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Fruits et légumes : les nouveaux enjeux de la gestion de l'eau

La raréfaction de la ressource en eau liée au changement climatique amène à devoir examiner toutes les pistes pour conjuguer efficience de l’eau et résilience.

Le 30 mars, le chef de l’État a présenté le plan Eau, qui vise à économiser 10 % de l’eau consommée en France d’ici 2030. Parmi les mesures évoquées : la création d’un diagnostic eau pour toute nouvelle installation agricole, 30 millions d'euros par an pour le soutien de pratiques économes en eau, comme le goutte-à-goutte, l’irrigation intelligente, le développement de filières peu consommatrices en eau. Le président de la République n’a pas annoncé de moratoire sur les réserves d’eau, mais a dévoilé la mise en place d’un fonds de 30 millions d'euros pour l’hydraulique, pour faciliter l’utilisation d’ouvrages de stockage existants et améliorer l’infiltration dans les nappes. 80 millions d'euros par an sont aussi prévus pour la qualité de l’eau.

Ce plan résonne particulièrement pour les producteurs de fruits et légumes, très dépendants de l’eau. « Les fruits et légumes sont constitués à 85-90 % d’eau, a souligné Séverine Darsonville, présidente de Vegepolys Valley, lors d’une conférence au Sival. Sans eau, on ne peut pas les produire. Et les sécheresses successives posent la question de la disponibilité de la ressource, des besoins des cultures et de l’efficience de l’eau. » En France, l’agriculture consomme en moyenne 2800 millions de mètres cubes par an dont 37 % d’eaux souterraines et jusqu’à 50 % en été voire beaucoup plus dans certains départements. Ces dernières années, la situation s’est beaucoup dégradée, avec 25 % de pluies en moins par rapport aux trente dernières années, quatre années déficitaires depuis cinq ans et une baisse quasi généralisée des aquifères, pouvant atteindre -50 %. « En 2022, beaucoup de cours d’eau ont été en rupture d’écoulement ou à sec », a rappelé Dominique Darmendrail, du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). S’y ajoute une dégradation de l’eau liée notamment aux pesticides et nitrates.

Une gestion concertée de l’eau

Une adaptation est la recharge maîtrisée des nappes souterraines, qui consiste à transférer l’eau vers les aquifères quand elle est en surplus. « La technique est utilisée depuis cinquante ans en Rhône-Alpes et nous travaillons pour savoir où elle peut être développée », précise Dominique Darmendrail. L’anticipation et une gestion concertée de l’eau sont également nécessaires. « Une meilleure connaissance des aquifères et la modélisation devraient permettre une gestion prévisionnelle de l’eau à l’année. Il faut un équilibre entre ressources et prélèvements au niveau local, ce qui implique de fédérer tous les acteurs, de mieux connaître les volumes, d’améliorer les prédictions d’eau disponible et d’assurer son juste partage. » Un programme national de recherche, One Water, a été lancé en 2022 pour dix ans pour accélérer les transitions.

Favoriser la réserve utile des sols

Une autre piste à l’échelle de l’exploitation est d’améliorer la disponibilité de la réserve utile des sols (RU). « La RU maximale est la quantité d’eau maximale que le sol peut stocker et restituer aux plantes, précise Isabelle Cousin, d’Inrae. Un sol sableux retient peu d’eau, alors qu’un sol argileux en retient beaucoup. Mais la réserve utile dépend aussi de la plante, car il faut des racines pour prélever l’eau. La RU augmente quand la plante se développe et elle varie selon espèces. » Une piste pour optimiser l’utilisation de l’eau par la culture est de favoriser un réservoir de grande taille.

« Certaines cultures comme la luzerne améliorent la structuration du sol et donc la pénétration de l’eau, indique la chercheuse. Il faut aussi favoriser les rotations. L’incorporation de matière organique, si elle améliore la porosité du sol, sa capacité à laisser l’eau s’écouler et l’infiltration… augmente par contre très peu la réserve utile, sauf en sol sableux. » Une autre solution est de valoriser l’eau sur toute la profondeur du réservoir. « On peut promouvoir des cultures à enracinement profond, des associations à enracinements différenciés. Et si l’on tient compte de la capacité des cailloux calcaires de plus de 2 centimètres à retenir l’eau et à la restituer, on économise un tour d’eau en blé. » Autres pistes : favoriser le remplissage du réservoir en irrigant au bon moment, limiter le ruissellement, limiter l’évaporation (goutte-à-goutte, arrosages plus longs mais plus espacés, paillage, occultation, plantations plus denses, couverture de l’interrang…).

