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Protéger son vignoble sans produits CMR, une pratique en expansion

Cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques… La protection des vignes sans ces dangereux produits phytos gagne du terrain. Décryptage et faisabilité d’un itinéraire technique qui fait appel à une palette restreinte de spécialités.

Apposé sur certains produits de protection des cultures, le sigle CMR signifie cancérigène, mutagène et reprotoxique. « C’est, souligne Julien Durand Reville, responsable santé à l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), un critère d’exclusion dans l’homologation des produits, c’est-à-dire que les matières actives qui sont classées CMR1 (risque avéré sur l’homme) ne sont pas autorisées et les matières actives classées CMR2 (suspicion mais pas de preuve) peuvent être autorisées avec des phrases de risque. » Mais dans un contexte où le principe de précaution devient la règle, la protection des vignes sans pesticides classés CMR se développe, avec la volonté de protéger les salariés, le voisinage et plus généralement l’environnement. Cette pratique est l’objet d’initiatives individuelles de vignerons le plus souvent engagés dans des démarches environnementales. Les régions viticoles s’engagent également dans cette voie comme en Bourgogne où la charte régionale Engager nos terroirs dans nos territoires recommande « de limiter l’application des CMR aux seuls anti-mildiou ». De même, à Bordeaux, le conseil régional, la préfecture de région, l’État, la chambre d’agriculture et le CIVB invitent « les viticulteurs à éviter les pesticides classés CMR ».

Un challenge qui se complique avec contraintes ZNT et DRE

Sur le plan technique, les spécialistes et conseillers de terrain accompagnent ces démarches, qui ne sont pas forcément plus onéreuses. « Les solutions existent, souligne Bruno Samie de la chambre d’agriculture de la Gironde. Mais c’est du sur-mesure car cela suppose de travailler avec moins de produits, d’aménager les cadences. » À l’IFV, Éric Chantelot prévient néanmoins « que cette approche, en l’absence de réelles solutions alternatives, peut s’avérer parfois trop restrictive avec des craintes sur la gestion des résistances compte tenu de la suppression de certaines molécules multisites en particulier ».

Entre limitation des CMR et suppression totale, le débat n’est pas seulement technique. Et le challenge pour les vignerons peut se compliquer avec d’autres contraintes comme les ZNT de 5 mètres, les délais de réentrée dans les parcelles ou encore la volonté d’aller vers le zéro résidu.

Pour trouver quel produit sans CMR peut remplacer votre phyto habituel, rendez-vous sur www.substitution-cmr.fr

 

Pierre Darriet, directeur technique du château Luchey-Halde, Gironde

« Cela ne me coûte pas plus cher »

« Le château Luchey-Halde est un vignoble urbain de 23 hectares, en appellation pessac-léognan, aux portes de Bordeaux. Nous sommes donc très sensibilisés à la proximité du voisinage et aux impacts potentiellement négatifs de notre activité. C’est pourquoi, depuis 2013, nous nous sommes engagés dans une démarche de protection de nos vignes avec des produits phytosanitaires non CMR ; un sujet très délicat. La propriété est par ailleurs dans la démarche SME (Système de management environnemental) des vins de Bordeaux depuis 2012. Le vignoble était donc conduit depuis de nombreuses années en protection raisonnée avec comme priorités l’efficacité, l’alternance des matières actives et l’innovation. En adoptant la protection phytosanitaire sans CMR, nous intégrons une nouvelle priorité : la santé humaine et la protection de nos salariés.

D’un point de vue technique, protéger ses vignes sans spécialités classées CMR n’est pas trop problématique, même si la palette des produits disponibles est plus restreinte. Dans la lutte contre le mildiou, on fait plus souvent appel aux mêmes molécules, comme le cuivre par exemple, qui a malheureusement le défaut d’être un métal lourd qui s’accumule dans les sols. J’utilise également à ce jour des molécules, comme le métirame de zinc, dont le classement pourrait changer. Il faut donc être en veille sur les évolutions réglementaires. Pour l’oïdium, la protection phytosanitaire sans CMR est plus simple, car d’une part la problématique oïdium est moins marquée, et d’autre part j’utilise du soufre qui est classé biocontrôle. Pour l’avenir, j’attends d’ailleurs beaucoup des nouvelles solutions de biocontrôle qui arrivent sur le marché.

Côté désherbage, nous n’utilisons pas de désherbants chimiques et pour la protection insecticide, nous sommes en confusion sexuelle. Une seule application insecticide avec une spécialité non-CMR est réalisée dans le cadre de la lutte obligatoire contre la cicadelle de la flavescence dorée.

