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Où exporter nos vins et spiritueux dans dix ans ?

Difficile d’imaginer quelles seront les tendances export et les pays cibles à horizon dix ans. Néanmoins, quelques consensus se dégagent : le marché sera plus concurrentiel et plus fragmenté, aussi bien dans les produits, que dans les zones de consommation.

<em class="placeholder">Palette de vin dans un domaine viticole prête pour l&#039;expédition.</em>
Les destinations où nous exporterons notre vin demain semblent bien incertaines du fait du contexte géopolique mouvant.
© X. Delbecque

Bien malin qui pourrait pronostiquer le classement des pays importateurs de vins et spiritueux français à horizon dix ans… Car si les évolutions démographiques et les tendances de consommation sont bien sûr scrutées à la loupe, ce travail de « vinofiction » est rendu mal aisé par des situations géopolitiques tendues, complexes et mouvantes. « Si vous m’aviez posé cette question il y a trois ans, je vous aurais répondu que le marché américain serait florissant pour les vingt prochaines années », ironise Philippe Guigal, dirigeant de la maison éponyme.

Tous les acteurs s’accordent à dire que la filière vin entre dans une nouvelle ère. « La consommation et la production ont atteint un pic, on attaque une pente déclinante, il faut l’admettre. Le marché va devenir très concurrentiel et cela va beaucoup affecter les productions de masse », confirme Laurent Delaunay, président de la maison de négoce éponyme en Bourgogne, et coprésident de l’interprofession bourguignonne (BIVB). Il estime toutefois que le Top 3 des débouchés des vins bourguignons (USA, Royaume-Uni, Canada) est encore en place pour quelque temps, agréablement surpris par le maintien du marché britannique suite au Brexit, « sans doute une forme de nostalgie pour eux, une façon de se raccrocher à l’Europe ».

Déréférencements de vins américains au Canada

Aux États-Unis, la taxe Trump de 15 %, « qui sera répercutée sur les consommateurs car on ne peut pas l’assumer sur nos marges », annonce d’ores et déjà Philippe Guigal, produira logiquement un effet baissier. En revanche, le marché canadien, qui profite du déréférencement des vins américains, notamment à la SAQ (1), grignote des parts de marché et apparaît comme un partenaire très fiable pour les vins français à l’avenir.

<em class="placeholder">Fabrice Mauge, spécialiste de l’export et créateur de Vinovirtual</em>
Fabrice Mauge, spécialiste de l’export et créateur de Vinovirtual, estime qu'il y a « des choses à faire en Afrique du Sud, au Nigeria, en Afrique subsaharienne francophone car ils connaissent le produit ». © F. Mauge
Mais ce n’est pas le seul. « Il y a encore des poches de développement, partout où la consommation de vin est encore faible », estime Laurent Delaunay. Les professionnels citent unanimement le potentiel de l’Afrique, auprès de tous les consommateurs non musulmans. Plus précisément, « là où une classe moyenne se développe, estime Fabrice Mauge, spécialiste de l’export et créateur de Vinovirtual, le salon virtuel des vins et champagnes. Il y a des choses à faire en Afrique du Sud, au Nigeria, en Afrique subsaharienne francophone car ils connaissent le produit ». Et de citer aussi le Maghreb pour étancher la soif des touristes. Mais il s’agira avant tout d’un marché d’entrée de gamme préviennent les acteurs.

La Chine fait encore rêver, l’Inde interroge…

De son côté, Philippe Guigal regarde avec attention une autre zone du globe. « Aujourd’hui, il y a peu de perspectives réjouissantes à part l’Asie du Sud-Est : Indonésie, Malaisie, Thaïlande », observe-t-il. Fabrice Mauge rajoute le Vietnam, « à condition qu’il n’augmente pas ses droits de douane ». En Chine, Laurent Delaunay est plein d’espoir pour les vins de Bourgogne, et pour cause : « Les Chinois se mettent au vin blanc alors que traditionnellement ils buvaient du rouge. Il faut faire de l’éducation, rendre la culture du vin désirable. Les Chinois sont très ouverts à l’approche culturelle ! ». Jérôme Joseph, directeur de la Maison Calmel dans l’Aude, insiste sur la nécessité de maintenir le lien sur ce marché majeur, malgré les difficultés conjoncturelles, « sinon on vous oublie et d’autres prennent votre place ! ». À l’inverse, le Japon semble « condamné » par sa courbe démographique et sa jeune génération plus « manga » que « wine spirit ». Quant à la Corée, elle subit une forte crise économique qui floute les perspectives.

