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[CONDUITE BIO] Mécaniser tout ce qui peut l’être

Dans l’Hérault, le domaine des Soulié cultive la vigne depuis près de quatre siècles. Il est certifié depuis 1991 mais n’a jamais eu recours aux intrants chimiques de synthèse. Pour Rémy Soulié, la clé en agriculture biologique est de ne pas se laisser déborder. Cela passe par la mécanisation de la plupart des travaux des vignes.

Pour Rémy Soulié, le bio c'est aussi prendre soin du patrimoine culturel et paysager. Il prévoit de retaper cette chapelle en ruine, située à quelques mètres de ses vignes. © J. Gravé
Pour Rémy Soulié, le bio c'est aussi prendre soin du patrimoine culturel et paysager. Il prévoit de retaper cette chapelle en ruine, située à quelques mètres de ses vignes.
© J. Gravé

C’est à Assignan, petite commune de l’AOP saint-chinian, que la famille de Rémy Soulié cultive la vigne depuis 1650, sans un seul produit chimique de synthèse. « Mon père a refusé la chimie lorsqu’elle a débarqué dans les années 60. C’était un vrai terrien, il considérait que son travail était d’exploiter ce que sa terre voulait bien lui donner, ni plus ni moins », raconte Rémy Soulié. Installé depuis 1984, et fraîchement élu maire de la commune, il fait partie des tous premiers vignerons certifiés bio par Ecocert, organisme créé en 1991. « On voulait se différencier », se rappelle-t-il.

Remplacer petit à petit les vignes en gobelet par des cordons

Mais qui dit bio depuis toujours ne dit pas viticulture d’un autre temps, Rémy Soulié insiste là-dessus. Depuis son installation, il a d’ailleurs profondément modifié le vignoble familial dans l’objectif de mécaniser un maximum de travaux. « Avec 30 ha, il ne faut surtout pas se laisser déborder », pointe le vigneron. Déjà dans les années 90, il constate que la main-d’œuvre est rare. Or en bio, l’usage de produits de contact et l’entretien du sol nécessitent de passer plus de temps à chaque tâche qu’en conventionnel. « Je ne peux pas me permettre d’être tributaire de qui que ce soit, déclare-t-il. C’est pour ça que j’ai choisi de mécaniser tout ce que je pouvais. » Pour cela, il a fallu arracher les vignes en gobelet et replanter en cordon. Prétaillage, palissage, relevage, épamprage, travail du sol, tout est réalisé à la machine. « J’ai deux tracteurs légers, dont un sur chenillard pour limiter le tassement de sol », précise-t-il. Rémy Soulié a également opté pour des vendanges mécaniques, et s’est équipé d’une des machines les plus performantes du marché, l’Opti-grape de New Holland. « C’est incroyable ce qu’elle est capable de faire en termes de tri », témoigne-t-il. Un investissement conséquent qu’il rentabilise par de la prestation de récolte. On lui a parfois reproché cette « mécanisation à outrance ». « Peut-être à raison », analyse le viticulteur. « Mais c’est la beauté du métier, on est libre de nos choix. »

Cette liberté, il la trouve notamment dans sa gestion de l’enherbement. « En bio, il n’y a pas d’obligations en ce qui concerne le travail du sol », rappelle Rémy Soulié. Aucune intervention n’est effectuée après les vendanges et jusqu’au printemps. « Je ne sème pas d’engrais verts, j’apporte des engrais organiques sur 2 ha/an », développe le viticulteur. Ses rendements moyens s’établissent à 35 hl/ha sans variations selon les millésimes. Le vigneron ne souhaite pas aller au-delà. Au printemps, il décavaillonne mais ne touche pas à l’interrang « car jusqu’au solstice, on peut avoir beaucoup de pluie. ». Une fois cette période passée, il désherbe mécaniquement en plein. « L’été nos sols argilo-calcaires ont tendance à se fissurer. Or chez nous, il y a souvent du vent, qui pénètre dans ces fentes et dessèche les racines ». Il constate que le fait de travailler son sol régulièrement créé une couche de terre protectrice vis-à-vis de ce phénomène.

