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Les promesses du marché turc

Les Turcs ont faim de viande. De plus en plus ! Les tonnages nécessaires sont pour partie issus de bétail maigre importé puis engraissé localement. Les broutards achetés en France en 2015 avaient donné d’excellents résultats. Aujourd'hui, les éleveurs français gardent l'espoir de réexporter vers ce marché prometteur, qui oscille entre ouvertures et fermetures.

En 1996, la Turquie avait fermé ses frontières aux importations de viande et de bovins vivants en provenance d’Europe pour cause d’ESB. Mais depuis 2010, ce pays a commencé à réouvrir son marché aux bovins vivants. D’abord en direction de la Hongrie, de l’Uruguay et de l’Australie. Puis progressivement en direction d’autres pays, de façon à satisfaire à des besoins croissants, liés à l'augmentation de la population mais également à la hausse régulière du niveau moyen de consommation par habitant. Il s'agit de contenir la hausse du prix des bovins finis sur le marché intérieur tout en faisant en sorte que le marché soit correctement approvisionné. Un subtil équilibre qui doit permettre de répondre aux besoins de la population, sans pour autant décourager les producteurs locaux. D'ailleurs, pour satisfaire cette faim de viande et conserver une certaine autonomie pour approvisionner les outils d'abattage locaux, les Turcs entendent également développer leur production à partir de bétail maigre importé puis engraissé et abattu localement. L’objectif du gouvernement est que la viande bovine continue à être un produit abordable pour la plupart des consommateurs de ce pays. Contenir les prix de l’alimentation est une donnée clé pour préserver la paix sociale !

Élargir les débouchés du cheptel français

Vu d’un œil d’éleveur français, le marché turc est une possibilité supplémentaire pour élargir les débouchés du cheptel hexagonal. Cette nouvelle destination est une solution pour fluidifier les échanges. Tous les éleveurs ont en mémoire l’impact de l’ouverture du marché turc aux taurillons finis à l’automne 2011, puis pratiquement tout au long de l’année 2012. Au moins dans certains bassins de production, cela avait permis de vendre pour l’export des taurillons finis de 700 kg et plus, achetés en ferme jusqu’à 2,50 € du kilo vif. En quelques mois, cela avait permis de désengorger le marché des taurillons et avait eu un impact sur le prix de l’ensemble des catégories de bovins finis. Pour autant le nombre de JB exportés avait été limité : 47 000 têtes en 2011, puis 75 000 en 2012. Cette nouvelle porte de sortie avait surtout permis, quelques mois durant, de faire en sorte que l’amont de la production ne soit pas pieds et poings liés avec les seuls abatteurs français et leurs comparses de la grande distribution pour commercialiser le bétail fini. Mais cette embellie avait été de courte durée. Sous la pression des engraisseurs turcs, Ankara avait augmenté les droits de douane pour les importations de viande et d’animaux vivants. Résultat : en 2013, les ventes françaises de viande à la Turquie avaient été quasiment stoppées. Idem pour l’export en vif.

Après les JB, les broutards

Pratiquement deux ans plus tard, un phénomène similaire avait eu lieu avec le maigre. De décembre 2014 à septembre 2015, le marché français du broutard s’était soudainement fluidifié avec l’arrivée des acheteurs turcs. En se positionnant avec des tarifs attractifs pour les mâles de moins de 300 kg, ils avaient offert une nouvelle porte de sortie au maigre français, permettant d’échapper au quasi-monopole du débouché italien. « Au cours des dernières semaines de 2014, la France avait exporté quelque 2 000 broutards sur la Turquie. Ces exportations avaient perduré une bonne partie de l’année suivante avec 39 000 têtes au cours du premier semestre 2015, puis 40 000 en juillet, août et septembre, soit quelque 80 000 têtes sur l’année 2015 », soulignait alors l’Institut de l’élevage. En neuf mois d’activité, la Turquie avait été le débouché de plus des trois quarts des broutards français exportés sur les pays tiers en 2015. Un débouché brutalement interrompu par l’arrivée de la FCO en début d’automne 2015. Les autorités sanitaires turques ont alors refusé les animaux vaccinés et ont souhaité importer uniquement des animaux à PCR négative, impliquant une mise en quarantaine risquée pour l’exportateur en cas d’extension de la zone réglementée. En 2016, celle-ci s’est d’ailleurs progressivement étendue. Au total, seuls 14 000 broutards français ont été exportés vers la Turquie en 2016. Aucun l’année suivante.

Un certificat sanitaire bien compliqué

Le 13 novembre dernier, après deux ans de négociations entre les services vétérinaires des deux pays, la Turquie a accepté de réouvrir son marché aux bovins maigres français. Mais le niveau d’exigence demandé fait qu’aucune expédition n’a été réalisée. « Le certificat sanitaire interdit l’importation des animaux issus d’élevages situés dans une zone de 20 km de rayon autour des foyers FCO (sérotype 4 ou 8) de moins de 60 jours. Par ailleurs, les animaux destinés à l’export doivent être vaccinés contre la FCO (deux injections à 3 semaines d’intervalle + 60 jours de mise en place de l’immunité) et subir en élevage un protocole de désinsectisation pendant 39 jours. Passé cette première étape, les broutards doivent être mis en quarantaine durant 21 jours en centre de rassemblement dans un bâtiment équipé de filets empêchant l’entrée des culicoïdes, vecteurs de la maladie. Rappelons que le culicoïde est un diptère (ordre du moustique) d’une taille inférieure à 4 mm », soulignaient alors les économistes de l’Institut de l’élevage.

