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Epizootie d'influenza H5N8 : « Des canards hypersensibles et un virus extrêmement contagieux »

Pour Jean-Luc Guérin, professeur à l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, tout le monde a été surpris par la fulgurance de la propagation du virus H5N8 en Chalosse, facilitée par les conditions locales.

Jean-Luc Guérin est professeur à l'Ecole Nationale vétérinaire de Toulouse et spécialiste en pathologie aviaire.
© P. Le Douarin

Qu’est ce qui a changé par rapport à l’épizootie de 2016-2017 ?

Jean-Luc Guérin - La pression virale liée à l’avifaune est bien plus forte qu’il y a quatre ans. Cette année, son niveau d’exposition est exceptionnel, comme l’indiquaient les nombreux cas détectés depuis cet automne au fur et à mesure de la migration venant de l’Europe de l’Est. Cela faisait craindre de nombreux départs « d’incendies », à la suite d’introductions de virus dans les élevages commerciaux.

Le second point qui a changé, et qui est peut être lié au précédent, c’est que le virus est extrêmement contagieux. Il a pénétré dans des élevages très claustrés chez des éleveurs en autarcie qui se muraient chez eux. Mais, quand le milieu environnant fourmille de virus, celui-ci finit par passer au bout de quelques jours et il se propage de proche en proche.

Ce virus H5N8 diffère de celui d’il y a quatre ans ?

Pour l’instant, il est trop tôt pour répondre à cette question, car nous n’avons pas encore tous les éléments de caractérisation et sachant que les paramètres du terrain ont changé depuis 2016-2017, notamment en termes de transport et de biosécurité. En revanche, nous avons la mauvaise surprise de constater qu’on a touché la limite de la biosécurité, malgré toutes les mesures prises.

En quoi la biosécurité a atteint ses limites  ?

On aurait pu penser que les mesures réellement mises en place en élevage et pour le transport allaient suffire. En revanche, ce n’est pas une raison pour les remettre en cause.

Le système d’alerte a bien fonctionné depuis l’automne et le niveau de risque a été relevé aux bons moments. Toutes les volailles ont été confinées, sauf celles sous dérogation et sauf dans certains territoires où la dérogation était généralisée.

Il faudra faire le bilan et le retour d’expérience pour comprendre ce qui s’est passé et pour discuter d’un nouveau modèle de production des palmipèdes à foie gras, notamment dans le sud-ouest.

Je crois qu’on n’échappera pas à la mise à l’abri de toutes les volailles dès que le niveau de risque passe à un niveau élevé.

Lire aussi : Comment visualiser l'efficacité de la biosécurité sur les personnes

Quelle est la dynamique de la maladie ?

Avec les virus dits du clade 2.3.4.4, la charge virale infectante est infime chez le canard. Une fois infecté, l’animal multiplie très rapidement le virus et devient infectieux (excréteur de virus) en moins de 24 heures. En moins de 48 h, tout le lot est infecté de proche en proche.

Cependant, il faut quelques jours avant que les premiers signes cliniques (torticolis caractéristique) apparaissent et que la mortalité augmente de manière exponentielle. Malgré une suspicion clinique précoce, on a au moins 2 à 3 jours de retard sur le virus. D’où l’importance d’euthanasier très rapidement un lot infecté. Il faut aussi agir vite pour éviter que l’éleveur n’assiste impuissant à l’agonie de ses animaux.

«  Au plan épidémiologique, la phase silencieuse de la maladie est redoutable »

Le processus d’infection est le même chez les Gallinacés, mais avec des doses infectantes nettement supérieures. Elles sont atteintes lorsque suffisamment d’élevages de canards ont fait monter la charge infectante dans l’environnement. Chez les Galliformes, la détection clinique est beaucoup moins facile. On voit des mortalités foudroyantes avec très peu de signes neurologiques.

Quel est le scénario de contamination le plus probable ?

Il y a toujours des causes multiples et autant de scénarios différents. L’origine peut être l’avifaune par contact avec des matières contaminées sur un parcours où se trouvent des animaux, du virus transporté dans le bâtiment par du matériel, des intrants ou des personnes.

Un élevage contaminé peut être comparé à un réacteur qui fabrique du virus en quantité phénoménale et qui le relargue dans l’environnement, l’eau et les parcours contaminés tout autour. La plus minime erreur de franchissement du sas sanitaire peut être fatale. 

Est-ce que la tempête Bella a pu accélérer la propagation ?

En 2017, nous avons démontré que la tempête Marcel n’avait pas joué de rôle accélérateur à moyenne ou longue distance, mais cette question reste controversée par des études dans d’autres pays. J’ai du mal à croire que cela puisse expliquer l’essentiel des contaminations. Je crois plus aux vecteurs passifs véhiculant le virus.

Quel rôle ont joué les canards restant à l’extérieur ?

L’incapacité à mettre des animaux à l’abri est un facteur de risque, à deux titres. D’une part, ils augmentent l’interface avec la faune sauvage ou bien avec les contaminants qui peuvent circuler sur les parcours. D’autre part, quand les oiseaux sont atteints, ils vont excréter le virus dans l’environnement pendant la phase invisible de la maladie, ce qui amplifie d’autant la dispersion et l’avancée du front épidémique. En revanche, on a aussi vu des foyers dans des élevages en claustration.

Comment casser la chaîne de contamination ?

En abattant le plus vite possible les animaux du foyer détecté, sachant que le virus est excrété depuis au moins 2-3 jours sans qu’on s’en aperçoive. Le problème c’est la proximité d’autres canards ou la contamination par les autres vecteurs, d’où l’importance de la biosécurité et des abattages préventifs dans un rayon suffisamment large, y compris des animaux sains.

Il faut faire en sorte de traiter vite et fort un certain nombre de foyers susceptibles de se déclencher au même moment et dans la même zone. Sinon, le nombre de foyers se multiplie très vite, comme cela s’est passé.

Il y a eu une difficulté opérationnelle évidente et l’on n’a pas été capables collectivement d’aller suffisamment vite. Nous avons assisté à un phénomène de débordement : dès qu’un canard se trouvait dans une zone de présence du virus, il était irrémédiablement infecté.

Une stratégie de large pare-feu plutôt que de mini-zones tampons aurait-elle été plus payante ?

Oui, en théorie, mais ce projet de pare-feu a été débordé par des incendies allumés simultanément à plusieurs endroits par l’avifaune. D’autre part, il faut un minimum de temps avant de prendre la décision de tout abattre sur un front de 10 ou 20 km, avec des procédures administratives à respecter vis-à-vis des détenteurs d’animaux, le déploiement des moyens logistiques… Pendant ce laps de temps, le virus n’attend pas. En 2016-2017, le virus H5N8 progressait de 5 à 10 km par semaine. Cette fois-ci, c’est beaucoup plus. Il faut rester très humble face à ce risque…

Peut-on épargner des canards sains en milieu contaminé ?

C’est une position défendue par des producteurs qui ne tient pas dans la durée. Dans des secteurs très contaminés, il y a malheureusement peu de chance que des élevages sains à l’instant T le restent jusqu’au terme de l’épizootie. Pour employer une métaphore, il faut éteindre l’incendie en évitant de laisser des flammèches autour . Sinon, elles risquent de rallumer le feu dans quelques jours ou quelques semaines ou quelques mois. Il faut supprimer toutes source potentielle de redémarrage.

 

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