Diriez-vous que la Covid-19 a été la goutte de trop pour le marché de la viande de canard ?
Gilles Lassus - La production de canard de Barbarie connaît une situation de marché très tendue depuis deux ans au moins. Et actuellement, avec la Covid-19 il y aurait environ 30 % de production en trop. Le problème est structurel et européen, essentiellement causé par la Hongrie et la Pologne qui ont fortement développé le canard Pékin. Ces pays ont bénéficié d’aides européennes pour construire des abattoirs et des élevages, aides pouvant aller jusqu’à la moitié des investissements. Nos ventes vers l’Allemagne ont été captées par du canard polonais. Ne nous étonnons donc pas que cela aille très mal en France.
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Quels sont les enjeux pour les éleveurs ?
G. L. - On ne peut pas seulement constater que 35 % des éleveurs risquent de faire faillite à très court terme et que les autres vont connaître deux années sans revenu, et laisser faire sans réagir. Dans cette situation d’urgence, c’est l’équilibre général de nos exploitations qui est menacé. On ne peut pas se contenter de vides sanitaires à rallonge et de densités telles que nos élevages ne peuvent plus dégager de rentabilité.
La sortie de crise passera-t-elle par une baisse des capacités de production ?
G. L. - La CFA, dont je suis membre du Bureau, propose de reconvertir une partie du parc excédentaire spécialisé (équipé de systèmes de récupération du lisier). Il revient aux abatteurs et organisations de production de faire des propositions aux éleveurs pour qu’ils puissent produire autre chose et de les accompagner financièrement. Il y a peut-être à envisager aussi un plan de cessation d’activité pour ceux qui sont proches de la retraite et qui de toute façon n’investiront pas pour se reconvertir. Il faut leur donner la possibilité de sortir la tête haute de leur métier, en évitant des faillites. N’ayons pas peur du terme « cessation d’activité ». C’est permettre à nos élevages de retrouver de la rentabilité et c’est l’avenir de la production du canard à rôtir qui est en jeu.
Quels moyens financiers et quels outils activer ?
G.L. - La cessation d’activité pourrait être accompagnée par l’État, tandis que la reconversion pourrait l’être avec des financements régionaux adossés au PCAE, afin de garder les potentiels de production. Mes collègues des Pays de la Loire ont contacté leur région et ses départements courant juin. Ce ne serait pas une première dans ma région Auvergne Rhône-Alpes (Aura). Nous avons été récemment confrontés à une réduction d’activité de la production de dinde. L’interprofession régionale de la volaille de chair (Afivol) a pu mobiliser l’Aura qui nous a aidés pour que ce parc se reconvertisse en poulet, abattu dans la région.
La production de canard à rôtir devrait-elle se réinventer pour rebondir ?
G. L. - Je ne vois pas l’intérêt de nous convertir au Pékin. Nous produisons des canards de Barbarie de qualité et nous avons beaucoup travaillé sur le bien-être animal. En revanche, je suis convaincu qu’il faut produire des canards à l’origine identifiée pour des consommateurs et des restaurateurs de proximité. C’est ce que nous faisons dans l’Ain depuis des années. Nos deux marques de canard de la Dombes sont reconnues pour leur histoire, leur qualité et leur traçabilité. Nos canards vont chez Bocuse et à l’Élysée. Si on continue à miser sur un produit basique, nous sommes voués à disparaître face à des pays structurellement moins chers.
Êtes-vous malgré tout confiant pour l’avenir du canard de chair ?
G. L. - Je suis incapable de vous l’affirmer maintenant, car les opérateurs détiennent une partie de la réponse. Quelle est leur vision de la filière française du canard de Barbarie ? Aujourd’hui, la seule perspective que nous ayons est celle de baisser les volumes de production avec l’espoir de lendemains meilleurs. Notre devoir à tous est d’apporter rapidement des solutions responsables et viables.
« Ne pas laisser les éleveurs en perdition »