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Arboriculture : la protection phytosanitaire s'amenuise

Les retraits et restrictions d’usage pleuvent sur la filière arboricole. Les solutions alternatives sont bloquées. Toutes les filières sont à deux doigts des impasses techniques.

Les locaux phyto des arboriculteurs sont de moins en moins fournis en produits phytopharmaceutiques différents, faisant craindre l'apparition de résistance. © RFL
Les locaux phyto des arboriculteurs sont de moins en moins fournis en produits phytopharmaceutiques différents, faisant craindre l'apparition de résistance.
© RFL

« Notre capacité à protéger nos arbres et nos fruits contre les maladies et ravageurs est à ce jour clairement compromise », déclare Daniel Sauvaitre dans son rapport moral pour l’Association nationale pommes poires. Ce constat ne s’arrête pas aux producteurs de fruits à pépins. A ce jour, toutes les filières sont concernées. Les retraits actés et révisions d’homologation prévues en 2021 au niveau européen et la surenchère au niveau national risquent de conduire les filières dans des impasses techniques à très court terme. « A chaque réévaluation, soit la molécule est retirée, soit on perd des usages, soit le nombre d’application ou la dose diminuent », explique Claude Coureau, CTIFL.

Des blocages au niveau national

« L’évaluation conjointe des bénéfices attendus par l’utilisation d’une matière active en relation avec les risques encourus cède désormais la place à la seule prise en compte des dangers », constate Daniel Sauvaitre. Et face aux pertes et restrictions des molécules chimiques, les nouveaux produits sont fréquemment bloqués, souvent au niveau national. « Le Bion 50 WG est homologué contre PSA en kiwi dans tous les pays européens sauf en France, s’insurge Adeline Gachein du BIK. C’est pourtant le produit le plus efficace contre cette maladie. Nous sommes obligés de protéger les vergers avec du cuivre qui a des impacts sur la croissance du végétal. Et aucune raison ne nous est donnée pour ce refus d’homologation au niveau national. » « Le Decis trap MB n’est plus utilisable en AB pour le piégeage massif de la mouche du brou depuis deux ans, juste pour un problème de réglementation européenne », déplore Clémence Bazus, de Coopenoix. « Et les nouveaux produits sont tellement difficiles à obtenir, que même la pomme est maintenant considérée comme une culture mineure par les firmes », continue Claude Coureau. Les produits alternatifs déjà sur le marché ne sont pas tous homologués en France. Ainsi, la bouillie sulfocalcique ou l’azadirachtine sont utilisés en France que sous régime dérogatoire, remis en question chaque année. « Nous allons de nouveau porter la demande de neuf dérogations cette année avec la FNPF et l’Itab », indique Josselin Saint-Raymond, directeur de l’ANPP.

Dégradation du bilan environnemental

Les producteurs font donc avec les produits restants. Mais l’usage répété des matières actives restantes fait courir le risque d’apparition de résistance. Leur efficacité n’est pas toujours à la hauteur des pressions et les producteurs augmentent donc le nombre d’applications pour protéger leurs vergers. « La réduction du nombre d’outils spécialisés entraîne l’augmentation de l’usage des outils généralistes et dégrade finalement le bilan environnemental, analyse Josselin Saint-Raymond. Si cette stratégie continue, nous n’aurons plus de moyens de produire du tout. » Cette perte de moyens de protection fait aussi réémerger des ravageurs secondaires auxquels s’ajoutent les bioagresseurs émergents du fait des changements climatiques. « L’Anses ne nous aide pas ! s’exclame Josselin Saint-Raymond. Même pour des lâchers d’hyménoptères contre la punaise. De ce fait, les industriels du biocontrôle font une pause sur le marché français ! » Face à ces retraits, l’agroécologie est avancée sans prendre en compte la prise de risque pour les producteurs. Or en culture pérenne, les dégâts occasionnés sur un verger se répercutent pendant les deux à trois ans suivants. « Nous travaillons sur des techniques de biocontrôle contre le balanin et la punaise diabolique, mais elles ne seront prêtes que dans trois à cinq ans, prévient Jean-Luc Reigne. Le problème, c’est le ciseau entre le temps réglementaire et le temps scientifique et technique. »

A lire aussi : Arboriculture : en vingt ans, les produits phyto ont évolué

 

« L’évaluation conjointe des bénéfices attendus par l’utilisation d’une matière active en relation avec les risques encourus cède désormais la place à la seule prise en compte des dangers », constate Daniel Sauvaitre.

Des retraits dans toutes les filières

Pour les fongicides, à la non réhomologation du mancozebe, matière pivot dans la protection contre la tavelure sur pomme mais aussi utilisée contre la rouille sur fruits à noyaux, s’ajoutent la proposition de retrait au niveau européen du dithianon (l’anti-tavelure le plus utilisé, pour l’été 2021 par le comité PAFF) et la réapprobation du captane seulement sous abri. « Ce serait une catastrophe pour la filière pomme poire, s’alarme Josselin Saint Raymond. Nous avons besoin du soutien de toutes les filières pour maintenir ces matières actives. » Les fruits à noyau devront lutter contre la cloque sans thirame cette année. « Les producteurs vont devoir la gérer avec du Curatio qui est sous régime dérogatoire, le captane qui est sur la sellette, du Syllit et du BNA. Le retrait du Topsin peut être aussi problématique pour la maîtrise du fusicoccum sur pêcher », analyse Christophe Mouiren du GRCeta. La situation est tout aussi préoccupante pour les insecticides. Les moyens de lutte contre les pucerons s’amenuisent. La suppression des néonicotinoïdes a retiré aux producteurs des molécules efficaces et très spécifiques aux pucerons. Les pomiculteurs sont donc obligés d’augmenter le nombre d’applications des insecticides encore homologués. Des résistances à la flonicamide apparaissent et l’usage tardif répété de pyrèthres semble provoquer une baisse de la biodiversité fonctionnelle. Même risque sur pêcher avec le retrait du Plenum. La filière cerise perd aussi l’Imidan dans la lutte contre Drosophila suzukii. Plus grave encore, « la pêche perd aussi le Klartan, utilisé par les apiculteurs dans la lutte contre le varroa, ce qui complique la lutte contre les thrips, avec pour seule alternative le Karaté, détaille Christophe Mouiren. Ce produit est beaucoup utilisé et les risques d’apparition de résistances sont réels. De plus, il est soupçonné d’être perturbateur endocrinien. » En l’absence de dérogation, le Klartan ne pourra pas être utilisé contre les cicadelles vertes sur pêcher, en recrudescence très nette depuis quelques années. Sur carpocapse et tordeuse orientale, le Coragen est retiré en 2021. « Il sera utilisable jusqu’en février 2022 et la firme va redemander son homologation, mais une restriction d’usage est possible », s’inquiète le conseiller du GRCeta. « Sur noix, il reste seulement l’Insegar, le Confirm, l’Imidan et le virus de la granulose », constate Franck Michel de Coopenoix. Pour la filière noisette, « nous avons vécu deux ans sous dérogation pour l’acétamipride pour lutter contre le balanin, mais elle s’arrête pour la campagne 2021, témoigne Jean-Luc Reigne d’Unicoque. Sans protection chimique, ce ravageur fait 80 % de dégâts. Nous n’avons plus qu’une molécule à notre disposition qui n’est efficace qu’à 60 % et qui a des effets secondaires sur les auxiliaires. »

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