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La chèvre au XX siècle
Les grandes mutations de l´élevage caprin (1er volet)

Au long du 20e siècle, l´élevage caprin français s´est profondément transformé avec une forte accélération dans les dernières décennies. Première partie de la rétrospective des mutations successives ayant conduit à la création d´une filière moderne.


L´élevage caprin français de la fin du 20e siècle offre dans ses structures, son cheptel, ses techniques, ses produits et ses marchés une physionomie radicalement différente de celle du début du siècle. Si, au fil des décennies, le dénominateur commun reste l´animal en réalité les mutations ont été telles, à l´instar d´ailleurs de l´ensemble des productions agricoles, que toute comparaison ne permet que le constat de deux mondes caprins radicalement différents à l´entrée et à la sortie du siècle. La question centrale, souvent posée, vise à comprendre pourquoi et comment un élevage caprin laitier moderne et compétitif a pu naître et se développer en France, à partir des années 60, alors que dans la plupart des autres pays septentrionaux de l´Europe de l´Ouest l´élevage de la chèvre périclitait (les pays méditerranéens ayant une autre problématique plus spécifique).

La réponse réside certainement dans l´existence d´un marché national du fromage de chèvre qui s´est, peu à peu, construit, développé et adapté aux évolutions de la consommation et de la distribution, cela tout en assurant des conditions économiques ayant permis le processus de modernisation de l´ensemble de la filière, et notamment de son amont avec son environnement professionnel et technique. Cette modernisation peut être qualifiée de « processus global d´intensification - d´industrialisation à vocation laitière et fromagère ».

Avant 1960 : le déclin avec désintérêt
La longue période des soixante premières années du siècle est globalement marquée par le déclin progressif du cheptel caprin français associé à des formes traditionnelles d´élevage. Les effectifs connaissent en effet une baisse inexorable : de 1,8 million de têtes en 1900 le cheptel décroît régulièrement pour tomber à 880 000 têtes en 1973.
Pâtissant d´une mauvaise image, associé en permanence au cliché ressassé de vache du pauvre c´est-à-dire l´animal des petits, des pauvres, des femmes, des pays déshérités, méprisé par les notables et les zootechniciens, l´élevage de la chèvre joue cependant un rôle économique et social beaucoup plus important qu´il n´y paraît dans la vie quotidienne de très nombreuses exploitations agricoles. De façon schématique il est possible de distinguer trois grands types de systèmes d´élevage, bien différenciés, qui ont cohabité pendant cette longue période.

- Les petits élevages familiaux de quelques têtes (rarement plus de 15 ou 20) sont largement répandus dans la plupart des régions françaises. C´est essentiellement l´affaire des femmes qui en tirent lait, fromages et chevreaux pour la consommation familiale, le surplus étant vendu sur les marchés de proximité. Ces petits ateliers sont le « porte-monnaie familial » dont la fonction économique et sociale a été une réalité significative. Assimilable à la basse-cour cette forme d´élevage a longtemps perduré dans sa fonction économique. Elle existe d´ailleurs encore aujourd´hui, de façon résiduelle, dans quelques régions traditionnelles comme la Bourgogne ou le Sud Est, mais elle est en voie d´extinction rapide.

- Les grands troupeaux, parfois transhumants, des régions méridionales dont les effectifs dépassaient souvent les 100 ou 200 têtes. Elevages extensifs exploitant en pâturage gardé des espaces incultes de garrigues, de landes, de zones arbustives ou de montagne, leur vocation productive était généralement double, lait et viande. Ils ont aujourd´hui pratiquement disparu à l´exception notable de la Corse où ils constituent encore de nos jours le système d´élevage dominant associé à la transformation fromagère fermière.
Dans cette catégorie se classent également les caprins présents dans les troupeaux ovins, notamment transhumants dans le Sud-Est, et dont la tradition se perpétue encore même si cette pratique régresse. Cette tradition de mixité ovins-caprins a d´ailleurs préservé de l´extinction la chèvre du Rove.

- Le troisième type d´élevage vivrier, très fréquent autrefois, était celui des une ou deux chèvres fournissant le lait de consommation domestique notamment dans les ménages des paysans-ouvriers de l´Est ou du Nord de la France ou des gens les plus pauvres en milieu rural qui s´efforçaient de vivre en autosubsistance alimentaire. S´y rattachent les images traditionnelles de la chèvre de la garde-barrière ou de la grand-mère sans ressources en milieu rural.
L´élevage caprin, et tout ce qui s´y rattache, reste confiné dans une certaine marginalisation. C´est de cette époque que datent les premières introductions de la race Alpine dans la région Centre. A l´initiative de quelques notables et propriétaires terriens, des chèvres alpines, réputées plus productives que les chèvres communes, sont achetées dans les Alpes françaises (Tarentaise, Saint-Marcellin) et implantées dans l´Indre et Loire, l´Indre et le Loir et le Cher.

