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Le vin de demain
S’adapter petit à petit à soigner la vigne autrement

Les produits de protection des plantes que l’on connaît classiquement ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Mais il faut se préparer dès aujourd’hui à leur restriction de plus en plus drastique.

 © J.- C. Gutner
© J.- C. Gutner

En quelques années, la pression sociétale a littéralement explosé sur la question des produits phytosanitaires, les solutions conventionnelles étant plus particulièrement visées. Le débat est devenu passionné au point de créer des points de crispation dans tous les vignobles entre les viticulteurs et la population. La société ayant fait son choix, l’heure ne semble plus être à débattre sur leur légitimité, mais bel et bien à résonner davantage et réduire leur utilisation. La filière vin l’a bien compris, puisqu’elle a indiqué dans son plan stratégique, livré au gouvernement à l’issue des États généraux de l’alimentation en 2017, s’engager à « réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires à 2025 ». Une chose est sûre c’est que le mildiou et l’oïdium, eux, ne vont pas disparaître. Le viticulteur va devoir, de gré ou de force, s’adapter à de nouveaux moyens de protéger la vigne. Par chance, cette révolution sociétale arrive à l’heure où nous voyons arriver de plus en plus de solutions alternatives, comme le biocontrôle, et où la recherche fourmille de projets dont le développement est déjà avancé. C’est le cas par exemple des traitements aux ultraviolets. La société UVBoosting, créée en 2017, vient de faire le bilan d’une première campagne de présérie de son système de traitement. « Dans les cinq régions viticoles suivies, les UVs ont permis une réduction moyenne de 30 à 60 % de l’utilisation de produits phytosanitaires bio ou conventionnels », relate Baptiste Rouesné, directeur général adjoint de la jeune entreprise.

Détecter l’installation du mildiou avant qu’il soit visible

Mais c’est le cas également de nouveaux agents de biocontrôle comme ceux développés par les sociétés Immunrise ou Amoeba. La première prévoit de passer bientôt en phase d’industrialisation et de commercialisation pour son biopesticide issu d’une microalgue brune marine. La deuxième a confirmé en 2020 l’efficacité au champ de son principe actif (un micro-organisme) contre le mildiou, et multiplie les partenariats avec les firmes phytopharmaceutiques pour anticiper la suite. Et cette dynamique devrait s’accentuer, car les découvertes vont bon train. À l’instar de celle faite par la firme perpignanaise Akinao, qui a déposé un brevet autour de l’inule visqueuse, une plante endémique de la région, dont le concentré permettrait de traiter contre le mildiou. Ou encore la découverte récente d’une équipe de l’Inrae, laissant entrevoir une possibilité de lutte par confusion sexuelle pour faire diminuer l’inoculum de ce même parasite. Pour compléter cet arsenal de nouvelles solutions, un autre levier fait également son apparition au vignoble. Il s’agit des technologies liées à l’informatique. Des efforts sont déployés dans certains laboratoires de recherche et développement afin de détecter toujours plus tôt l’installation du mildiou et gagner en précision dans la lutte. Là où l’œil humain a besoin de quelques jours pour s’en rendre compte, la start-up Vegetal Signals essaie de détecter l’attaque après quelques heures seulement, en analysant les signaux électriques de la vigne. D’autres entreprises comme Chouette Vision planchent du côté de l’imagerie hyperspectrale, avec le même but de pouvoir traiter plus tôt dès l’apparition du parasite pour gagner en efficacité. Enfin, les spécialistes de la protection des plantes sont unanimes pour dire que la bonne santé de la vigne et la réduction de l’usage des phytos passeront également par un milieu sain et équilibré, afin d’être dans les meilleures conditions de lutte possible contre les agresseurs.

