Mal-être viticole, les pistes pour en sortir
Si, depuis une dizaine d’années, le mal-être agricole est mieux pris en compte, il reste encore tabou alors que le contexte de crise et la répétition des aléas climatiques engendrent des risques croissants. Des dispositifs existent, à activer le plus tôt possible.
Si, depuis une dizaine d’années, le mal-être agricole est mieux pris en compte, il reste encore tabou alors que le contexte de crise et la répétition des aléas climatiques engendrent des risques croissants. Des dispositifs existent, à activer le plus tôt possible.
Parler. C’est n’est pas facile lorsque l’on est confronté à des difficultés qui semblent insurmontables. C’est pourtant la première chose à faire. « Il faut réagir le plus tôt possible, dès que l’on est susceptible de rencontrer des difficultés », conseille Paul Gaudin, vice-président de l’association Solidarité paysans Aquitaine. « Quand on a l’impression que l’activité n’a plus de sens, on doit se poser et réfléchir », complète Florence Cardoso, également bénévole à Solidarité paysans Aquitaine et viticultrice.
Se connecter au réseau d’accompagnement des agriculteurs fragilisés
Jean-François Fruttero, viticulteur en Dordogne et président de la caisse centrale MSA (CCMSA), pointe la dimension multifactorielle du mal-être. « Pression économique, surcharge de travail, difficultés de gestion administrative, aléas climatiques, tensions familiales sont autant de signaux », énonce-t-il.
Il insiste sur les dangers de rester à l’écart. « Il y a les soucis financiers mais pas seulement, l’isolement fréquent de nos exploitants peut favoriser la dégradation de l’état psychologique », alerte-t-il. Face à la brutalité du contexte économique, Bernard-Pierre Assegninou, responsable pôle stratégie de l’entreprise à la chambre d’agriculture du Gard, invite à sortir de la culpabilisation. « Si les difficultés sont là, il ne faut pas penser que c’est parce que l’on a mal fait », insiste-t-il.
Contacter la cellule Réagir de son département est un premier réflexe (voir en fin d'article). « Ces groupes de travail regroupent plusieurs organisations professionnelles pour répondre au maximum de problèmes », explique Bernard-Pierre Assegninou. Le lien peut aussi se faire à travers un conseiller de la chambre d’agriculture à qui l’on fait part de ses problèmes. En fonction du diagnostic, le dossier sera pris en main par l’un ou l’autre des acteurs. Dans le Gard, cette structure se réunit toutes les trois semaines et se concerte entre-temps en cas d’urgence.
De l’anonymat à l’aide personnalisée
Autre option, actionner le dispositif Agri’écoute, via le numéro d’appel gratuit ou la plateforme de discussion en ligne (voir coordonnées en fin d'article). Jean-François Fruttero juge que la possibilité de prendre un pseudonyme permet la mise en confiance. « Les agriculteurs qui appellent ont la crainte que leur situation puisse être divulguée », souligne-t-il. Dans certains cas, le psychologue propose la levée de l’anonymat pour permettre l’accès au dispositif d’aides. 14 % des appelants l’acceptent. Parfois, les agents de la MSA identifient des situations difficiles sur la base de retards de paiements. « Certains adhérents saisissent alors la possibilité de recevoir des conseils », signale Frédérique Jacquet-Libaude, responsable du programme de prévention du mal-être de la MSA.
L’accompagnement est au cœur de la mission de l’association Solidarité paysans (coordonnées en fin d'article). « Nous n’intervenons que sur l’appel du viticulteur et pas sur demande d’un tiers, insiste Paul Gaudin. Nous remettons le viticulteur au centre de la démarche. C’est lui et lui seul qui décide de ce que l’on engage ». L’accompagnement suppose uniquement une adhésion à l’association, qui coûte 25 à 30 euros par an. Il est assuré par un binôme ou un trinôme, selon la complexité du dossier, associant bénévoles, eux-mêmes agriculteurs, et salariés de l’association. Le principe est celui de l’entraide et de l’échange d’expériences. En cas de besoin, ils peuvent solliciter des ressources au niveau de l’association nationale, notamment des juristes.
Bâtir des solutions sur mesure
La pluralité des dispositifs existants peut paraître confusante mais Jean-François Fruttero juge que c’est plutôt un atout. « C’est bénéfique qu’il y ait plusieurs dispositifs. Leur finalité est la même. Chacun est une porte d’entrée vers le réseau d’aide », expose-t-il. « La MSA n’est pas forcément le réflexe des agriculteurs en difficulté car elle a l’image d’une structure qui prélève », pointe pour sa part Paul Gaudin. Si besoin, la cellule Réagir se chargera d’aiguiller vers la structure d’accompagnement la plus adaptée.
