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Cultures de fruits et légumes : quelles sont les pistes pour mieux gérer l’eau ?

Face au changement climatique, économiser l’eau et mieux gérer cette ressource impose d’explorer toutes les pistes techniques et organisationnelles. La question du partage de l’eau devient aussi essentielle.

« L’eau est un bien que l’on a cru inépuisable, a souligné Jacques Rouchaussé, de Légumes de France, lors du congrès 2023 du syndicat. Mais aujourd’hui, il y a des sécheresses et des excès d’eau. Nous devons nous adapter au changement climatique» Plus qu’un manque d’eau, le réchauffement climatique entraîne une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes, avec des périodes de fortes précipitations et d’autres de sécheresse.

« Quand l’atmosphère se réchauffe de 1 °C, cela entraîne 7 % d’humidité en plus dans l’air et donc 7 % de précipitations supplémentaires, explique François Gemenne, politologue et chercheur, coauteur du sixième rapport du Giec. Or, alors que l’augmentation des températures dans le monde est en moyenne de +1,2 °C, cette hausse atteint +1,8 °C en France. Et l’hypothèse d’une élévation de +4 °C est un scénario relativement optimiste. Cette augmentation de +4 °C entraînera donc 28 % d’humidité supplémentaire dans l’atmosphère et de fait des précipitations plus importantes alternant avec des phases de sécheresse. Dans vingt ans, Paris aura le climat de Toulouse ou Marseille et Lille celui de Tours ou Orléans. » Un premier enjeu est d’économiser l’eau.

« Le monde agricole est sur la bonne trajectoire »

« La France n’est pas en stress hydrique selon la définition de l’ONU, analyse Marie-Christine Huau, directrice du Grand cycle de l’eau chez Veolia. Et le prix de l’eau, le plus bas d’Europe au niveau de sa potabilisation, ne pousse pas à l’économiser. La France est en retard sur le plan des infrastructures et le prix de l’eau va devoir augmenter. Le monde agricole a pris conscience du problème et est sur la bonne trajectoire, même s’il pensait avoir plus de temps. » Des marges de progrès existent sur le plan de la maîtrise des pertes sur le réseau : « En France, 20 % de l’eau est perdue du fait des fuites, contre seulement 5 % en Espagne ou à Chypre », indique François Gemenne.

En agriculture, des solutions peuvent permettre d’augmenter la disponibilité de la réserve utile des sols (cultures qui améliorent la structuration du sol et donc la pénétration de l’eau, rotations…), éviter le ruissellement, limiter l’évaporation (arrosages plus longs mais plus espacés, paillage, occultation, plantations plus denses, couverture de l’inter-rang, voiles d’ombrage en verger…). Le choix d’espèces et variétés moins gourmandes en eau est également une piste. Les sélectionneurs commencent ainsi à intégrer dans leurs programmes le comportement des variétés aux stress hydriques. « Mais il faudra aussi se poser la question des types de cultures adaptées au changement climatique dans chaque région » insiste François Gemenne.

20 % d’économie d’eau avec le goutte-à-goutte

Des économies sont possibles aussi sur l’irrigation, avec le développement du goutte-à-goutte, des capteurs et des outils d’aide à la décision. « Il y a beaucoup à faire en termes d’économie d’eau pour les cultures de plein champ, estime David Aubineau, gérant de Divatec, concepteur de solutions techniques d’irrigation. Équiper une parcelle de pomme de terre de goutte-à-goutte coûte 4 500 €/ha, mais réduit de 20 % la consommation d’eau et de traitements, avec 20 % de rendement en plus et moins de main-d’œuvre. L’arrivée des drones afin de cartographier les besoins en eau devrait aussi aider à économiser l’eau. »

Des financements commencent à se mettre en place pour la réutilisation des eaux usées.
Des financements commencent à se mettre en place pour la réutilisation des eaux usées. © CD du Loiret

La réutilisation des eaux usées traitées issues des stations d’épuration (REUT) est une autre solution. Actuellement, moins de 1 % des eaux usées traitées sont réutilisées en France, contre 14 % en Espagne, 8 % en Italie, 85 % en Israël. Fin octobre 2023, une première unité expérimentale de production d’eau potable à partir d’eaux usées a toutefois été inaugurée aux Sables-d’Olonne (Vendée). Quelques installations de réutilisation des eaux usées pour l’irrigation fonctionnent également en grandes cultures, vigne, pomme de terre. À Noirmoutier, qui ne dispose d’aucun captage d’eau douce, près de la moitié des eaux usées traitées sont utilisées en vue de l’irrigation de la pomme de terre.

Et un arrêté publié le 28 décembre 2023 assouplit un peu les conditions de la REUT en ce qui concerne l’irrigation agricole, avec l’objectif de passer de 1 % de réutilisation des eaux usées traitées à 10 %. « La principale question est l’investissement nécessaire, souligne François Gemenne. La REUT reste le parent pauvre actuellement, car le retour sur investissement n’est pas le même que pour la décarbonation. La REUT doit être financée par les pouvoirs publics. » La piste de la désalinisation de l’eau, très pratiquée par exemple en Israël, existe également. « La désalinisation de l’eau coûte toutefois très cher et pose le problème du rejet des saumures en mer, estime Marie-Christine Huau. Elle ne peut être envisagée qu’en dernier recours, en priorité sur les îles. »

Stocker l’eau en hiver

Une autre piste est le stockage de l’eau en périodes de fortes précipitations afin de réduire les prélèvements en été. Des retenues collinaires qui se remplissent par ruissellement et sont déconnectées du réseau hydrographique, existent déjà, même si leur développement devient parfois plus difficile, comme en Bretagne, pour des raisons de protection des zones humides. La récupération et le stockage de l’eau de toiture des serres se développent également. Et des bassines bâchées remplies par prélèvement d’eau dans les nappes phréatiques en période d’abondance commencent à se développer. « Les retenues collinaires ne nuisent pas aux nappes phréatiques, analyse François Gemenne. Le débat est plus marqué pour les bassines et pose le problème d’allocation de la ressource en eau entre les différentes populations. Il faut regarder au cas par cas. »

« La clé est d’avoir des solutions territorialisées, estime Marie-Christine Huau. Des transferts d’eau existent déjà. Marseille est alimentée par l’eau des Alpes. L’important est d’anticiper. Avec le changement climatique, le cycle de l’eau s’accélère. Il peut être envisageable de ralentir ce cycle naturel de l’eau, de stocker l’eau qui tombe sans risque pour la nature. » En Haute-Garonne, le BRGM et le syndicat mixte Réseau31 testent actuellement la recharge maîtrisée de la nappe alluviale de la Garonne en hiver et au printemps, en vue d’une restitution à la Garonne en été, quand les besoins en eau sont les plus élevés.

En pratique

Le 1er mars, le ministre de l’agriculture a annoncé le lancement du premier appel à projets du fonds d’investissement en hydraulique agricole, abondé à hauteur de 20 M€ en 2024 et 30 M€/an à partir de 2025. Il permettra de soutenir les projets de rénovation et agrandissement des ouvrages hydrauliques, la création de réserves, le stockage de l’eau en nappe phréatique ou dans le cadre de la réutilisation des eaux usées, la modernisation et la création de réseaux d’irrigation. Les demandes d’aide sont à adresser à la Draaf jusqu’au 15 mai 2024.

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