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La biodiversité, un facteur de production

Bandes fleuries et haies hébergent des auxiliaires des ravageurs du pommier. Leur proximité avec les pommiers permet de limiter les pressions de certains ravageurs comme le puceron cendré, sans pour autant les réduire sous les seuils de nuisibilité.

Plus une haie ou une bande fleurie se trouve à proximité des vergers, plus son effet de réservoir d’auxiliaires s'observe sur les ravageurs.
© G. Dubon

« La biodiversité naturelle n’est pas la panacée pour réguler les ravageurs mais elle est indispensable lorsque les « béquilles chimiques » disparaissent », annonçait Gilles Libourel du Grab lors du colloque Biodiversité : Les prédateurs des pucerons en vergers de pommiers, organisé en Corrèze début janvier, dans le cadre d'Ecophyto. Un levier de plus en plus indispensable mais qui reste encore obscur, tant le sujet est vaste. Parmi les aménagements agroécologiques permettant l’augmentation de la biodiversité, les bandes fleuries et les haies ont fait l’objet de nombreuses études en vergers de pommier pour connaître leur rôle dans la régulation des populations de ravageurs.

Les bandes fleuries diminuent les populations de pucerons

L’effet des bandes fleuries ou enherbées naturellement sur les populations d’auxiliaires n’est plus à montrer. Leur présence en bordure et dans les vergers, favorise syrphes, punaises prédatrices, parasitoïdes, araignées, coccinelles… Une étude récente menée à l’IFPC (Institut français des produits cidricoles) prouve qu’à proximité de ces bandes, les populations de pucerons cendrés sont moindres dans les pommiers. Et davantage d’auxiliaires y sont observés, notamment les larves de syrphes (voir page 40) du fait de la présence de ressources alimentaires complémentaires à proximité. « La bande fleurie a aussi un effet négatif sur la présence de fourmis dans les pommiers, précisait Laurence Albert de l’IFPC. Ces insectes, qui peuvent protéger les pucerons contre les auxiliaires, trouvent d’autres sources de sucre grâce aux fleurs des bandes fleuries et sont moins attirés par les foyers de pucerons cendrés ». D'autres études arrivent aux mêmes conclusions comme le projet européen Quessa.

Des haies aux effets contrastés

Les haies sont elles aussi recommandées pour fournir gîtes et nourriture à des auxiliaires de culture beaucoup plus variés que les insectes comme les oiseaux, les renards, les mustélidés (famille de la fouine), les serpents… La haie est ainsi un réservoir d’araignées, tant pour celles habitant au sol que celles habitant dans la canopée. « Manon Lefèvre a pu montrer dans sa thèse effectuée au Ctifl que la plupart des araignées du sol et de la canopée effectuaient des déplacements quotidiens entre la haie et les vergers », rapportait Jean-Michel Ricard, Ctifl, lors de la journée nationale biodiversité du Ctifl en mai dernier. Elle a un effet attractif pour d’autres auxiliaires comme les carabes et les forficules, mais ceux-ci quittent plus rarement cet habitat pour se rendre dans les vergers. Elles ont aussi un effet positif sur les populations de mésanges. Un suivi de la prédation de chenilles par les mésanges a été fait en 2015-2016 sur la plateforme TAB (Techniques alternatives et biologiques) de la station d’Etoile sur Rhône (Drôme). Ce suivi a été effectué grâce à des fausses chenilles en pâte à modeler positionnées sur les branches de fruitiers. La prédation des mésanges charbonnières est plus importante dans les haies et sur les arbres à proximité. C’est seulement après juin que les mésanges ont commencé à chasser dans les vergers. Mais les effets des haies sur la régulation des ravageurs sont parfois contrastés. Dans l’étude de l’IFPC, les arbres les plus proches des haies étaient plus infestés par les pucerons cendrés. Ils hébergeaient moins d’auxiliaires contre ce ravageur. La présence accrue des fourmis dans les arbres jouxtant la haie peut expliquer en partie ce constat. « Mais les haies étaient jeunes dans notre essai, ce qui peut induire un biais à l’étude », indique Laurence Albert. La largeur et la hauteur de la haie jouent en effet sur les déplacements et les types d’animaux présents dans le verger. « De plus, notre suivi s’est fait uniquement en saison et non pas en hiver où le rôle des araignées est connu », nuance l’ingénieure de l’IFPC.

