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Le futur conseil phyto encore dans le flou

Si l’ordonnance parue en avril dernier a acté la séparation capitalistique stricte entre la vente et le conseil des produits phytosanitaires, il reste beaucoup d'incertitudes sur les deux types de conseils qu’elle instaure. Le point sur les principales questions.

© Mich

Le 1er janvier 2021, l’ordonnance sur la séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques devra s’appliquer. C’est demain ! Pourtant, les professionnels que nous avons interrogés peinent à dessiner avec précision le nouveau paysage de la vente et du conseil de phyto. Certains craignent une nouvelle usine à gaz.

Comment se distinguent les conseils stratégiques et spécifiques nouvellement définis ?

Le conseil stratégique s’appuie sur un diagnostic préalable « comportant une analyse des spécifités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales des espaces concernés », dit l’ordonnance. Selon Laurent Bernos, directeur du service Vigne et vin à la chambre d’agriculture de la Gironde, « ce conseil a une vision plus large. On peut imaginer qu’il fixera des objectifs de réduction des phytos et préconisera pour les exploitations, l’abandon du désherbage chimique, l’investissement dans des outils de travail du sol, l’utilisation de panneaux récupérateurs, l’arrêt des produits CMR ou encore la généralisation de la confusion sexuelle ou le recours à du biocontrôle. Il réfléchira aux points clés de l’exploitation sachant qu’il doit prendre en compte la dimension économique. Il s’agira d’arriver à un plan d’action sur plusieurs années ».

Comme le conseil stratégique, le conseil spécifique doit avoir un objectif « de réduction de l’usage et des impacts des produits phytosanitaires ». Il préconise par écrit les produits à utiliser en précisant la spécialité ou substance active, la cible, les parcelles concernées, la superficie, la dose et les conditions d’utilisation. Difficile de savoir à ce stade comment les deux conseils vont s’articuler.

Les deux conseils sont-ils obligatoires ?

L’ordonnance précise que le conseil stratégique est « formalisé par écrit » et qu’il est obligatoire à raison de deux conseils sur cinq ans avec au minimum deux ans d’écart. Mais sa délivrance n’est pas requise pour les entreprises utilisant uniquement des produits alternatifs (biocontrôle ou issus de substances de base ou à faible risque) ni celles engagées pour la totalité de leurs surfaces dans une démarche de réduction de l’usage et de l’impact des produits phytopharmaceutiques. La liste de ces démarches sera définie par un arrêté. Bio et HVE y figureront mais quelles autres démarches : Agriconfiance, Terra Vitis, Ferme Dephy, groupes 30 000, SME… ?

Le conseil spécifique, quant à lui, n’est pas précisé comme obligatoire par l’ordonnance. « Un agriculteur pourra se dire qu’il va faire le même programme que l’année passée et ne pas recourir à du conseil spécifique, ce qui pourra avoir un effet contreproductif sur les utilisations. Cela accroit le degré de responsabilité des agriculteurs », estime Sandrine Hallot de la FNA (Fédération du négoce agricole).

Cette non-obligation pourrait finalement limiter la portée de la séparation de la vente et du conseil aux yeux de certains professionnels qui attendent toutefois la publication des référentiels des agréments pour s’en assurer.

Quel coût prévoir ?

« Il faudrait savoir exactement ce qu’il y a à faire pour estimer quel coût de prestation peut être envisagé. Est-ce que le conseil stratégique nécessitera une heure ou trois jours de travail ? Le conseil sera ouvert à la concurrence. Si on fait le parallèle avec les diagnostics énergétiques obligatoires dans l’immobilier, ils sont rentrés dans les mœurs et les techniques se sont rodées », analyse Laurent Bernos de la chambre d’agriculture de Gironde.

Quels seront les contrôles ?

« Le conseil stratégique se présente comme un état des lieux permettant d’identifier les leviers à mettre en place mais le degré d’obligation pour les agriculteurs est encore imprécis. Quel contenu aura la seconde visite par rapport à la première ? Y aura-t-il une définition/vérification d'objectifs ? " se demande Sandrine Hallot de la FNA. Laurent Bernos souligne que « chaque agriculteur devra prouver lors du renouvellement du Certiphyto qu’il y a bien eu deux conseils stratégiques en cinq ans ».

Pour Thierry Berger, directeur général de Soufflet Vigne, le contrôle a posteriori « détricote le Certiphyto qui avait engagé une dynamique de traçabilité des phytos ».

