« Nous maîtrisons nos outils pour produire 2,8 millions de litres de lait et sécuriser nos revenus », dans la Meuse
À l’EARL Lemoine, dans la Meuse, les associés veulent avoir la main au maximum sur les composantes de leur revenu : bâtiments autoconstruits, matériel en propre, diversité des productions, tout vise à sécuriser leur système.
À l’EARL Lemoine, dans la Meuse, les associés veulent avoir la main au maximum sur les composantes de leur revenu : bâtiments autoconstruits, matériel en propre, diversité des productions, tout vise à sécuriser leur système.
À L’EARL Lemoine, tous les bâtiments sont autoconstruits. « Nous nous sommes lancés dans l’autoconstruction par hasard, mais une fois qu’on a mis la main dans l’engrenage, nous y avons pris goût », explique Roger Lemoine, patriarche de la ferme, qui conserve des parts dans l’entreprise et reste bénévole à mi-temps. L'autoconstruction est un moyen de réduire les coûts, mais aussi de maîtriser la conception de bout en bout. « Cela prend du temps, mais nous le contrôlons, il n’y a pas de problématiques liés aux fournisseurs », renchérit Roger Lemoine.
Indépendance, maîtrise, cet exemple illustre bien la philosophie du collectif de onze personnes (6 associés et 5 salariés) qui travaillent sur la ferme. Ensemble, ils produisent 2,8 millions de litres de lait.
Fiche élevage
700 animaux, tous issus du troupeau laitier
2,8 millions de l lait
270 vaches à 11000 kg
4 robots de traite
800 ha de SAU dont 150 de blé, 150 d’orge, 150 de colza, 150 de maïs, 190 d’herbe
6 associés et 5 salariés dont 1 pour le centre équestre
1 unité de méthanisation
Des bâtiments hauts et polyvalents
« Nous avons des outils adaptés, costauds, polyvalents et qui durent », estime Roger Lemoine. Le bâtiment des vaches, qui mesurait 35 mètres de long au départ, atteint dorénavant 91 mètres. Il est également très haut, environ 12 mètres, ce qui assure une bonne ventilation et une bonne ambiance, sans odeur d’ammoniaque. La hauteur permet aussi, « de pouvoir en faire autre chose si nous devions revendre à quelqu’un qui ne fait pas d’élevage », estime Roger Lemoine. Une perspective qui n’est pas dans les tuyaux, mais qui dénote l’importance de parer à toutes les éventualités pour les associés de l’EARL.
Ils ont d’ailleurs gardé l’idée de la hauteur et de la polyvalence pour tous les autres bâtiments. Celui qui héberge les jeunes animaux croisés en hiver accueille des céréales, des machines mais aussi les petits veaux en été.
Le stockage est également un point important pour les éleveurs. « Nous avons toujours essayé d’avoir plus de place de stockage que de besoins en fourrages, pour sécuriser l’alimentation du troupeau », estime Marylène Jusnot, associée gérante de l’EARL et fille de Roger Lemoine. Rien n’est stocké à l’extérieur, même les silos de maïs et d’herbe sont en bâtiment. « Ils restent propres, les conditions de stockage sont bonnes et cela nous permet de bâcher à l’abri », explique l’éleveuse. Au-dessus des silos sont stockés du foin ou de la paille : aucune place n’est perdue, « et cela améliore le tassage », renchérit-elle.
Car l’ensilage est la clé de voûte du système laitier. « Nous voulons le meilleur fourrage possible, c’est ce qui fait la production de lait », explique Marylène Jusnot. Elle cite l’exemple des résultats 2024, où la production laitière a atteint en moyenne 11 000 litres par vache, alors qu’elle n’était que de 9 900 litres l’année précédente : « Ce sont les maïs de 2023 qui ont permis ces résultats, la qualité était exceptionnelle. »
Une ensileuse pour avoir la main sur la récolte
Aujourd’hui, avec l’unité de méthanisation, les associés se permettent de trier les fourrages : après analyse, les meilleurs vont au troupeau, les moins bons à la méthanisation. « Une année, un ensilage de seigle, normalement destiné à la méthanisation, était de meilleure qualité qu’un ensilage d’herbe. Nous avons interverti les destinations, et distribué l’ensilage de seigle au troupeau », illustre l’éleveuse.
Pour atteindre leur objectif de qualité de fourrage, « avec un maximum d’amidon by-pass », les associés de l’EARL Lemoine ont voulu avoir la main sur la date de récolte. Ils ont donc investi dans une ensileuse. Ils surveillent de près ses réglages, pour obtenir la finesse de hachage et l’éclatement des grains qu’ils recherchent, et les réadaptent si besoin pendant les chantiers.