Des déplacements limités à 50 m

« La plupart des animaux se déplacent dans un rayon maximum de 50 m, seuls le renard ou la fouine se déplacent sur plusieurs kilomètres », mentionnait le naturaliste Hugues Mouret pendant le colloque corrézien. Cette faible mobilité des auxiliaires se retrouve dans les études mentionnées. « L’effet de la bande fleurie s’observe sur un gradient spatial. A 60 m de la bande fleurie, on observe deux fois plus de pucerons et deux fois moins d’auxiliaires qu’à 0 m de la bande fleurie », notait Laurence Albert. Le nombre de syrphe par arbre est six fois supérieur lorsque les bandes fleuries sont localisées dans l’inter-rang, comparé au verger où elles sont situées autour. Dans le suivi du déplacement des araignées effectuées par Manon Lefèvre au Ctifl, la distance maximale parcourue en six jours par ces animaux était de 30 à 50 m. L’implantation de haies et de bandes fleuries se réfléchit donc géographiquement pour optimiser leur rôle. « Le point essentiel est la reconstitution et le reconnexion d’une mosaïque de milieux », notait Hugues Mouret. Un aménagement agroécologique seul ne sera pas suffisant pour maîtriser les ravageurs, c’est bien la multiplicité des aménagements qui peut apporter une partie de la solution. « Mais il nous reste à travailler le transfert des auxiliaires entre les zones favorisantes et la culture », complète Gilles Libourel. Augmenter la biodiversité ne résoudra pas tous les problèmes sanitaires rencontrés en verger avec les seuils de nuisibilité actuels. Le technicien bio rappelle que « la biodiversité vient compléter d’autres leviers : du matériel végétal plus rustique, une nutrition équilibrée de la plante, des itinéraires techniques freinant les ennemis, des produits de biocontrôle ». Un levier bien plus variable dans ses effets que celui des produits phytosanitaires mais sur lequel les producteurs devront acquérir des compétences pour l’utiliser.

 

A lire aussi : Trois aménagements simples à réaliser pour favoriser les auxiliaires

 

Un verger optimisé pour la régulation naturelle

Une très récente étude du Fibl (Institut de recherche de l’agriculture biologique Suisse) a réussi à montrer que le puceron cendré peut être contrôlé sans l’utilisation d’insecticides. La station Suisse a mis en place un verger de pommier sans insecticide, optimisé pour la régulation naturelle. Entouré de haies et de zones fleuries, ce verger de 18 rangs est coupé par une haie centrale et les inter-rangs sont semés avec une flore diversifiée, fauchés quatre fois par an en alternance. Pendant six saisons, les chercheurs ont suivi les populations de pucerons cendrés et le cortège d’auxiliaires. Un des résultats majeurs est le lien entre la surface des toiles d’araignées à l’automne et la réduction de dégâts liés au puceron cendré. La moyenne des dégâts à la récolte s’établit à 6 % sur Topaz et Ariwa.

Source : "Reduced crop damage by self-regulation of aphids in an ecologically enriched, insecticide-free apple orchard", Fabien Cahenzli.

Avis de spécialiste

Laurence Albert, expérimentatrice à l’IFPC

Une succession de divers auxiliaires

La régulation naturelle des populations de pucerons cendrés se fait par une succession de communautés d’auxiliaires dans nos vergers cidricoles. Certains sont généralistes, ils sont présents dans le verger sur une période plus longue que les pucerons et leur nombre ne dépend pas de la ressource en puceron. Ils ont une action de fond et sont capables de consommer une large gamme de proie. Leur rôle est souvent mésestimé. Les autres sont des spécialistes. La croissance de leur population dépend de la ressource en puceron. Mais leur délai de réponses est souvent décalé par rapport aux pics d’infestation. A travers nos observations, nous avons pu déterminer que l’abondance des pucerons dépend de l’abondance de cinq auxiliaires et de la présence de fourmis. Au début du printemps, la prédation par les araignées, les syrphes et les coccinelles est effective et n’est pas encore perturbée par les fourmis. A partir de mai, coccinelles, forficules, syrphes et punaises prédatrices consomment des pucerons et ont une action de régulation. Mais leur activité est contrecarrée par l’action des fourmis qui protègent les foyers de pucerons. Plus il y a de fourmi, moins il y a d’auxiliaires et plus il y a de pucerons. Dès début juin, l’action de prédation des auxiliaires est masquée par le processus de migration des populations de pucerons cendrés vers le plantain. Des travaux du Ctifl ont eux montré le rôle prépondérant des araignées en hiver sur les fondatrices. Deux espèces Philodromus et Anyphaena accentuata ont une activité à des températures basses et sont actives tout l’hiver dans les vergers.

La mare ou l’effet oasis

© Ctifl

L’aménagement d’une mare dans un coin de parcelle a un effet attractif pour beaucoup d’animaux. L’étude de fréquentation de la mare créée sur le verger expérimental du Ctifl de Balandran a permis de le prouver. « Du 15 juin 2015 au 22 novembre 2015, nous avons pu photographier avec un appareil à déclenchement automatique, 27 espèces d’oiseaux, 6 espèces de mammifères et 17 espèces de chauve-souris », rapportait Michel Jay, Ctifl. Parmi eux, des visiteurs très réguliers sont des régulateurs de ravageurs. C’est le cas du renard roux, grand consommateur de campagnols. Aussi utile contre ce ravageur, le hibou moyen-duc, la chouette hulotte et la buse variable voir Réussir fruits et légumes n°378) y ont été photographiés en train de s’abreuver à plusieurs reprises. L’eau est aussi capitale pour attirer les chauves-souris, prédatrices des carpocapses adultes. Parmi les quatre vergers suivis au cours de l’année 2014 par le Ctifl, sur celui comportant des plans d’eau à proximité, plus de deux fois plus de chauve-souris ont été détectées. « Le plan d’eau doit avoir une eau calme et propre et la surface ne doit pas être encombrée de lentilles d’eau pour faire son office d’abreuvoir, prévient Michel Jay. Les pentes de la mare doivent être douces afin que les animaux qui y tombent puissent remonter ». La mare du Ctifl fait 30m² mais une multiplication de petites mares même temporaires a aussi un intérêt pour favoriser ces animaux.

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