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La filière vin sous l'étau des sanctions douanières américaines

Pas de répit sur le marché américain en 2021. La distorsion de concurrence causée par la taxe Trump s’est aggravée depuis le 12 janvier, y compliquant encore les stratégies commerciales. Un soutien spécifique tarde à venir.

Depuis le 12 janvier 2021, la distorsion de concurrence s'aggrave pour les vins français aux Etats-Unis. Avec les vins allemands, ils sont spécifiquement touchés par l'élargissement du champ de la surtaxe de 25% imposée par l'administration américaine depuis octobre 2019 dans le cadre du conflit Airbus/Boeing.
© D.Dutour/STOCK.ADOBE.COM

En un an, les sanctions douanières américaines en vigueur depuis le 18 octobre 2019 ont entraîné une baisse de 50 % des importations des produits français soumis à la surtaxe, analyse la Fédération française des vins et spiritueux de France (FEVS). La perte de chiffre d’affaires pour les entreprises exportatrices est évaluée à environ 600 millions d’euros. Sur cette même période, le recul de la part de marché de la France dans les importations américaines est estimé à 22 %. La perte est particulièrement sensible en valeur : sur les dix premiers mois de 2020, la baisse globale des exportations françaises de vin vers les États-Unis est de 12 % en volume et de 26 % en valeur.

La taxe additionnelle de 25 % s’appliquait au départ aux vins tranquilles de moins de 14 degrés conditionnés en moins de 2 litres. Certaines catégories non concernées ont pu saisir des opportunités en 2020 : « le vrac a progressé de 182 % en volume et les BIB de 35 % », indique Anna Achard, responsable pôle conseil vins et spiritueux de l’agence Business France.

Mais depuis le 12 janvier, il n’y a guère que les effervescents qui restent épargnés. Désormais les vins tranquilles à plus de 14 degrés et les contenants de plus de 2 litres sont aussi concernés. Le sont aussi les spiritueux issus de raisins ou de marc de raisin, donc le cognac et l'armagnac, mais avec un seuil (plus de 38 $ par "proof liter", ce qui correspond à un prix d'importation supérieur à 22,8 $ pour une bouteille de 75 cl titrant 40% alc.).

S’adapter aussi au nouveau contexte de consommation

Il faut aussi compter avec les effets du contexte sanitaire. « Le champagne n’est pas concerné par les taxes mais en 2020, il a connu aux États-Unis un recul important sous l’impact des changements de consommation liés à la crise sanitaire » observe Anna Achard. Elle constate que la consommation s’est déplacée « sur du vin quotidien, moyen de gamme, sur des valeurs sûres et des marques, à condition que le prix ne change pas de façon importante ». "Il y a une forte demande des importateurs américains pour le créneau 12-16 $ (ce qui correspond à un prix de départ de 3-4 €) mais ils considèrent que le coeur de l'offre française est plutôt sur 15-20 $ (prix départ 4-6 €). On a donc un léger décalage, qui a dû être accentué par la taxe Trump", détaille-t-on chez Business France. Plus que jamais, la fine connaissance du marché est cruciale pour s’adapter. Dans le cadre du plan de relance, en partenariat avec le CNIV et la FEVS, l’agence a lancé l’achat de panels de vente et d’études de consommation dans ce but. Les premiers éléments sont attendus courant février.

Tenir sur un marché qui reste prometteur

« Ce n’est pas un marché à abandonner car la croissance sous-jacente est là », encourage Anna Achard. L’agence conseille aux exportateurs de continuer à viser la distribution hors CHR (dite off-trade) avec les retailers, les cavistes et le e-commerce actuellement en forte croissance.

La digitalisation s’impose comme un outil de prospection. « Les exportateurs doivent encore plus roder leur discours commercial et être efficace en visio-conférence », préconise Anna Achard. Pour sa part, l’agence a maintenu ses Tastin' France envisagés à New York, Houston et San-Francisco du 12 au 15 avril mais en distanciel. Ils font partie des dispositifs éligibles au chèque-relance export.

Lire aussi : Faire appel à un agence commerciale export 

 

Des espoirs de soutien déçus depuis de longs mois

Face à la deuxième salve de taxes annoncée fin décembre dernier, la filière des vins et spiritueux est remontée au créneau pour réclamer à nouveau des compensations face au préjudice subi par les produits français. L’espoir né d’une première réunion le 7 janvier face à quatre ministres est vite retombé. À l’issue d’une seconde réunion à Bercy, le 13 janvier, Jérôme Despey, président du conseil spécialisé Vin de FranceAgriMer, a estimé qu’il n’y avait « aucune mesure concrète ». Il a aussi parlé de « douche froide ».