« Hervé, mon frère, a une formation de mécanicien, c’est lui qui fait la majorité de l’entretien du matériel, mais nous sommes tous sensibilisés. Nous avons un bon atelier. Nous achetons souvent du matériel d’occasion, et tout est revu par Hervé », explique Marylène Jusnot. L’EARL Lemoine possède l’intégralité de son matériel en propre.
Être polyvalents, pour faciliter les remplacements
Les associés de l’EARL Lemoine ont choisi de garder une certaine polyvalence afin de pallier les éventuelles absences.
À l’EARL Lemoine, chacun a sa spécialité : Hervé Lemoine la mécanique et les traitements, Sylvain Lemoine la gestion du troupeau et des céréales, Olivier Lemoine l’alimentation et la méthanisation, Matthieu Jusnot la fauche, les semis et la méthanisation, Marylène Jusnot l’atelier équin et l’administratif. « On a chacun nos préférences, sauf pour l’administratif que je ne fais pas de gaieté de cœur, mais nous restons tous polyvalents », explique Marylène Jusnot. Les quatre salariés de la partie polyculture élevage, eux aussi, sont polyvalents : « c’est moins monotone pour eux », estime l’éleveuse. Une stratégie qui permet aussi de pallier facilement l’absence d’un membre de l’équipe. « Nous fonctionnons beaucoup en binôme. Il n’y a que sur l’administratif que ce serait plus compliqué de me remplacer, mais tout est classé, je pense qu’ils s’y retrouveraient vite », ajoute Marylène Jusnot.
Des outils pour faciliter la transmission d'infos
Pour faciliter les transmissions, l’équipe utilise des tableaux : au niveau du robot pour les vêlages, au niveau de la pharmacie pour les traitements, au-dessus des niches pour les veaux. « Tout est noté, on sait exactement où on en est. Nous avons aussi l’application avec le robot de traite Lely, pour les chaleurs notamment, et puis, on peut toujours compter sur un autre membre de l’équipe. C’est l’avantage d’être nombreux et polyvalents », estime l’éleveuse.
Dans le bureau, des plannings sont affichés, pour que chacun puisse savoir qui est présent, absent ou encore d’astreinte. Chaque matin, vers 8 heures, associés et salariés se retrouvent pour déjeuner, répartir le travail et « refaire le monde, ajoute Marylène Jusnot. Si nous avons des investissements à faire, ou si nous devons parler des congés, nous convoquons une réunion entre associés. Cela nous arrive environ une fois par mois. Nous avons également un groupe Whatsapp. Cela nous permet de communiquer rapidement et que tous les associés soient au courant lorsqu’il se passe quelque chose ».
Outre la révision du matériel, l’atelier sert aussi à la conception d’outils de travail. La cage de parage, qui leur sert tous les quinze jours environ, selon les besoins, ainsi que les logettes ont été autoconstruites. « Nous sommes allés voir plusieurs types de logettes, nous avons pris des idées et conçu l’outil qui nous semblait le plus adapté », explique Marylène Jusnot. Les logettes sont en métal, renforcées à la base avec du béton, et avec un bat-flanc flexible, pour permettre aux vaches de se mouvoir plus facilement.
Semences sexées et croisement Hereford
« Les vaches sont devenues trop grandes, estime l’éleveuse, nous cherchons maintenant des taureaux qui apportent de la rusticité, des vaches qui tiennent et qui marchent bien. » Les éleveurs sélectionnent sur la santé des pattes et sur les mamelles, pour qu’elles soient adaptées au robot. « Nous ne cherchons pas des taureaux qui améliorent la production laitière. Une prim’Holstein produit lorsque les fourrages sont de qualité », ajoute-t-elle.
La stratégie de reproduction est très claire : les meilleures vaches, 40 % du troupeau, sont inséminées en semences sexées, pour assurer le renouvellement, avec une marge de sécurité. « Nous échangeons beaucoup avec notre technicien d’Elitest, qui suit le troupeau sur les aspects reproduction et génotypage », indique Marylène Jusnot. Quelques embryons sont posés sur génisses, le reste est inséminé en croisement Hereford. « Lorsque nous avons mis en place cette stratégie, les veaux mâles prim’Holstein ne se vendaient pas, nous n’en voulions plus, explique Marylène Jusnot. Aujourd’hui, la conjoncture est meilleure, mais cela ne remet pas en cause notre décision, nous préférons jouer la sécurité. »
Les croisés, mâles castrés et génisses, sont vendus à 2 ans. Cette diversification permet de valoriser les prairies naturelles. « Les croisés Hereford poussent tout seuls, ils sont prêts à partir sans finition », estime l’éleveuse. Elle apprécie également le caractère de ces animaux, doux et dociles. « Nous avions essayé du croisement charolais ou limousin, mais les veaux sont trop sauvages », ajoute-t-elle. Les éleveurs ont un contrat dans la démarche Herbopack, avec la coopérative EMC2. « Il nous assure une rémunération de base, qui peut fluctuer à la hausse. On sait où on va », apprécie Marylène Jusnot.