Pendant cette période, les premières laiteries se lancent dans la collecte de lait de chèvre. Commence de ce fait l´ère de l´industrialisation et de la naissance des fromages de chèvre laitiers même si, alors, les fromages fermiers prédominent largement sur les marchés ruraux et urbains. En 1906, dans les Deux-Sèvres, sous l´impulsion du pasteur Enard de Bougon naît la première coopérative fromagère caprine créée par les éleveurs de chèvre ; suivront d´autres coopératives : la Mothe Saint Héray, La Mélusine, Lezay, etc.

1960-1970 : Les prémices du renouveau
La décennie des années 60 voit se mettre en place les premières bases de la structuration future de la filière et de son processus d´intensification - industrialisation qui se généralisera par la suite.
Si pendant cette période le cheptel caprin continue de décroître, car le point d´inflexion sera atteint en 1973 avec 880 000 têtes, on voit se constituer des troupeaux laitiers spécialisés de plusieurs dizaines de têtes, certains « gros troupeaux » de l´époque dépassant la centaine de chèvres en production. Ces troupeaux principalement constitués d´Alpines dans le Centre et de Saanen dans le Sud Est, adoptent progressivement les techniques d´élevages utilisées par les troupeaux bovins laitiers : alimentation rationnelle avec complémentation en fonction de la production laitière, traite mécanique, contrôle laitier et sélection, première mise bas à un an, stabulation libre en remplacement de la stabulation entravée, etc.

Ces premières révolutions zootechniques alimentent alors bien des polémiques entre traditionnels et modernes. Les bons élevages de l´époque atteignent des performances de 700 à 800 kg de lait en moyenne de troupeau. Une préoccupation majeure est la lutte contre la brucellose, maladie fréquemment associée à la chèvre et ses fromages. Le problème sera maîtrisé grâce à une prophylaxie sanitaire appliquée avec rigueur.
En 1970, on dénombre en France 160 000 élevages de chèvres (avec une moyenne de 4,5 chèvres) contre 200 000 en 1960.
Les premiers syndicats caprins départementaux, qui ont vu le jour dans les années 50 dans le Centre et le Sud Est, ont à l´origine une vocation plus technique que syndicale. En 1970 on dénombrera une trentaine de syndicats départementaux constitués majoritairement d´éleveurs sélectionneurs promoteurs des races Alpine et Saanen. Ces syndicats seront les supports professionnels des actions de vulgarisation en bénéficiant des services des «moniteurs» caprins de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres, créée en 1954, cela grâce à des financements nationaux alors gérés par la Fédération nationale ovine qui gère également le Livre généalogique Alpin.

En 1967, dans le cadre de la Loi sur l´Elevage promulgée en 1966, est créé l´Institut technique de l´élevage ovin et caprin (Itovic) qui comporte une section caprine autonome de par la volonté affirmée de la Fnec qui souhaite s´affranchir de la tutelle du secteur ovin.
C´est autour de l´équipe technique naissante d´ingénieurs de la section caprine, et de la quinzaine de techniciens caprins départementaux qui lui sont directement rattachés, que va s´organiser l´encadrement technique de la filière caprine. Parallèlement l´Inra développe des recherches caprines dans les domaines de l´alimentation, de la sélection et de la reproduction, de la pathologie, de la technologie laitière, préparant ainsi les conditions de l´amélioration de la productivité laitière dans l´avenir.

C´est de cette période que datent les premières brochures de vulgarisation aux titres évocateurs comme « Peut-on alimenter rationnellement les chèvres ». Issu du bulletin syndical de l´Indre et Loire le premier numéro de la revue La Chèvre est paru en mars 1958. La revue sera reprise en 1974 par la Section caprine de l´Itovic qui la développera et en fera une revue nationale largement diffusée auprès des éleveurs de toutes les régions.
Cette décennie 1960-1970 marque également un basculement dans la production de fromages de chèvre. Alors qu´en 1960 les fromages fermiers prédominaient en tonnage, l´année 1970 se clôture avec 16 000 t de fromages laitiers pour 13 000 t de fromages d´origine fermière sur un total de 29 000 tonnes. Le mouvement d´industrialisation de la filière fromagère caprine est donc bien lancé en parallèle avec la spécialisation - intensification laitière des élevages.

Article extrait de « Les grandes mutations de l´élevage caprin en France au 20e siècle ».
La seconde partie de cet article sera en ligne sur pleinchamp.com le 14 mars 2003.

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