Témoignage : Hugo Bony, directeur d’Agrauxine et vice-président de l’association française des entreprises de biocontrôle (IBMA France)

« Le biocontrôle sera le pilier de la protection phyto »

Les grands agrochimistes savent pertinemment que la durée de vie de leurs produits est limitée, molécule après molécule ils vont sortir du marché. La baisse de l’utilisation des produits chimiques est dans le sens du vent, et il y a une urgence écologique dont on ne peut faire abstraction. Que ce soit dans le cadre de la politique agricole européenne « Farm to fork » ou celui de la stratégie nationale biocontrôle, l’objectif fixé par les pouvoirs publics est de réduire d’ici 2030 l’utilisation des pesticides les plus dangereux de 50 %. Si les premiers plans Ecophyto n’ont pas donné beaucoup de résultats, les prochains devraient être plus efficaces car l’État a changé de braquet et met en place des mesures beaucoup plus coercitives. Le biocontrôle, qui représente déjà 11 % des parts de marché, va prendre de plus en plus de place et devrait atteindre 30 % à l’horizon 2030. Il sera demain le pilier de la stratégie de protection phytosanitaire et non plus le complément. Je ne pense pas qu’il faille attendre de produits de biocontrôle de 2e ou 3e génération avec un saut d’efficacité qui les rendent comparables aux produits conventionnels. Il faudra apprendre à les positionner. Pour les viticulteurs, le but est d’y aller petit à petit et de se les approprier. À moyen terme, les intelligences artificielles et les outils d’aide à la décision permettront de positionner les produits plus finement et de gagner en efficacité. Bientôt on pourra mesurer le niveau sanitaire d’une parcelle de façon beaucoup plus fine grâce à la technologie. Les leviers sont là, et ils sont différents : informatique, robotisation, utilisation du vivant, biosolutions… Nous allons reconcevoir les itinéraires techniques avec ces éléments nouveaux. Par ailleurs, la santé des vignes passera indubitablement par une redécouverte de l’agronomie et une analyse plus fine de leur état physiologique.

Témoignage : Xavier Burgun, ingénieur viticole à l’Institut français de la vigne et du vin de Charentes

« Associer les modes d’actions pour gagner en efficacité »

Nous avons lancé en 2018 le projet Biocontrôle et équilibre de l’écosystème vigne, en se projetant avec les solutions qui devraient rester dans quelques années. On soupçonne que les produits potentiellement CMR ou perturbateurs endocriniens vont disparaître, on s’en est donc affranchi totalement. Puisqu’il risque de ne rester que des produits à action de contact, qui nécessitent une bonne pulvérisation mais aussi une maîtrise de la vigueur pour couvrir correctement les feuilles, nous essayons de trouver un équilibre en adaptant la fertilisation aux besoins de la plante. Pour cela nous utilisons des engrais verts, mais ne nous privons pas d’un apport organo-minéral si nécessaire. Côté protection phytosanitaire, le programme est basé principalement sur des produits de biocontrôle, notamment le cos-oga, la cerevisiane et les phosphites. Nous utilisons aussi des stimulateurs de défense et des produits asséchants comme l’huile essentielle d’orange douce. Tous n’ont qu’une efficacité partielle, mais l’idée est d’associer les modes d’action pour gagner en efficacité. Au final, nous ne faisons pas beaucoup baisser l’Indice de fréquence de traitement (IFT) total, sauf que l’IFT chimique est plus faible et l’IFT biocontrôle plus important. Les résultats sont encourageants : depuis 2018 nous avons toujours réussi à réduire l’utilisation de produits conventionnels de plus de 75 %. Nous avons observé quelques pertes de récolte partielles dues à des décrochages en 2018, mais les rendements restent globalement équivalents au témoin de référence. Nos premières conclusions montrent que les phosphites protègent très bien la feuille mais moins la grappe, ce qui oblige à compléter avec un peu de cuivre. Pour l’instant nous arrivons à gérer le black-rot avec le cuivre, mais il y a un risque que l’inoculum se pérennise, il faudra surveiller ce point à l’avenir. De même, l’approche économique reste à faire. Par ailleurs, la réduction des intrants passera également par un raisonnement à l’îlot de parcelles et l’appui d’outils d’aide à la décision.