D’autre part, depuis 2015, la situation économique de la Turquie s’est dégradée, entraînant une dépréciation de la lire turque de près de 40 % en trois ans, ce qui renchérit d’autant le prix des animaux européens et français importés. Or, dans le même temps, le real brésilien et le peso uruguayen, monnaies des principaux fournisseurs de la Turquie, se sont chacune dégradées de près de 20 % face à l’euro. Soit autant de compétitivité prix gagnée par les exportateurs sud-américains sur le marché turc, aux dépens des bovins européens. Pas étonnant dans ces conditions que ces pays aient regagné des parts de marché.

L’export de maigre français ne fait pas l’unanimité

En 2015, la tension sur prix du bétail maigre français, induite par l’arrivée du débouché turc, n’avait pas non plus forcément été analysée d’un très bon œil par les filières d’engraissement et d’abattage européennes. Bien des acteurs de l’aval n’ont aucun intérêt à voir arriver un nouveau débouché pour les animaux maigres, dans la mesure où toute forte hausse des prix du broutard déstabilise forcément les filières d’engraissement. Comme le soulignent certains observateurs, bien des opérateurs – notamment français, mais surtout italiens – ont tout intérêt à ce que la réglementation du certificat sanitaire avec la Turquie n’évolue pas puisque la situation actuelle se traduit par un marché du maigre verrouillé à leur avantage.

La viande, un secteur stratégique

La Turquie totalise 78,8 millions d’habitants, dont un peu plus de 15 millions pour la seule capitale Istanbul. C’est une population jeune avec une démographie en progression, gonflée par l’afflux des réfugiés syriens (estimés à 1,9 million de personnes). Les Turcs sont très majoritairement de confession musulmane. La viande bovine ne souffre donc d’aucun interdit, bien au contraire. Et même si elle s’est légèrement ralentie, la croissance économique contribue à renforcer la demande. D’après des statistiques de l’Institut de l’élevage, la consommation intérieure était de 1,08 million de tec en 2016 pour une production abattue de 1,06 million de tec. Même si l’évolution des habitudes de consommation permet aux muscles tranchés d’occuper une place croissante sur le marché, la viande rouge est souvent vendue sous forme de boulettes aux formes et assaisonnements variés. Les Turcs consomment en moyenne 14 kilos de viande rouge (bœuf et mouton) par an et par habitant mais c’est toutefois la viande de volailles qui est la plus consommée (19 kg/an/habitant).

La Turquie agricole

Côté élevage bovin, la Turquie est une terre de contrastes. Elle fait cohabiter deux modèles : des fermes familiales de moins de dix bovins, correspondant à un élevage vivrier, et des feedlots aux dimensions XXL de plus de 10 000 têtes, appartenant le plus souvent à des entreprises qui ont souhaité diversifier leurs activités ou ont voulu intégrer l’amont de la production. Le secteur agricole est considéré comme prioritaire. L'État le soutient en conséquence et peut appliquer sur certains produits de fortes protections douanières. Il a d’ailleurs eu l’occasion de le faire pour la viande ces dernières années. L’agriculture turque bénéficie de la grande variété de terroirs du pays. Ils permettent une production agricole très diversifiée, notamment dans le secteur des fruits et légumes (cerises, noisettes, figues, pastèques, pommes, abricots…).

Des aides nationales et un coup de pouce de l’Europe

Compte tenu de son importance, l’élevage fait partie des priorités du ministère de l’Agriculture, lequel axe une grande partie de ses soutiens vers son développement : subventions pour tout nouvel investissement ou agrandissement de structures existantes pouvant aller jusqu’à 50 %, aides directes et indirectes à la production (fioul, primes pour les naissances, etc…), prêts bonifiés aux investissements via la banque d’État « Ziraat Bankasi », projet jeune fermier (Genç Çiftçi Projesi) se traduisant par une dotation de 30 000 livres ( environ 6 000 €) pour de jeunes éleveurs de 18 à 40 ans afin d’aider à l’achat de bovins reproducteurs ou d’engraissement. Dans le cadre de son projet d’adhésion à l’Union européenne, la Turquie dispose par ailleurs d’un soutien financier de l’instrument d’aide de préadhésion « Développement rural » (870 millions d’euros entre 2007 et 2013). Ce programme IPARD finance des mesures de développement rural s'inspirant du programme européen Feader.

La Turquie importe de plus en plus de bétail maigre

Selon les données douanières, la Turquie a importé 27 000 bovins maigre en 2014. Ce chiffre est passé à 360 000 têtes en 2015 avec, dans l’ordre, l'Uruguay (142 000 têtes), la France (81 000 têtes) et la Hongrie (39 000 têtes) comme principaux fournisseurs. En 2016, le volume de bétail sur pied importé a véritablement flambé. Il est passé à 750 000 têtes, soit plus du double de 2015, avec dans l’ordre comme principaux fournisseurs l’Uruguay (271 000 têtes), le Brésil (159 000 têtes) et la Hongrie (102 000 têtes), très loin devant l’Australie (58 000 têtes) et le Chili (23 000 têtes).

En 2017, le nombre d’animaux importés a continué de progresser, avec plus de 650 000 têtes. Uruguay et Brésil demeurent de très loin les premiers fournisseurs.

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