Protéger mon vignoble sans spécialité CMR ne me coûte pas plus cher. Et de toute façon, dans cette démarche, le prix de la protection n’est pas ma priorité. C’est avant tout une démarche qui vise à protéger nos salariés, notre voisinage et notre environnement. La prise de risque est plus importante, car on utilise des produits moins persistants et il faut pouvoir renouveler les traitements si nécessaire, mais l’enjeu est majeur. En pratique, pour construire mon programme, je m’appuie sur la base phytosanitaire mise à disposition par l’interprofession. Elle est mise à jour régulièrement et propose, par usage, des spécialités non CMR. »

 

Martin Bart, vigneron à Marsannay en Côte-d’Or

« Une alternative au bio »

« Mon vignoble s’étend sur 20 hectares et se situe à seulement 7 kilomètres du centre de Dijon. C’est donc un vignoble très « urbanisé » et nous sommes particulièrement conscients de la nécessité de prendre en compte l’environnement dans notre activité. Je fais d’ailleurs partie du réseau des fermes Dephy. Dans cette logique environnementale, je n’utilise aucun herbicide depuis cinq ans, aucune spécialité contre le botrytis depuis huit ans et aucun insecticide. Et j’ai mis en place une protection fongicide de mon vignoble sans pesticides classés CMR depuis trois ans. Cette démarche est à mon sens une alternative au bio et permet d’utiliser des produits de synthèse si la pression maladies le nécessite.

Sur le plan technique, protéger son vignoble sans pesticides classés CMR est assez facile dans une année comme 2017 où la pression mildiou et oïdium était assez faible. J’ai réalisé 5 traitements oïdium et 6 traitements mildiou, dont 2 à base de cuivre. En 2016, c’était plus délicat compte tenu de la forte pression mildiou qui a nécessité 3 interventions supplémentaires et compliqué le programme pour respecter le nombre de traitements autorisés par famille. Pour mettre en œuvre l’alternance des matières actives, c’est en effet plus simple avec 6 traitements qu’avec 9 et la plupart des produits non CMR sont souvent moins persistants. Il faut être plus réactif pour renouveler les applications en cas de nécessité. C’est pourquoi, je vais m’équiper d’un nouveau pulvérisateur afin de pouvoir traiter sur une journée et non deux comme à ce jour.

Pour construire mon programme, je m’appuie sur les conseils de la chambre d’agriculture et les informations communiquées par mes fournisseurs. Je réalise un prévisionnel en morte-saison mais la décision se fait traitement par traitement. Au-delà de la démarche sans CMR, je mets en œuvre la réduction des doses avec une pulvérisation ciblée face par face et jet dirigé. Je prends également en compte les délais de réentrée dans le choix des spécialités. Au final, tous ces efforts ne sont pas véritablement un argument commercial mais ils nous permettent malgré tout de mieux être à l’écoute des attentes de notre environnement. »

 

Nicolas Ramond, chef de culture BLB Vignobles dans l’Hérault

« Une stratégie qui nécessite une nouvelle organisation »

« BLB Vignobles, qui s’étend sur 54 hectares aux portes de Montpellier, a été la première exploitation familiale viticole française évaluée ISO 26 000 dans le cadre de la démarche RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). La protection du vignoble sans pesticides CMR est une suite logique de cette volonté de mettre en œuvre une viticulture durable dans le respect de l’environnement proche et des applicateurs, sans adopter pour autant une démarche bio. Pour la campagne 2017 qui était notre première année de protection du vignoble sans pesticides classés CMR, c’était un peu compliqué dans la gestion du mildiou car le nombre de spécialités est plus restreint. Il a fallu resserrer les cadences avec au final 8 traitements, dont 2 interventions intermédiaires pour gérer une grosse sortie mildiou. Pour l’oïdium, dans la mesure où le vignoble est peu impacté, c’est plus simple. Notre consultant, Jérôme Fil, nous recommande l’ajout de terpènes pour améliorer l’efficacité des anti-oïdium. Il nous aide plus généralement à élaborer notre programme et à l’ajuster en cours de saison, en respectant la règle de l’alternance des matières actives afin de garantir une efficacité durable. Et pour la lutte contre les vers de grappe, le vignoble est en confusion sexuelle. Nous gérons le seul traitement obligatoire dans le cadre de la lutte contre la cicadelle de la flavescence dorée avec un insecticide non-CMR.

Protéger un vignoble sans pesticides CMR nécessite une organisation différente en particulier sur le plan de la pulvérisation, car on peut être amené à intervenir plus souvent. Et pour ne pas utiliser de produits curatifs souvent classés CMR, il faut adopter une stratégie préventive. »

 

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