Pas de signe de soutien du côté de Bruxelles non plus. Début janvier, soixante eurodéputés ont adressé une lettre à la Commission européenne pour demander la mise en place d’un fonds de compensation destiné aux secteurs agroalimentaires affectés par les sanctions américaines depuis octobre 2019.

Le 25 janvier, à l’occasion d’un conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE, les 27 États membres ont appelé la Commission européenne à négocier rapidement avec la nouvelle administration Biden afin d’éliminer définitivement les sanctions américaines, indique Agra Presse. Le commissaire à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski a assuré que la Commission demandera dans le cadre de ces négociations «une suspension des droits de douane». Mais à propos de l’octroi d’un soutien financier aux secteurs touchés par les taxes Trump, il a juste indiqué que Bruxelles « examinera très attentivement et sérieusement les appels lancés en ce sens ».

 

Florian Ceschi, manager chez le cabinet de courtage en vin Ciatti Europe

Les performances des vins du Sud vont ralentir

« Il y a eu beaucoup de confusion, certains confondant les nouvelles taxes liées à Airbus et celles, liées aux Gafams, qui elles ont été suspendues. Ce qui est certain c’est que les vins du Sud seront désormais les plus touchés. Ils avaient cette capacité à expédier des vins à plus de 14 degrés et du vrac avec des cours moyens de 200 €/hl. Nous avons eu l’écho d’exportateurs ayant préféré faire retourner les vins ou les rediriger plutôt que de risquer de se retrouver à payer la totalité de la taxe. Pour ce qui était en cours, certains attendent. D’autres se sont reportés sur des vins espagnols ou italiens. D’autres font le choix d’importer quand même, quand la marge est suffisante. Tout n’est pas remplaçable par l’Espagne ou l’Italie dans les gammes. Les IGP du Languedoc seront peut-être un peu moins affectées en BIB, sur des entrées-milieux de gamme. Lorsque l’on est à plus de 300 €/hl, la taxe va paraître proportionnellement prohibitive. Nous avons l’exemple avec un côtes-du-rhône-plan-de-dieu. L’acheteur va se retrouver à payer en taxe la valeur d’un hl de vin de France blanc ou rouge. On peut imaginer que ça ralentisse les performances des vins du Sud. »

Patrycja Matyskiewicz responsable marketing USA Chine au Comité Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB)

« Nous avons réussi à garder le volume »

À fin novembre 2020, nos exportations vers les États-Unis ont reculé de 1 % en volume et de 31 % en valeur sur un an. Nous avons réussi à garder le volume. Le recul en valeur doit prendre en compte l’effet millésime, très important pour nos vins. L’an dernier c’était le 2017 qui était expédié. Les mois de septembre à novembre 2020 ont montré des signes de reprise avec une progression de 13 % en volume. La vente en ligne est en forte croissance. Les États-Unis restent un marché premium avec un prix moyen de départ élevé. Nous poursuivons notre stratégie qui est d’éduquer, engager et récompenser les prescripteurs. En 2020 nous avons organisé une douzaine de webinaires qui ont touché 2500 professionnels. 75 % d’entre eux ont dit vouloir augmenter leur offre de vins de Bordeaux. Nous travaillons sur des incentives et des animations clés en main. Nous ciblons les vins au-delà de 10 dollars. Nous programmons des opérations en présentiel au second semestre mais cette crise nous a permis de concevoir des versions digitales. Nous relançons le programme de promotion Clink Different organisé avec les vins allemands, qui nous permet de prendre la parole dans de nouveaux États. Notre volonté est d’accompagner jusqu’à la conversion à l’achat. »

Jean-Jacques Breban, président du Comité interprofessionnel des vins de Provence (CIVP)

« Nos exportations ont baissé en valeur car on a expédié en vrac »

« Nous exportons environ 35 % de nos vins, et les États-Unis constituent notre principal marché export. Entre janvier et novembre 2020, nos ventes de rosé ont reculé de 12 % en volume et 23 % en valeur. De nombreux opérateurs ont expédié leurs vins en vrac pour contourner la taxe. Ainsi, 27 % des vins expédiés ont été mis en bouteilles sur le territoire américain. Donc forcément les vins en vrac se valorisent moins bien. Les plus gros opérateurs ont investi dans des sites d’embouteillage aux États-Unis. Avec la nouvelle taxe entrée en vigueur en janvier 2021, ces investissements perdent leur sens. Heureusement d’autres marchés, notamment le Royaume-Uni, ont pris le relais et compensé les pertes. De janvier à novembre 2020, les exportations de rosés sont à +3 % en volume, et -3 % en valeur. Pour 2021, nous n’avons aucune visibilité. Si les restaurants restent fermés en France et que d’autres pays prennent les mêmes décisions, ça va être très compliqué. Les couvre-feux créent une ambiance morose, à l’opposé du partage et de la convivialité liés au vin. On s’adapte en développant nos activités digitales. