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La Chine s’éveille à la qualité

L’agrandissement des exploitations est un enjeu majeur pour moderniser l’agriculture chinoise. Avec les associations de producteurs, la distribution a trouvé un interlocuteur pour déployer ses standards de qualité.

La sécurité sanitaire est au coeur de nos programmes d’achats directs et de nos filières qualité

PATRICK BONNIFAIT, vice président de Carrefour Chine

La pomme de Yantai (variété Red fuji) est tellement connue en Chine que beaucoup imaginent qu’il s’agit d’une culture ancestrale, alors qu’elle a été introduite par des missionnaires américains au cours de la seconde moitié du XIXème siècle. Cette notoriété, combinée à des structures de production modernes, en faisait un candidat idéal pour les filières qualité que Carrefour a lancées commercialement en Chine en 2014. Pour l’heure, six fruits ont été labellisés (un boeuf australien est également présent dans les rayons). Le bilan est donc modeste, 20 ans après l’ouverture du premier magasin du distributeur dans l’Empire du Milieu, mais les défis sont nombreux, de la sécurité sanitaire à la logistique en passant par la taille. « Nous cherchons des produits qui parlent aux consommateurs partout en Chine car nous les vendons dans nos 240 points de vente. Il faut aussi des producteurs capables d’approvisionner l’ensemble de ce réseau en respectant un cahier des charges précis », souligne Patrick Bonnifait, vice-président de Carrefour Chine.

Les trois voies de la modernisation

Dans le Shandong, une importante région maraîchère et fruitière, trois associations de producteurs cultivent la pomme de Yantai, filière qualité Carrefour (FQC). Les ventes ont atteint 2 000 tonnes lors de la première campagne (sur 18 000 tonnes de pommes vendues au total par Carrefour). L’objectif est de monter à 3 000 tonnes pour la campagne en cours. Ce volume est marginal par rapport à la production totale de pommes dans le district de Yantai, qui s’élève à environ cinq millions de tonnes (pour un objectif de six millions de tonnes en 2020). Mais la structure de l’agriculture chinoise est telle qu’elle fait vivre plusieurs centaines de familles, pour lesquelles la prime de 15 % associée aux fruits vendus sous le label FQC sera la bienvenue.

Lancée en 2008, l’association de producteurs de Weihai regroupe 380 producteurs sur 146 ha. En Chine, la petitesse des exploitations est le plus souvent la règle (moins d’un hectare en moyenne) et les associations de producteurs sont l’une des trois voies soutenues par le gouvernement pour restructurer les terres, avec les fermes agro-industrielles, dont les capitaux proviennent de groupes intégrés ou d’investisseurs. Créées à la fin des années 2000, ces « coopératives » à la chinoise, souvent soutenues par les autorités locales, se développent très rapidement. Les exploitations familiales doivent rassembler suffisamment de terres pour faire vivre correctement une famille. A Yantai, 60 % des producteurs de pommes devrait être membre d’une telle structure d’ici à 2020.

Mutualisation complète de la gestion des terres

L’association de producteurs de Weihai, qui a accueilli 80 nouvelles familles cette année, leur offre un appui technique. « J’ai appris à me protéger en manipulant des produits chimiques. D’ailleurs, avec la lutte intégrée, j’en utilise moins. Depuis que j’ai rejoint l’association de producteurs, mes bénéfices ont augmenté de plus de 20 % », témoigne un agriculteur. S’il cultive sa propre terre et bénéficie donc de revenus en lien avec son travail (on n’en connaîtra pas le montant), son pouvoir de décision est très limité, puisqu’il suit les instructions des experts techniques de la coopérative et de l’entreprise de conditionnement. Des paysans âgés ont déjà franchi une autre étape, en cédant le droit d’utilisation de leur terre à l’association de producteurs. Certaines d’entre elles fonctionnent déjà largement ainsi et cette mutualisation complète de la gestion des terres pourrait bien se généraliser car l’immense majorité des jeunes part travailler en ville.

Allier business et bonne volonté politique

Pour Carrefour, travailler avec de telles structures est une nécessité, et pas seulement pour les filières qualité. « Au départ, aucun paysan ne savait comment travailler avec un distributeur, explique Zed Huang, directeur des produits frais. Nous avons lancé un programme d’achats directs pour les fruits et légumes en 2007 et nous travaillons désormais avec 600 associations de producteurs, qui comptent plus de 1,3 million de paysans ». Au total, ce programme d’achats directs représente 28 % des approvisionnements du groupe en fruits et légumes. Le travail en filière permet à Carrefour de communiquer sur la traçabilité. « La sécurité sanitaire est au coeur de nos programmes d’achats directs et de nos filières qualité. Cela constitue un argument marketing clé en Chine », souligne Patrick Bonnifait. Pour les FQC, le cahier des charges, conçu en fonction des intrants autorisés dans chaque pays, selon une méthode centralisée par le groupe est particulièrement strict. « Notre niveau d’exigence pour les FQC est le même partout dans le monde », indique Zed Huang. Le pomelo de Zhangzhou (Fujian), lancé en 2014, est d’ailleurs désormais commercialisé en Europe.

L’engagement du distributeur dans l’amélioration des pratiques agricoles correspond aussi à une volonté des autorités, qui ont fait de la sécurité sanitaire, et plus récemment de l’environnement, des priorités. « Il existe un organisme de formation continue, mais les agents sont trop peu nombreux, explique Marie-Hèlène Schwoob, chercheuse à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et spécialiste de l’agriculture en Chine. Du coup, les distributeurs et les entreprises de transformation sont appelés à jouer un rôle important dans l’amélioration des pratiques agricoles ». Cela tombe bien. Dans un pays comme la Chine, allier business et bonne volonté politique n’est jamais inutile.

L’essor de la distribution moderne

En Chine, la distribution moderne a connu un incroyable essor depuis la fin des années 1990. Son taux de croissance annuel a atteint 70 % jusqu’en 2003 avant de passer à 20 %, selon une étude publiée par le cabinet de conseil Mc Kinsey en 2012. Depuis, les choses se sont compliquées avec une concurrence accrue et l’explosion du e-commerce, y compris dans les fruits et légumes. Dans le même temps, beaucoup de Chinois continuent à acheter leurs produits frais au marché. De nombreux distributeurs, à commencer par les groupes étrangers, ont donc revu leur stratégie. Dans ce contexte difficile pour la distribution, les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Très bien informés, ils sont très conscients de leurs droits, notamment en matière de sécurité sanitaire.

EN CHIFFRES

Revenu moyen des ruraux en 2013 : 8 896 yuans, soit 1 196 euros (soit trois fois moins que les foyers urbains), avec des grandes disparités régionales (source China agriculture yearbook 2014)

Environ 50 % des légumes et 30 % des fruits mondiaux sont produits en Chine (source Nourrir 1,5 milliard de Chinois en 2030, éditions de Boeck)

La production de fruits a doublé entre 2004 et 2014, passant de 84 M t à 166 M t, dont 40,9 M t de pommes. Les importations sont très faibles : 3,4 M t en 2014 (source statistiques chinoises via USDA).

Un défi immense de restructuration de l’agriculture

La modernisation de l’agriculture chinoise fait face à plusieurs difficultés. La restructuration des terres avance ainsi très lentement. Partir en ville dans l’espoir d’une vie meilleure ne signifie pas que l’on est prêt à abandonner sa terre. « Beaucoup de gens confient leur terre à la famille ou à un voisin mais veulent garder un plan B en cas de souci », explique Marie-Hélène Schwoob. Ces pratiques, compréhensibles, freinent la restructuration des terres et les investissements. Par ailleurs, la formation des paysans n’est pas simple. « Avant de rejoindre nos filières qualité, certains producteurs appliquaient des fertilisants de manière inadaptée. Avec de nouvelles méthodes d’échantillonnage, ils ont optimisé les apports et amélioré les rendements », explique Camille Liumeixu, en charge des FQC en Chine. Au-delà d’un niveau d’éducation peu élevé (moins de 20 % des agriculteurs a poursuivi ses études au delà du collège selon le CABTS(1), « les barrières socio-culturelles rendent la collaboration entre les petits paysans et les distributeurs et/ou entreprises de transformation difficiles », indique Marie-Hélène Schwoob. Dernière difficulté, et pas des moindres, la question de la relève. Ici, aucun jeune ne veut devenir agriculteur. Sauf à être manager dans une exploitation de grande taille.

(1) Central agricultural broadcasting and television school, organisme en charge de la formation continue des agriculteurs

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