L’autre mastodonte démographique, l’Inde, fait toujours fantasmer mais semble indifférent au désir non dissimulé de la filière vin. « Il y a trente ans, c’était le marché de demain avec la Chine. Ça n’a pas bougé, regrette Philippe Guigal. Pourtant, culturellement, ils peuvent intégrer le vin dans leurs habitudes. »

En Europe de l’Est et Amérique du Sud, attention à la géopolitique

Plus près de chez nous, « les Pays de l’Est se développent, il y a de belles opportunités, assure Jérôme Joseph. Alors certes en Albanie, c’est plus compliqué, mais tous les pays dont le pouvoir d’achat augmente offrent des possibilités. Ils aiment le vin et sont intéressés par la culture française ».

Côté Amérique du Sud, tout le monde lorgne sur le Brésil, pays jeune porté par une croissance économique qui a donné naissance à une classe moyenne qui aime boire chic. « Il y a des opportunités mais on n’est pas les seuls, il y a beaucoup de concurrence », fait remarquer le négociant du Languedoc. Dans les pays voisins comme la Colombie, le Pérou, les opérateurs reconnaissent seulement « bricoler ». Quant au Chili et à l’Argentine, ils boivent local. S’il voit aussi des opportunités sur ces deux zones, Europe de l’Est et Amérique du Sud, Laurent Delaunay demeure prudent : « attention à la géopolitique, il y a souvent des soubresauts. Il ne faut pas tout miser sur ces pays-là », prévient-il.

D’autres destinations plus exotiques pointent le bout de leur nez comme le Golfe persique (Émirats arabes unis, Qatar…) pour répondre au développement du tourisme. « Les pays du Golfe ont de gros moyens financiers et sont ouverts à l’Occident », retient Fabrice Mauge. Et de citer également quelques destinations touristiques type Seychelles, Caraïbes pour répondre aux attentes des touristes parfois fortunés. Mais ce ne sont pas des gros marchés en volume par rapport aux marchés historiques.

Des nouveaux consommateurs plutôt que des nouveaux pays ?

L’évolution des marchés historiques est source d’interrogation pour la filière. On y consomme moins mais mieux et il va falloir trouver des nouveaux consommateurs, arriver avec une offre différente pour séduire les jeunes, « avec d’autres produits, travailler sur les vins sucrés par exemple, d’autres valeurs comme la RSE », suggère Fabrice Mauge.

Cela sous-entend-il la nécessité de revoir l’offre ? Laurent Delaunay le pense. Il estime que l’extrême prémiumisation a atteint ses limites. Il dénonce même le « tout AOC » : « on est allé trop loin, c’est illisible pour les marchés. Ce n’est pas en créant des AOC supplémentaires qu’on va sauver la viticulture ». Il invite à trouver un compromis entre l’ADN des vins français et le plaisir consommateur ; « il ne faut pas être trop sérieux, austère, complexe ». Il reste persuadé que même dans les pays à la consommation déclinante, il peut y avoir des trajectoires individuelles gagnantes, « à condition de proposer des produits pointus, adaptés, du sur-mesure aux consommateurs ; avec les investissements financiers et humains qui vont avec. Il faut mener des guérillas marketing avec des petites actions de communication spectaculaires, peu coûteuses et efficaces ».

D’autres couleurs, d’autres contenants à l’avenir ?

À titre d’exemple, au Japon, la Maison Calmel travaille avec une société qui propose des fûts de 20 litres avec une tireuse, sous azote. « Le vin est servi dans de bonnes conditions de conservation, d’hygiène, de température. Ces fûts sont installés dans des restaurants populaires, c’est plus écologique que les bouteilles en verre, plus simple à manipuler, justifie Jérôme Joseph. Cela répond à une évolution : les gens boivent au verre et ne commandent plus une bouteille entière. »

Au-delà du contenant, c’est sûrement le contenu des vins exportés qui va possiblement évoluer à l’avenir. « On a vu l’éclosion des vins naturels, des vins orange, mais ce ne sont pas devenus des produits de masse, remarque Philippe Guigal. Il y aura plus de « No Low », c’est sûr, même si ça ne deviendra peut-être pas non plus un marché de masse. Plus de bulles ? Peut-être. Plus de blanc, certainement ! Ça fait dix ans que le rouge baisse. En vallée du Rhône notre objectif est de doubler la superficie en blanc en dix ans. »

Vers un marché fragmenté

Pour Laurent Delaunay, très clairement « le marché sera de plus en plus fragmenté, il n’y aura pas une seule grande tendance. Et peut-être exportera-t-on des produits que l’on n’imagine pas aujourd’hui ? » Quelle que soit l’évolution de la conjoncture, « elle a le temps de se retourner plusieurs fois en dix ans » remarque Philippe Guigal. Une chose est sûre : l’avenir est à la diversification.

