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Turquie
En Turquie, les investisseurs boostent l’élevage caprin

L’élevage traditionnel turc laisse progressivement la place, avec l’aide de l’État et de nouveaux investisseurs, à un élevage plus moderne et plus intensif.

Le lait de chèvre a connu un véritable boom en Turquie. Selon les statistiques turques, le cheptel caprin est passé de 7,2 millions de têtes en 2000 à 10,3 millions en 2014. Et la production de lait de chèvre a plus que doublé dans le même temps pour atteindre 463 000 tonnes en 2014. Cette croissance a surtout été rendue possible par l’arrivée d’une nouvelle génération d’éleveurs investisseurs, portés par la demande en lait de chèvre d’un grand pays de 75 millions d’habitants et par les soutiens financiers de l’État turc.

Ainsi, Cengizhan Orpak est un ingénieur agricole qui s’est lancé dans l’élevage caprin dans la région d’Izmir. Au printemps 2016, il a acheté 200 chèvres en France. « Mais, à cause des barrières sanitaires, mes chèvres ont dû stationner pendant un mois en Bulgarie avant de reprendre la route vers la Turquie » explique le nouvel éleveur. Abritées par un toit léger en toile, les chèvres restent toute l’année dans leur bâtiment moderne sur caillebotis avec tapis d’alimentation. À terme, cet investisseur qui emploie déjà quatre salariés vise un millier de chèvres. Les races locales sont aussi présentes comme à l’élevage Pan (www.pangoat.com) de Haydar Demirezer, la plus grosse ferme du pays, qui élève près de 5 000 chèvres Damascus, ces chèvres aux longues oreilles pendantes.

Depuis la cueillette de chevreaux jusqu’aux fermes industrielles

Hasan Subacha a pu, lui aussi, commencer son activité caprine en 2010 grâce aux aides financières du gouvernement. À côté du joli corps de ferme, il a bâti une fromagerie, une salle de traite et un bâtiment pour accueillir 500 chèvres Saanen. Après les naissances qui s’étalent de janvier à avril, les chevreaux restent 90 jours avec leur mère. Ensuite, seules 170 chèvres sont traites pour produire environ 55 000 litres de lait. Le lait est transformé en fromage frais et affiné ainsi qu’en de délicieuses glaces nature ou aromatisées au sésame ou au chocolat.

« Il existe en Turquie toute une palette d’intensivité de l’élevage caprin, explique Türker Savaş chercheur à l’université de Canakkale. Depuis les fermes industrielles de plusieurs milliers d’animaux jusqu’aux chèvres lâchées dans des îles dont les chevreaux sont capturés une année plus tard ». L’élevage traditionnel, sédentaire, nomade ou semi-nomade, représente encore la grande majorité du cheptel turc. Comme le troupeau de plus de 350 chèvres de la famille Baysemir.

Des chevreaux qui servent d’épargne

« Nous vivons au village mais nos chèvres sont parquées la nuit à côté d’une carrière » raconte Ibrahim Baysemir. La journée, son fils accompagne le troupeau qui pâture sur plusieurs centaines d’hectares de garrigues. Seules 150 chèvres donnent du lait. « Au pic de production, avec mon épouse, je trais tous les jours les 150 chèvres à la main en une heure environ ». Le lait est ensuite pasteurisé et refroidi et une laiterie vient le chercher. Quand il fait sec, ils ne traient que tous les deux jours pour laisser du lait aux chevreaux car la viande lui ramène la moitié de son revenu. Chaque chevreau, d’une quinzaine de kilos de carcasse, leur rapporte une trentaine d’euros. « Si j’ai besoin d’argent, je vends des chèvres ou des chevreaux » explique l’éleveur. En plus du lait et de la viande, les poils de chèvre sont vendus. Il en est de même des crottes qui sont réutilisées pour son potager ou vendues.

Les investisseurs montrent que les chèvres peuvent rapporter

« L’un des problèmes les plus importants de la production de petits ruminants en Turquie est la désorganisation des agriculteurs » regrette Ferhan Savran, éleveur, professeur à l’université et président de l’Association d’éleveurs de moutons et de chèvres de la province de Çanakkale, à l’ouest de la Turquie. Cependant, la création en 2006 du Syndicat des éleveurs caprins et ovins de Turquie a permis de fédérer les actions des syndicats provinciaux. L’association (http://turkiyekoyunkeci.org) regroupe aujourd’hui 200 000 adhérents et fonctionne grâce à 500 salariés. Cette association se veut être un pont entre les agriculteurs et le gouvernement, notamment pour bénéficier des aides du « Projet national d’élevage de moutons et de chèvres de Turquie » du Ministère de l’agriculture. Ainsi, une aide d’une vingtaine d’euros par chevrette est accordée si les deux parents sont connus et d’une dizaine d’euros pour les chevrettes de père inconnu. L’association aide donc à la tenue du livre généalogique ou à la commercialisation des animaux. Elle apporte aussi des conseils et des informations aux producteurs.

Car les problèmes ne manquent pas pour l’élevage caprin turc. Et Ferhan Savran de lister « les coûts de production élevés, la difficulté à commercialiser les produits, la réduction des pâturages, les faibles revenus ou le manque de volonté des jeunes pour l’élevage caprin. Les jeunes sont en ville et ne veulent plus travailler dans les conditions rudimentaires de leurs parents… » Mais cela change. Avec l’arrivée d’investisseurs, les producteurs traditionnels voient que l’élevage caprin peut être rentable. Des solutions se dessinent aussi pour mieux valoriser le lait. Le prix du lait varie selon les régions et les laiteries mais le prix moyen a quand même progressé depuis quelques années.