« Il n’y a pas de solution type. On étudie le champ des possibles en fonction d’un état des lieux, témoigne Bernard-Pierre Assegninou. À la MSA, une cellule pluridisciplinaire rassemble les services internes concernés comme l’action sociale, la prévention des risques professionnels, les services réglementaires ou contentieux. « Être multibranche nous permet de prendre la situation dans son entièreté et d’optimiser l’articulation entre les différents dispositifs », développe Frédérique Jacquet-Libaude. Selon le diagnostic, seront par exemple organisés des reports de paiements des cotisations ou en cas d’épuisement professionnel, une aide au répit.
La prégnance des problématiques financières
Face à l’essor des fragilités d’ordre financier générées par l’absence de marché, Solidarité paysans est montée en compétence sur les procédures amiables (conciliation, mandat ad hoc), les discussions avec les mandataires judiciaires ou encore les procédures de sauvegarde, redressement ou liquidation. « Avec l’expérience, on apprend comment fonctionne le système », résume Florence Cardoso. L’association veille à ce que la situation n’engage pas de dépenses supplémentaires pour l’exploitation. Ainsi, elle bénéficie d’un agrément préfectoral pour faire des audits auprès de la cellule des agriculteurs en difficulté de la préfecture. Elle ne les facture pas. « On a beau être chef d’entreprise, on n’est pas informé des procédures possibles », témoigne Olivier Metzinger, lui aussi viticulteur et engagé au sein du réseau Solidarité paysans Aquitaine. Comme Florence Cardoso, Solidarité paysans l’a accompagné sur ce point dans le passé. « On s’enrichit réciproquement, la personne accompagnée apporte aussi son parcours. Elle peut ensuite devenir elle-même accompagnante », confie Florence Cardoso.
Plus loin
La MSA renforce en 2024 ses actions de prévention. Elle a notamment annoncé le 10 juin la création d'une aide au répit administratif en cas d'épuisement professionnel face à une surcharge administrative exceptionnelle.
Les leviers à actionner
- Agri’écoute
Agri’écoute est un numéro d’appel gratuit (09 69 39 29 19) mis en place fin 2014 par la MSA dans le cadre de son plan de prévention du suicide en agriculture. Il est accessible 24 h/24 et 7 j/7. Il reçoit environ 3 000 appels par an. Il met en relation avec des psychologues formés aux problématiques agricoles. Jusqu’à cinq rendez-vous sont possibles avec le même interlocuteur. Ce service est désormais complété par une plateforme de discussion en ligne (agriecoute.fr) pour permettre une prise de rendez-vous par tchat, mail ou visio consultation. Si l’appelant accepte de lever son anonymat, il est alors accompagné par la cellule pluridisciplinaire de prévention du mal-être de la caisse MSA dont il dépend.
- Le réseau Sentinelles
Le réseau Sentinelles est constitué aujourd’hui de 5 000 volontaires en lien avec le monde agricole et formés à la prévention du suicide. « Il peut s’agir d’un conseiller de la chambre d’agriculture, d’un comptable, d’un conseiller bancaire, d’un œnologue… 20 % des élus MSA sont Sentinelles », détaille Frédérique Jacquet-Libaude, responsable du programme de prévention mal-être de la MSA. Les caisses locales de la MSA animent ce réseau. Le rôle des Sentinelles va être d’alerter et de faire le lien en cas de repérage d’une personne fragilisée.
- Les cellules Réagir
Elles sont constituées à l’échelle d’un département pour coordonner toutes les structures professionnelles impliquées dans l’accompagnement des agriculteurs fragilisés. Leur composition peut varier en fonction des spécificités du département. Le contact se trouve sur le site de la chambre d’agriculture départementale. C’est en général le service Entreprise qui est référent. Parfois, le secrétariat de la cellule est géré par la MSA départementale.
- Solidarité paysans
Cette association nationale fédère des structures départementales et régionales qui ont parfois un nom différent. Sur le site solidaritepaysans.org, on géolocalise les coordonnées de l’antenne la plus proche. L’objectif de Solidarité paysans est de sortir les agriculteurs en difficulté d’un engrenage délétère, de les aider à faire valoir leurs droits en justice, de les épauler pour préserver leur emploi et leur lieu de vie. L’association milite pour le maintien de l’agriculture paysanne.
- Pass’agri
La MSA a mis en place la plateforme msa.fr/lfp/pass-agri qui recense les dispositifs qu’elle propose en cas de difficultés.