ici. Et le distributeur Sainsbury's a annoncé investir 13 M€ auprès d'une ville pour lutter contre les pertes*. Appréciez-vous ainsi que le sujet fasse florès ?

G. G. : Sur le premier point, je vous dirais : tant mieux, mille fois tant mieux si des démarches législatives contre le gaspillage alimentaire se développent dans d'autres pays. Cela montre que la France est en pointe dans ce combat. Aujourd'hui, en Europe et dans le monde, la France est regardée comme un pays en avance sur le sujet. Lors de la remise de mon rapport et pendant la discussion parlementaire sur la loi de transition énergétique, j'avais d'ailleurs été contacté par des élus européens.

Sur l'autre point, tant mieux aussi quand l'action publique et l'initiative privée conjuguent leurs actions. C'est efficace. On peut souhaiter qu'en France des initiatives similaires émergent, même si en la matière notre pays n'en manque pas. C'est une nouvelle politique qui émerge où le déchet, la perte, le solde deviennent une richesse comme le montrent les actions d'Andes ou des “Gueules cassées”.

FLD : A propos des “Gueules cassées”, vendues moins cher côte à côte avec les autres fruits et légumes, devrait-on s'inquiéter d'un impact négatif sur le prix ?

G. G. : L'initiative “Gueules cassées” est utile parce qu'elle a vertu pédagogique auprès des consommateurs. Elle offre un regard diffèrent sur les fruits et légumes dans le rayon, le respect du produit et du travail du producteur. Après, il peut y avoir, je le comprends aussi, des inquiétudes chez les producteurs disant qu'il ne faut pas venir casser l'équilibre économique de la filière avec des produits déclassés, entraînant une pression à la baisse sur les prix.

Je comprends mais, aujourd'hui, il s'agit de gisements limités et je n'ai pas constaté de fluctuations de prix dues à cette initiative. Il s'agit d'une autre façon de considérer un produit. Au final, je suis convaincu que ce sera un mieux pour toute la filière.

FLD : Pensez-vous que l'Europe en fait assez sur le gaspillage alimentaire ?

« Les démarches de la grande distribution, des marchés de gros, des entreprises méritent d'être reconnues, soutenues. Mais, en même temps, des engagements ont été pris par les grandes surfaces. Sur le terrain, cela n'a pas toujours été suivi des faits. Force est de le constater. »

G. G. : Je pense qu'il faut être beaucoup plus volontariste au plan européen. Tant mieux si l'Europe bouge, mais il va falloir accélérer la cadence. Le défi alimentaire, c'est l'horizon 2050, autant dire demain. Il faudrait une politique européenne sur ce thème qui vienne accompagner celles développées par les Etats membres. Aussi, favoriser les échanges d'expériences et, pourquoi pas, se fixer des objectifs au niveau de notre Union. En 2012, le Parlement européen avait fixé de diviser de moitié nos pertes alimentaires en 2025. C'est un bel objectif. Pour y parvenir, hâtons-nous. Il n'y a pas une minute à perdre.

* Lire aussi page 15.

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