Diversifier les sources de revenus
Viande, lait, céréales, méthanisation et bientôt photovoltaïque sur toiture, les associés de l’EARL Lemoine voient la diversification comme une clé pour sécuriser leurs revenus. Mais attention, plus question d’augmenter la production ou de racheter des terres. « Nous pensons à l’avenir, mes frères partiront en retraite dans dix à quinze ans, et nous ne savons pas comment transmettre une structure comme la nôtre, se projette Marylène Jusnot, toujours dans l’anticipation. Nos enfants sont encore jeunes, et même si trois d’entre eux semblent intéressés, cela peut changer. De toute façon, ils n’arriveront pas à faire à trois ce qu’on fait à onze. Nous devons réfléchir à ce sujet. »
La rentabilité de l'atelier lait
| Résultats économiques (€) du 1/1/2024 au 31/12/2024 | |||
| Produits | 1 589 424 | Charges | 1 005 422 |
| Lait | 1 372 864 | Charges opérationnelles | 504 968 |
| Vente d’animaux | 118 294 | dont concentrés VL | 256 396 |
| Achat d’animaux | 1 200 | concentrés génisses | 30 093 |
| Variation inventaire animal | - 19 910 | Frais d’élevage | 115 258 |
| Frais de culture | 73 127 | ||
| Aides complémentaires directes | 8 035 | Charges de structure hors amortissements | 500 454 |
| Aides découplées | 75 582 | dont main-d’œuvre salariée | 65 002 |
| Autres produits | 33 359 | foncier | 56 275 |
| mécanisation | 145 351 | ||
| bâtiment | 63 497 | ||
| MSA | 99 910 | ||
| EBE lait : 584 002 euros | |||
| Approche comptable | Approche trésorerie | ||
| Amortissements | 136 808 € | Annuités | 112 249 € |
| Frais financiers | 13 835 € | Frais financiers | 14 746 € |
| Source : Écolait Meuse. | Résultat disponible lait | 457 007 € | |
| Résultats technico-économiques du 1/1/2024 au 31/12/2024 | Principales charges et produits aux 1 000 litres | ||||
| Exploitant | Groupe(1) | Exploitant | Groupe(1) | ||
| Nbre de vaches présentes | 271 | 115 | Prix de vente du lait | 465 € | 468 € |
| UMO lait | 3,5 | 2,05 | Produits viande | 32 € | 49 € |
| Lait commercialisé | 2 809 470 l | 1 108 365 l | Aides | 27 € | 19 € |
| Lait/vache | 11 096 l | 9 367 l | Achat d’aliments | 95 € | 117 € |
| TB - TP | 41,5 - 33,6 g/l | 41,2 - 33,8 g/l | Frais de production végétale | 24 € | 25 € |
| Âge 1er vêlage | 28 mois | 30 mois | Frais d’élevage | 38 € | 47 € |
| IVV | 451 jours | 412 jours | Mécanisation | 48 € | - |
| Prix réformes | 1 288 € | 1 208 € | Bâtiments et installations | 21 € | - |
| Prix veaux | 300 € | 234 € | Frais généraux | 24 € | - |
| Concentré et minéraux | 2 580 kg/VL | 2 471 kg/VL | Foncier | 19 € | - |
| (1) Groupe Écolait Sud-Est Meuse. | Rémunération MO lait | 28 € | - | ||
Lionel Vivenot, conseiller en élevage laitier à l’Union laitière de la Meuse
« Un collectif qui travaille les détails »
« À l’EARL Lemoine, ce qui saute aux yeux, c’est l’entente entre les associés. Ce sont aussi des éleveurs très pointus, les vaches sont toujours propres et en état. Ils sont très minutieux quant à la qualité du fourrage, à sa conservation. Cela se voit dans les détails : tout le monde ne dispose pas les bâches le long des murs lors de la confection des silos par exemple. Leur maîtrise se voit aussi dans celle des charges : une ration simple, avec des matières premières de qualité, autoconstruction des bâtiments et achat de matériel d’occasion. Tous ces éléments permettent à la structure de dégager une bonne rémunération du travail, avec un EBE de près de 200 euros pour 1000 litres. Et même si la taille de l’exploitation paraît importante, ramenée au nombre de personnes qu’elle fait vivre, elle ne l’est pas tant que ça. »