Un nouvel envol pour la poule Grise du Vercors
Pour pérenniser la race pure du Royans Vercors, des passionnés ont créé un croisement F1 mixte, croissant plus vite et dont la chair séduit les gourmets. Une filière locale économiquement viable se construit avec une trentaine de fermiers convaincus.
Pour pérenniser la race pure du Royans Vercors, des passionnés ont créé un croisement F1 mixte, croissant plus vite et dont la chair séduit les gourmets. Une filière locale économiquement viable se construit avec une trentaine de fermiers convaincus.




Dans la Drôme, Franck Blanchard, fort d’une longue expérience dans la filière avicole comme technicien et diplômé en pathologie aviaire à l’université de Madrid, s’était laissé convaincre par la chambre d’agriculture, qui soutenait la préservation de la race locale, la Grise du Vercors, de faire éclore des poussins et les vendre. « Cependant, les agriculteurs ne voulaient pas de cette race pure pour des raisons économiques évidentes. Je n’ai jamais dépassé les 3 000 poussins l’an au meilleur moment. Il m’a fallu au moins deux ans pour convaincre l’association de travailler sur un croisement pour développer une filière locale durable », se souvient-il.
Passionné, il a défendu sa stratégie, donné du temps et investi dans du matériel d’éclosion sur sa ferme proche de Crest. Et puis, il y eut un long travail de sélection et d’hybridation. « J’ai réactivé mon réseau et d’abord testé une poule récessive lourde ; mais elle pondait peu. Le second essai avec une naine lourde a été bien plus concluant », rappelle Franck Blanchard. Il envisage de pouvoir travailler avec le centre de Béchanne dans l’Ain (qui avait stabilisé la race pure en 2007) en lui confiant une centaine de grands parentaux, en sus de ceux élevés par l’association.
Un couvoir en construction
Des travaux sont en cours pour finaliser un couvoir dont la capacité d’éclosion va atteindre 16 000 œufs. Actuellement une trentaine d’éleveurs produisent des œufs et de la viande avec ces volailles F1. Ils achètent de 500 à 2000 poussins par an selon les cas, hormis la ferme des Blâches (Crest) qui en commande 1 400 par mois.
Cette exploitation rachetée fin 2021 par Romain et Jérémie Benoît gérant le Gaec la Ferme félinoise vend déjà en direct de la viande limousine, des volailles et des œufs bio. « Nous sommes au total 19 salariés et abattons 3 000 volailles par semaine, destinées à 12 marchés (vente directe), les halles de Nîmes et à une plateforme e-commerce pour quatre tournées par mois à Lyon. Nous externalisons un élevage label de cou-nus. Ici, nous élevons des pintades et développons les poulets Gris du Vercors », précise Romain Benoît. « En 2023, la ferme en a vendu 7 000, cette année 14 000 Gris du Vercors sont destinés à la vente locale aux particuliers et aux belles tables, qui craquent pour le goût de sa viande et de sa fine peau grillée. »
La Ferme des Blâches est vite devenue un rouage important de la filière locale de niche rêvée par Franck Blanchard. Elle a en effet investi dans un abattoir (thermoformeuse en 2023, étiqueteuse automatique en 2024 et la robotisation en 2025 pour un montant de 350 000 euros). « Nous pouvons proposer des Gris entiers et en découpe et les autres producteurs utilisent nos services », commente l’éleveur.
Une filière en gestation
Un couvoir, un abattoir, un conseil technique, des maillons essentiels : la filière se construit et les producteurs réfléchissent à constituer un groupement. « La Grise du Vercors peut être une source de revenu complémentaire pour les locaux. En période de difficultés c’est une chance pour les agriculteurs », ajoute Romain Benoît.
« La demande est là, l’an prochain, nous vendrons 60 000 poussins et il faudra atteindre 500 000 poules par an pour que la filière soit rentable. Nous retravaillons le cahier des charges de la marque Gris Pro F1NL en misant sur le bien-être animal. L’organisation d’un groupement nous permettra par exemple de répondre à une demande de Rungis et de satisfaire des éleveurs prêts à se lancer, mais sans effectuer de vente directe. Nous devons franchir rapidement ces nouvelles étapes pour ne pas laisser passer le train et pour que les éleveurs puissent vivre de cette activité », défend Franck Blanchard.
« La filière se construit et les producteurs réfléchissent à constituer un groupement »
Le saviez-vous
Une race mixte du début du XXe siècle
La poule au plumage gris tacheté de blanc et aux oreillons blancs se rencontrait dans les fermes du Royans Vercors au début du XXe siècle. Cette race locale résulte d’un croisement entre les poules noires du Vercors et celles des Italiens de Vénétie venus exploiter du bois dans la région. La Grise du Vercors a failli disparaître dans les années 1950, puis l’association Ouantia est née il y a vingt ans pour tenter de la sauver de l’oubli. À l’heure actuelle, cette action permet de conserver 600 coqs et poules de race pure. D’ores-et-déjà, des entreprises souhaitent effectuer des dons (1) pour contribuer à préserver cette poule cendrée emblème d’un territoire.
Une saveur qui séduit les gourmets
Une trentaine d’éleveurs de Gris du Vercors vendent en direct des poulets et/ou des œufs. Ce marché de niche concerne les marchés locaux ou des chefs renommés.
« Des œufs de poule rousse on en trouve partout, mais mes œufs de Grise du Vercors m’ont permis de fidéliser une clientèle dans le bassin de Grenoble. Je n’ai pas encore trouvé un équilibre financier car j’investis dans quatre bâtiments mobiles de 45 m², mais je dois y arriver en vendant mes œufs bio 3 euros les 6 – la Grise mange beaucoup et ne pond que 220 à 240 œufs par an – en proposant également des poulettes à des amateurs et je croule sous les demandes de poules de réforme », explique enthousiaste Magalie Barengo, installée au Gua en Isère en 2023. Les poules restent en effet bien en chair après 18 à 24 mois de ponte et le bouillon est jugé excellent.
L’éleveuse a opté pour la Grise, « parce que cela a du sens de contribuer à pérenniser une race rustique locale ».

Des chefs sous le charme
Membre fondateur de l’association Ouantia-Grise du Vercors, Dominique Nodin a adhéré à la stratégie proposée en 2016 par le conseiller avicole Franck Blanchard de développer une Grise Vercors Pro F1NL. « Cette variété a une croissance plus rapide, pond davantage et sa chair à la saveur giboyeuse séduit les gourmets. Elle permet à des fermiers de tirer un revenu de cet élevage et de construire une filière viable économiquement pour soutenir également la race pure. »
Lui-même a démarré voilà quatre ans un atelier de 250 pondeuses en bio et depuis un atelier chair. Il vend ses produits sur quatre marchés. Conforté par la mise en vente des œufs et de la viande dans bientôt deux magasins de producteurs, il vient de quitter son emploi de salariés à mi-temps.
Eymeric Archier, éleveur de Grise du Vercors depuis quatre ans près d’Annonay en Ardèche, défend ce poulet atypique dont la saveur intéresse nombre de restaurateurs. « Je produis 3 à 4 lots par an de 250 poulets et les 90 % de ces volailles sont vendues à des restaurants et traiteurs. La croissance est lente. L’abattage démarre à partir de 100 jours, étalé sur 4 à 5 semaines. Les coqs de 1,8 kg à 2,8 kg sont vendus 16 euros HT le kg. » Ils finissent sur de belles tables des environs.