Témoignage : Justine Vichard, viticultrice et consultante fondatrice du Pacte végétal

« Aller vers le zéro intrant grâce aux plantes »

La transition vers l’agroécologie a du mal à s’enclencher car nous avons peu de nouveaux repères sur ces systèmes en rupture. J’ai fondé le Pacte végétal il y a un an dans l’objectif de faire une synthèse de tout ce qui aide à passer à la viticulture de demain et d’accompagner les vignerons à recréer le lien avec le végétal. Je trouve que la démarche basée sur les produits biocontrôles et biostimulants reste dans le même paradigme que celui des produits phytosanitaires conventionnels, à savoir que l’on aligne un produit face à un problème spécifique. Pour moi la méthode ne peut pas être la même, je crois en une rupture de la méthodologie. Commencer par comprendre les informations que la vigne et son milieu nous envoient doit être un fil rouge. Cela passe en premier lieu par l’observation des plants afin de sélectionner pour l’avenir les plus représentatifs, les moins sensibles et les mieux adaptés au changement climatique. Puis par la recherche de l’équilibre du milieu de la plante : équilibre biologique, physico-chimique, red-ox, pH… Tout se croise et tout est très cohérent. Tout cela permet ensuite de réduire l’utilisation des produits phyto classiques et d’aller vers des solutions alternatives comme les huiles essentielles, décoctions ou infusions de plantes. Jusqu’à ne plus utiliser que cela. Bien sûr cela ne peut se faire du jour au lendemain, c’est un cheminement lors duquel il faut attraper des réflexes et prendre confiance. Le but de ma démarche est aussi d’amener au viticulteur le plus de connaissances et d’outils possibles pour qu’il soit de plus en plus autonome et relié à la lecture du végétal pour prendre ses décisions. Je suis convaincue que ce système n’est pas seulement à la portée de quelques domaines élitistes à faibles rendements et forte valorisation : on a essayé les petits rendements et on se rend compte que ce n’est pas la panacée, il faut que la vigne se régule. Une vigne en pleine santé peut porter les 60 hl/ha sans souci !

Témoignage : Marielle Adrian, responsable de l’équipe Immunité de la vigne à l’Unité mixte de recherche (UMR) Agroécologie de Dijon

« Nous devons réfléchir à une approche systémique »

Une des pistes de travail de notre équipe de recherche est d’intégrer la stimulation des plantes dans des stratégies globales de protection de la vigne. Le transfert du laboratoire au champ est parfois décevant, c’est pourquoi nous essayons d’identifier des leviers pour sécuriser l’utilisation des stimulateurs de défenses des plantes, les SDP. Nous savons que l’immunité des vignes n’est pas toujours optimale, c’est peut-être parfois lié à leur état physiologique car l’activation des défenses a un coût énergétique. Pour gagner en efficacité nous nous intéressons aux biostimulants et à leurs effets sur la physiologie de la plante. Nous avons découvert récemment que si l’on module le fonctionnement global d’une vigne par l’utilisation de biostimulants, on peut optimiser par la même occasion la réponse de défense et l’efficacité d’un SDP. Ce ne sont encore que des travaux de laboratoire, mais ils montrent l’intérêt de cette approche. De manière plus générale, tout ce qui impacte la physiologie de la vigne, dont la composante sol, doit être intégré. C’est difficile à étudier et pourtant incontournable. Mais la stimulation des défenses des plantes seule ne fera pas tout, elle sera complémentaire à d’autres leviers qui auront eux aussi des effets partiels. L’approche « fongicide » simple qui consiste à avoir une action précise sur un agent pathogène précis n’est plus à l’ordre du jour, il faut réfléchir global et adopter une approche systémique, intégrative et basée sur l’agroécologie. Il est difficile de prévoir le déploiement de ces nouvelles stratégies de protection des vignes, mais au vu des résultats de recherche en France et à l’étranger il est clair que nous attendons des progrès. Le viticulteur aura probablement à disposition de nouvelles solutions dans la décennie à venir. Les moyens sont sur la table.

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