Les distributeurs vont-ils plutôt choisir la vente ou le conseil ?

« Faute d’avoir encore tous les éléments puisque les agréments pour la vente et le conseil sont encore en discussion, il est difficile de savoir que choisir. Les référentiels devraient être connus entre l’automne et la fin 2019. Pour changer de stratégie d’entreprise, ça fait court », résume Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services à la FNA.

« Beaucoup de choses restent incertaines, regrette Thierry Berger chez Soufflet Vigne. Normalement, au 1er janvier 2020, nous devons préciser à l’administration si nous nous mettons dans le conseil ou dans la distribution. Nous serons prêts si demain il faut que Soufflet ait une part minoritaire dans une structure de conseil. Mais nous sommes vraiment en attente de ce que les décrets d’application vont nous dire ».

Quel sera désormais le rôle des distributeurs ?

« Au sens du droit européen et du droit français, le vendeur a un devoir de conseil. Nous restons tenus de donner certaines informations de sécurité parce que c’est légal », insiste Sandrine Hallot. Ce point est d’ailleurs confirmé par les textes qui évoquent lors de la vente, une personne « disponible pour fournir aux utilisateurs les informations appropriées concernant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, notamment la cible, la dose recommandée et les conditions de mise en œuvre, les risques pour la santé et l’environnement liés à une telle utilisation et les consignes de sécurité afin de gérer ces risques ».

Mais quelles activités précises vont échapper aux distributeurs ? Là encore pas de certitude à ce stade. « Il y a tout un éventail de services proposés par les coopératives et le négoce dont on ne sait pas s’ils seront concernés ou non par la séparation de la vente et du conseil. Cela pose un problème social », souligne Sandrine Hallot. Les entreprises de négoce craignent de voir partir leurs meilleurs éléments vers d’autres structures.

Qui va assurer les prestations de conseil ?

« Vous aurez quelques acteurs et grosses structures qui veulent déjà avoir un conseiller indépendant. C’est déjà une tendance du marché. Les besoins de conseils sont très importants et dépassent très largement les préconisations phyto », estime Thierry Berger de Soufflet Vigne.

« Dans le cadre de Proviti, nous ferons une déclinaison autour du conseil stratégique. Ça fera partie de la palette. Nous ne savons pas ce que le référentiel du conseil spécifique va changer par rapport au conseil de préconisation pour lequel nous avons aujourd’hui l’agrément . Mais rien n’interdit de faire les conseils stratégiques et spécifiques. Ce qui est interdit, c’est le lien capitalistique entre vente et conseil », considère Laurent Bernos.

Quelles conséquences pour les coûts des produits phyto ?

« Même si le prix des phytos baisse, il est possible que ça ne soit pas compensé en cas d’embauche mais il faut prendre en compte le développement de toutes une série de nouvelles démarches qui peuvent justifier le coût d’une embauche », projette Anne Haller, directrice de Coop de France vignerons coopérateurs.

Pour Thierry Berger, l’évolution des prix viendra plutôt de l’interdiction des trois R (rabais, ristourne, remise) « qui va avoir un impact sur le marché important ».

Quel sera l’impact sur la consommation de produits phyto ?

La réduction des phytos est le premier objectif visé par l’ordonnance. Pour Jean-Marie Séronie, agroéconomiste, la séparation était logique car « la baisse d’utilisation des produits phytos entraine des changements dans le système de production et seuls des conseillers indépendants peuvent intervenir car cela touche à la stratégie de l’entreprise et nécessite une vision globale ». Mais selon lui, « au début, le gros des organismes sera issu des coopératives et du négoce. Ils vont jouer la sécurité et peut-être même que les IFT vont augmenter dans un premier temps. Il faudra au moins cinq à six ans pour mesurer les effets ».

Pour Thierry Berger, le conseil se développe de façon globale compte tenu notamment de la pression sociétale qui conduit au développement des certifications environnementales, et c’est surtout ce levier-là qui va être le plus efficace pour réduire l’usage des phytosanitaires.

La stratégie nationale de biocontrôle en débat public cet été

La mise en consultation de la stratégie nationale de déploiement du biocontrôle interviendra cet été, a annoncé le 4 juin Didier Guillaume devant la Commission des finances dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques. Pour accélérer le développement il est envisagé de réduire les délais d’octroi des AMM (autorisations de mise sur le marché) par l’Anses. Didier Guillaume envisage « une taxe réduite pour les fabricants », à 25 000 € (contre 50 000 €) par demande d’AMM.

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