Au Maroc, la pomme de Rich est à un tournant
Premier facteur de développement de la région de Rich, au Maroc, la pomme est face à de nombreux défis. Entre les tensions sur l’eau, la hausse des prix des intrants, les changements climatiques, la difficile insertion dans les marchés… les arboriculteurs marocains doivent s’adapter.
Rich, au Maroc, est un cercle enclavé du Haut Atlas oriental : les douars, « oasis de montagne », sont installés le long de vallées plus ou moins larges et culminent entre 1 300 et 1 800 m d’altitude. L’agriculture traditionnelle des sites singuliers était essentiellement vivrière : les agriculteurs cultivaient des céréales près des rivières, et de grands troupeaux caprins et ovins pâturaient dans les montagnes.
Prépondérante dans les douars de Rich
À partir des années 1990, de profondes mutations dans les exploitations agricoles s’enclenchent. Un désenclavement s’opère progressivement dans les douars grâce à la construction de pistes et la mise en place de souks hebdomadaires. L’agriculture se mécanise, l’utilisation d’intrants chimiques se systématise, les cultures sont de moins en moins tournées vers l’autoconsommation. La pomme introduite dans les années 1970 dans certains douars se développe progressivement dans la majorité des exploitations agricoles de Rich.
Les cultures céréalières reculent largement pour laisser la place aux plantations d’arbres fruitiers. L’élevage pastoral disparaît. Le développement de la production de pommes s’accélère à partir de 2008 : le Plan Maroc Vert soutient le secteur puisque la pomiculture a été identifiée comme levier important pour l’emploi et pilier de l’économie des zones de montagne. Aujourd’hui, la pomiculture est prépondérante dans les douars de Rich et est estimée à 10 000 tonnes par an. Les agriculteurs ont de petites superficies agricoles d’environ 1 ha, organisées le long des rivières.
Un système d’irrigation gravitaire avec des canaux appelés séguias permet d’opérer une irrigation par submersion/inondation des vergers. Les pommiers sont conduits en gobelet. Golden Delicious, Starkrimson, Starkdelicious et Gala restent les variétés les plus plantées, mais on observe un début de diversification avec la variété Jéromine par exemple dans des vergers palissés. La luzerne est présente sous les pommiers les cinq premières années de plantation, puis l’herbe facilite l’alimentation de quelques vaches ou de petits troupeaux de ruminants en stabulation. Les agriculteurs les moins spécialisés maintiennent des cultures annuelles telles que du blé, du maïs, des pommes de terre, des fèves, des navets…
De forts enjeux de valorisation
La vente des pommes constitue la part la plus importante des revenus agricoles des ménages de Rich (60 % en moyenne). Elle a largement contribué au développement local : les maisons s’équipent, les familles diversifient leur alimentation, les enfants sont scolarisés… À Rich, il n’existe aucun moyen de stockage au froid des fruits après la récolte. La majorité des agriculteurs vendent donc leurs pommes sur pied.
Quelques agriculteurs qui ont suffisamment de trésorerie stockent leur production en unité frigorifique à Midelt, Boumia ou Zaida, à plus d’une heure de route de leur exploitation agricole. Dans les douars de montagne plus froids, quelques agriculteurs conservent une partie de leur production sous bâche, sous la neige. Pour des raisons financières, de qualité des pommes, de difficultés de transport, d’organisation ou d’accès difficile aux unités de stockage et de transformation, la plupart des agriculteurs de Rich peinent encore à faire évoluer leurs modes de conservation et de commercialisation.
Le changement climatique met en péril l’équilibre
Les agriculteurs témoignent des changements climatiques récents qui impactent leurs rendements et la capacité de conservation des pommes. « Nous observons que le nombre de jours de froid est parfois insuffisant. Nous avons plus souvent des gelées et de la grêle, et les fortes chaleurs avant les récoltes pénalisent notre production. Les augmentations générales de température accroissent aussi la pression phytosanitaire », témoignent-ils.
Des solutions techniques existent pour s’adapter aux changements climatiques : la plantation de variétés moins exigeantes en froid, l’installation de filets paragrêle et de canons antigel… Green Generation, qui intervient dans la continuité du Plan Maroc Vert, facilite l’accès à ces solutions techniques grâce aux subventions aux coopératives, mais cela concerne essentiellement les nouvelles plantations.
Des risques de forte dépendance ?
La forte rentabilité de la pomiculture par rapport aux autres productions agricoles locales amène les agriculteurs à agrandir leurs vergers, et certains à se spécialiser. Et de fait, ces derniers deviennent plus dépendants des achats alimentaires pour leur famille. La réduction de l’élevage influence aussi la gestion des sols : produisant moins de fumier, les agriculteurs se tournent vers des engrais chimiques et créent des dépendances. Ceux qui ont accès au financement et au foncier creusent des forages, puis installent des pommeraies hors des périmètres irrigués traditionnels.
Ces nouveaux forages ne créent pas de nouvelles ressources en eau, mais sont des prélèvements dans la ressource commune. La pression sur l’eau augmente. Même si ces nouvelles plantations sont équipées de goutte-à-goutte, la raréfaction de l’eau se fait déjà sentir par les agriculteurs. Aussi, dans un contexte d’incertitude, certains diversifient leur exploitation avec un petit élevage laitier ou grâce à la multiplication de semences de luzerne, d’autres renouvellent leurs vergers avec différentes variétés de pommes ou d’autres espèces : prunes, abricots, pêches… Ces stratégies seront-elles suffisantes ?
Des besoins en accompagnement
Fert accompagne les producteurs de pommes de Rich depuis 2014. La priorité était de produire plus et mieux : les formations et démonstrations pratiques permettent, par exemple, aux agriculteurs de mieux comprendre la physiologie de l’arbre, et d’adapter la taille et l’éclaircissage aux objectifs de production. « Grâce à l’accompagnement de Fert, il y a un changement dans notre façon de travailler. Nous avons une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires et des engrais. Nous avons commencé à faire l’éclaircissage que nous ne connaissions même pas. L’arbre aujourd’hui produit 100 kg au lieu de 25, notre revenu a triplé. »
Initialement technique, l’accompagnement est devenu technico-économique pour bien considérer les difficultés d’épargne et de trésorerie des agriculteurs. Des achats groupés d’intrants permettent aux agriculteurs de réduire leurs dépenses, d’accéder à des intrants de meilleure qualité, limitant ainsi les interventions dans les pommeraies. Les besoins évoluent encore. Fert va progressivement accompagner les agriculteurs dans leur volonté de mieux valoriser les pommes. Le conseil agricole devra également mieux prendre en compte les tensions sur l’eau, les incertitudes liées au changement climatique, les risques de fluctuation du marché… mais aussi les fragilités spécifiques à chaque exploitation agricole et les choix stratégiques de chaque agriculteur.
La production marocaine de pommes ne cesse d’augmenter
La production de pomme au Maroc est passée de 444 000 t en 2010 à près de 900 000 t en 2022. Dans le même temps, le prix producteur de la pomme a été réduit de moitié pour atteindre 4 dirhams le kilo environ (0,40 €). Les intrants étant également plus coûteux, la valeur ajoutée pour le producteur se réduit régulièrement. Au Maroc, les plantations se poursuivent, la production va continuer d’augmenter. Les possibilités limitées de transformation et d’exportation font craindre une saturation du marché.EN CHIFFRES
La pomme au Maroc
Production nationale (2021)
52 000 ha et 900 000 t de pommes
16e producteur mondial
… et au niveau local
Région Draa-Tafilalet : 300 000 t
Cercle de Rich : environ 10 000 t