Des panneaux photovoltaïques pour récupérer l’énergie solaire

En revanche côté maladies, le viticulteur dispose de nettement moins de liberté. « En bio, si on voit des symptômes, c’est trop tard », affirme-t-il. Agir en préventif nécessite un grand travail d’observation, pratiquement tous les jours. « Mais on est des privilégiés, on a quand même peu de pression par chez nous. » Il gère l’ensemble des maladies par des substances autorisées en bio, et n’utilise pas de purins et autres décoctions. Jamais il n’a eu besoin de dépasser les doses de cuivre autorisées. Seule la flavescence dorée lui cause des ennuis. « Les traitements en bio ne sont pas efficaces. J’ai dû arracher la moitié d’une parcelle cette année », peste-t-il.

Par curiosité, mais aussi parce que les anciens lui ont toujours dit qu’il fallait vendanger avant l’Équinoxe pour éviter la pluie, Rémy Soulié a planté des cépages d’ailleurs, plus précoces, comme le chenin ou le pinot noir, en plus des cépages traditionnels du coin. Une façon aussi d’étaler le travail sur la période cruciale des vendanges. « Mais au fil des années, on voit bien que les dates de récolte se concentrent », observe-t-il. Le soleil, qui brille ici plus de 2 500 h/an, le vigneron a décidé de le mettre à profit. Sur le toit du chai « qu’on a construit nous-mêmes en trente ans », près de 1 000 m2 de panneaux photovoltaïques captent l’énergie solaire. « Je voulais aller au bout de ma démarche et optimiser la surface sur les toits de mon bâtiment » explique-t-il.

Ne pas laisser la vigne livrée à elle-même, mais l’accompagner

Un conseil à donner à quelqu’un qui souhaite se lancer en bio ? « Du courage et du travail », plaisante le vigneron. « Plus sérieusement, travailler en bio ne veut pas dire laisser la vigne livrée à elle-même. Il faut l’accompagner si on veut avoir un peu de jus, et donc de quoi vivre. » Quant au prochain défi que le vigneron a décidé de se lancer, il n’est pas forcément là où on l’attend. « Je vais retaper la petite chapelle en ruine située sur les hauteurs d’un îlot où j’ai 4 ha de vignes », s’enthousiasme l’Assignanais. Ainsi, ses aspirations d’aujourd’hui portent sur la préservation du patrimoine paysager et historique du territoire dont il est issu. Cette culture-là, les amateurs de vins bio y sont aussi sensibles.

Emma Carrot, conseillère en viticulture biologique à la chambre d’agriculture de l’Hérault

« La flavescence dorée est le fléau contre lequel on peut difficilement lutter en bio »

Les surfaces en bio dans l’Hérault augmentent en moyenne de 22 % par an. Les viticulteurs se disent que quitte à passer sous certification environnementale, autant choisir le bio car c’est celle qui est la mieux valorisée. La plus grande crainte avec la conversion, c’est la paperasse. Nombreux sont ceux qui ont peur de ne pas s’en sortir avec les dossiers à monter, alors qu’en fait c’est assez facile. La seconde crainte concerne la gestion de l’herbe sous le rang, car l’investissement en matériel peut vite monter à 20 000 €. Mais surtout il faut apprendre à le manier. Chez nous le chiendent peut vite devenir incontrôlable si on n’est pas vigilant. Si la transition se fait en douceur, alors que le désherbage est déjà principalement mécanique, il n’y a pas de grandes variations de rendements. La gestion phytosanitaire est également source d’inquiétude, car travailler en bio c’est un peu escalader sans baudrier. Il faut agir en préventif et être vigilant sur la rémanence des produits qui est bien plus courte qu’en conventionnel. Beaucoup ont peur de se faire avoir par la météo, alors ils investissent dans des engins qui permettent de traiter vite, comme les quads.

Au fil du temps, il n’y a pas de nouvelles contraintes qui apparaissent si ce n’est celles que les producteurs se mettent pour se challenger. Cela va de la conduite en biodynamie à la fabrication de ses propres semences pour les engrais verts en passant par la recherche d’alternative au cuivre. Il y a seulement deux raisons pour lesquelles je déconseillerai à un producteur de s’engager dans la bio. Si c’est un coopérateur et que sa cave ne valorise pas les raisins bio, il ne faut pas y aller. Psychologiquement, c’est très dur de voir sa production mélangée au reste. Je le déconseille aussi si le phytoplasme de la flavescence dorée est présent dans le vignoble ou dans les parcelles alentour. C’est le fléau de l’Hérault, et les produits autorisés en bio ont une efficacité trop aléatoire. Le black-rot est également difficile à contrôler en bio mais heureusement dans notre département, la pression est faible.

 

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