Des consommateurs attirés par l’image santé et gastronomique

« Je livre du lait de mars à septembre, explique Ferhan Savran qui élève 225 chèvres Saanen et 60 brebis Suffolk. Après le 15 août, le prix du lait de chèvre passe de 40 à 30 centimes d’euros le litre, quels que soient les taux protéique et butyreux ». Une des solutions pour mieux valoriser le lait pourrait être la création de coopératives qui pourraient répondre à la demande des citadins en produits locaux et tracés. Attirés par l’image de produits santé et gastronomiques, les consommateurs seraient prêts à payer plus cher les fromages ou les glaces au lait de chèvre. Pour Ferhan Savran, « il est nécessaire d’encourager la création de coopératives pour consolider les petites et les moyennes fermes et les transformer en exploitations spécialisées ».

Le développement caprin turc peut aussi passer par la recherche agronomique. Car bien qu’en croissance, la production moyenne reste faible, autour de 106 litres par chèvre et par an. Les efforts sur la génétique peuvent payer à l’exemple de la province d’Amasya où le gain de poids quotidien des chevreaux de race turque est passé de 120 à 160 grammes de 2010 à 2015. Dans le même temps, sur les 19 000 chèvres étudiées, le nombre de jumeaux est passé de 8 à 27 %. De quoi accompagner le boom caprin turc…

Le nomadisme en déclin face aux élevages fixes

Viande, laine et crottes aussi valorisées

Sur les 13,6 kilos de viande rouge consommée en moyenne par chaque turc, seuls 3 % seraient de la viande caprine. Comme en France, c’est la méconnaissance de cette viande, un peu d’appréhension sur le goût, le prix et la difficulté à en trouver qui font que les consommateurs turcs en mangent assez peu. L’autre difficulté vient de l’éloignement des éleveurs agropastoraux des abattoirs et des marchés urbains.

Pourtant berceau de la chèvre angora, la Turquie est devenue un acteur mineur dans le commerce de la laine mohair dominé par l’Afrique du Sud, le Lesotho, les USA, l’Argentine et l’Australie. Le cheptel angora turc a beaucoup diminué ces dernières années à cause de la baisse des cours du mohair. Il n’y aurait plus que 205 000 chèvres angoras, sur les 10 millions de caprins du pays, pour produire 325 tonnes de laine mohair. Pour tenter d’enrayer cette baisse, un programme d’aide de l’État est mis en place depuis 2010.

Enfin, le fumier caprin est aussi une denrée valorisée par les éleveurs. Par exemple, dans la région de Cukurova, 20 % des élevages caprins vendent les crottes de chèvres comme fertilisants.

Une nouvelle génération qui croit aux chèvres

Installés depuis trois ans dans la province d’Adana, Murat et Beyhan Ulusoy font partie de la nouvelle génération d’éleveurs qui modernise l’élevage caprin en Turquie. Avec leurs 350 chèvres Damascus aux longues oreilles, ils produisent des fromages traditionnels, des yaourts et des glaces au lait de chèvre. « Dans notre région, il n’y a pas de collecte spécifique de lait de chèvre. Celui-ci est mélangé au lait de vache et payé environ 25 centimes d’euro du litre. Et puis il y a le plaisir de faire son fromage et le vendre directement… »

Des grandes oreilles pour évacuer la chaleur

Pour les aider dans leur tâche, ces deux éleveurs de 35 et 37 ans emploient cinq salariés. « Le salaire minimal tourne autour de 500 euros par mois mais il doit être doublé pour avoir des salariés motivés » explique Beyhan. Ce sont notamment les salariés qui assurent la traite toute l’année ainsi que le contrôle de performance de chaque chèvre tous les deux jours, matin et soir. Ce contrôle de performance permet une sélection des animaux et les éleveurs commencent à vendre les jeunes boucs sélectionnés. « À condition de les tondre, les Damascus résistent aux fortes chaleurs, apprécie Murat. Alors que les Saanen cherchent de l’ombre à partir de 10 h 30, les Damascus restent encore au soleil à midi grâce à leurs grandes oreilles qui évacuent la chaleur ». Cette race mixte peut produire jusqu’à 1 000 kilos de lait par an et les chevreaux de quatre mois pèsent 35 kilos à quatre mois.

Des glaces au salep et des yaourts au pois chiche

Malgré la modernité, la ferme Kapra s’attache à produire des produits traditionnels turcs. Par exemple, leur glace au salep s’inspire de la boisson à base de farine d’orchidée habituellement consommée ici. Les fromages Tulum suivent aussi les techniques anciennes où le fromage égoutté est tassé dans une peau de chèvre et placé en affinage pendant au moins six mois. Ce fromage est vendu une trentaine d’euros le kilo dans les crèmeries et les boutiques bio d’Adana, la préfecture de la province, à une demi-heure de route de leur ferme de Cukurova. Ils fabriquent aussi du fromage frais, de la féta et du fromage à tartiner. Le yaourt aromatisé au pois chiche ou à la figue s’inspire aussi de recettes traditionnelles. La diversification se poursuit avec la fabrication récente des premiers savons au lait de chèvre aromatisés au romarin.

Pour se développer, le couple prévoit de construire rapidement un nouveau bâtiment qui accueillerait d’ici quatre ans jusqu’à 1 200 chèvres dont 900 à la traite. Ce bâtiment moderne avec raclage automatique des caillebotis coûterait 250 000 euros. Heureusement, le fonds d’aide au développement rural apporte jusqu’à 60 % de subvention.

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