« L’intérêt est de se diversifier, de diluer les risques. Au sein de notre groupe (Bourgogne et Languedoc), on multiplie les marques, les importateurs », illustre Laurent Delaunay. Mais en tout état de cause, c’est bien vers l’export que la filière regarde pour maintenir sa croissance. « Chez Guigal, on a longtemps été à 50/50, mais cette année l’export va passer devant », analyse son directeur. Et Laurent Delaunay de conclure par une invitation à passer à l’offensive. « On ne consacre pas assez de moyens de promotion à l’export. La France utilise 13 % de l’OCM pour cela, les Espagnols 25 % et les Italiens 27 %. Il faut faire plus ! »

Il invite à trouver un compromis entre l’ADN des vins français et le plaisir consommateur

(1) Société des alcools du Québec

La filière vin appuie la libéralisation des marchés

On a beaucoup lu ou entendu la FEVS (Fédération des exportateurs de vins et spiritueux) au moment des négociations entre l’UE et l’administration Trump. Sans surprise, son président Gabriel Picard a vivement réagi au moment de la signature du décret ministériel validant la taxe de 15 %, jugée comme « un recul supplémentaire dans les relations bilatérales dans le secteur des vins et spiritueux », estimant la perte potentielle, conséquence de cette taxe mais aussi de la baisse du dollar, « à un quart des volumes soit environ 1 milliard d’euros ». Loin de baisser les bras, la fédération veut continuer son travail de lobbying pour inverser la tendance. La FEVS s’était pareillement émue des taxes additionnelles chinoises sur les spiritueux (32,2 % de droit moyen) qui entraînent le Cognac et l’Armagnac dans la tourmente.

On a beaucoup moins entendu la FEVS au moment des négociations avec le Mercosur, sans doute pour ne pas heurter éleveurs et céréaliers, vent debout contre cet accord, et ne pas créer une division au sein de la grande famille agricole. Il n’empêche, de la même manière qu’elle avait apporté son soutien au Ceta avec le Canada, la filière viticole est favorable à la libéralisation totale du marché avec l’Amérique du Sud où les droits de douane sont pour l’heure élevés (27 % sur les vins ; 20 à 35 % sur les spiritueux).

La hausse des tarifs douaniers aux États-Unis encourage l’Union européenne à regarder vers d’autres destinations. Les pourparlers avec l’Inde se sont ainsi accélérés. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen espère la conclusion d’un accord de libre-échange commercial avant la fin de l’année. Elle y voit un fort marché potentiel pour les voitures et pour ses vins et spiritueux. Attention toutefois, l’Inde est une république fédérale composée de 29 états susceptibles d’appliquer leurs propres taxes.

Virtuel et visu complémentaires

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Vinovirtual organise des salons virtuels, complémentaires des rencontres physiques. © Vinovirtual
Les progrès technologiques vont-ils modifier les méthodes de commercialisation du vin ? Fabrice Mauge, en est forcément convaincu : « Les opérateurs doivent être capables d’investir partout. C’est pour ça qu’avec Vinovirtual, on peut offrir des connexions à distance (1) car cela prend du temps de se déplacer. » Pour autant le « tout tech » n’est pas pour demain estime Philippe Guigal : « Bien sûr le virtuel prend de plus en plus de place comme dans n’importe quelle industrie. Mais le vin est un produit non standardisé, donc à un moment, il faut se rencontrer. »

Bien qu’il ait réalisé avec succès des dégustations en ligne pendant le Covid, Jérôme Joseph pense que la meilleure manière de développer l’export, c’est de faire venir les acheteurs potentiels en France : « leur faire visiter, manger les spécialités du pays, découvrir des accords mets et vins, goûter des vieux millésimes, ça porte ses fruits ». Autant de choses que l’IA ne sait pas encore faire. Ouf.

(1) Vinovirtual organise des salons virtuels.

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