Améliorer la précision de l’irrigation

Et d’autres solutions existent pour réduire les besoins en eau des plantes, limiter l’évapotranspiration et améliorer l’efficience de l’eau. Les sélectionneurs commencent ainsi à intégrer dans leurs programmes le comportement des variétés aux stress hydriques. Des solutions d’ombrage sont aussi possibles. « En verger, un voile d’ombrage réduit l’évapotranspiration, mais parfois aussi la photosynthèse, note Brunella Morandi, chercheuse en écophysiologie à l’université de Bologne. Très souvent toutefois, les arbres saturent en photosynthèse à des niveaux de lumière inférieurs. »

L’utilisation d’outils d’aide à la décision est également essentielle pour améliorer la précision de l’irrigation. « Des sondes tensiométriques et capacitives et des outils d’aide à la décision permettent de surveiller ce qui se passe dans le sol, de mieux piloter l’irrigation et d’économiser 20 % d’eau », assure Maxime Zahedi, de la société Weenat. « En verger, au-delà des capteurs qui suivent l’état hydrique des sols en temps réel, il y a aussi désormais des capteurs pour suivre le flux de sève dans le tronc, la variation de diamètre du tronc, la croissance du fruit, souligne Brunella Morandi. Il faut les rendre plus disponibles pour les producteurs. En limitant l’irrigation à certains moments, non seulement on réduit le besoin en eau, mais on optimise aussi la qualité de fruit. Le calibre diminue légèrement, mais le taux de matière sèche augmente, ce qui améliore la capacité de stockage des fruits. »

"Les sondes tensiométriques et capacitives et les outils d’aide à la décision permettent d’économiser 20 % d’eau"

Maxime Zahedi, de la société Weenat

 

Partager l’eau

Organisée par Réussir-Agra, la cinquième édition des Controverses de l’agriculture, « La guerre de l’eau a-t-elle démarré ? », a porté sur les problèmes liés à l’eau : l’acceptation de l’irrigation et du stockage de l’eau, les pesticides et les nitrates, la concurrence entre usages (irrigation, golfs, piscines…) et usagers (maïs/maraîchage). Un thème d’actualité comme le montrent les récents événements de Sainte-Soline. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a appelé à ce que la France retrouve ses compétences en matière d’hydraulique. Et il a souligné que le changement climatique va entraîner des stress hydriques dans des régions qui n’y sont pas habituées, Bretagne, Pays de la Loire, Hauts-de-France. « Dans ces régions, on devra se poser la question du stockage de l’eau », prévient-il. À (r)écouter sur reussir.fr

La piste de la réutilisation des eaux usées

La raréfaction de l’eau amène les agriculteurs et collectivités à s’intéresser à la réutilisation des eaux usées.

 

La ressource en eau diminuant, une piste pour améliorer la résilience de l’agriculture est la réutilisation des eaux usées traitées issues des stations d’épuration (REUT). Actuellement, moins de 1 % des eaux usées traitées sont réutilisées en France, contre 14 % en Espagne, 8 % en Italie, 85 % en Israël. La pratique est apparue dans les années 80 dans des zones n’ayant pas d’accès à l'eau, notamment sur les îles. À Noirmoutier, qui ne dispose d’aucun captage d’eau douce, près de la moitié des eaux usées traitées sont utilisées pour l’irrigation de la pomme de terre, après désinfection par lagunage. La REUT s'est ensuite un peu étendue dans le Centre-Ouest et le Sud-Est, par souci d'amélioration du milieu récepteur, puis de meilleure gestion locale de l'eau. Et elle apparaît aujourd’hui comme une solution pour limiter les prélèvements dans le milieu. Un objectif de triplement d’ici 2025 de l’utilisation d’eaux non conventionnelles, dont font partie les eaux usées traitées, a été annoncé aux Assises de l’eau en 2019. Et dans le plan Eau présenté par le chef de l’État, l’objectif est de passer à 10 % de réutilisation des eaux usées d’ici 2030, soit 300 millions de mètres cubes par an.

 

Combinaison de mesures et de traitements supplémentaires tout au long de la filière

Le principal frein est lié aux investissements nécessaires sur les stations pour atteindre une qualité d’eau suffisante pour l’irrigation. Les normes, encore renforcées dans le règlement européen entrant en vigueur en juin 2023, sont en particulier élevées pour les fruits et légumes, notamment les espèces consommées crues et celles dont la partie comestible est en contact direct avec l’eau. Une thèse est menée à l’Inrae de Lyon pour montrer que l’approche multi-barrière développée par l’OMS, qui repose sur la combinaison de mesures tout au long de la filière, en plus de traitements, permet d’assurer la sécurité des personnes potentiellement exposées. Des travaux sont aussi menés à l’Inrae de Montpellier. Une plateforme expérimentale de REUT a été créée en 2017 pour irriguer des cultures de vigne, arboriculture, luzerne, ainsi que des salades et des poireaux sous abri. Les travaux portent sur la faisabilité technique et les impacts agronomiques, sanitaires et environnementaux de la REUT. Une expérimentation de réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer des cultures légumières a également été engagée dans la Manche par l’agglomération du Cotentin, le Sileban et le centre technique agroalimentaire Altalia.

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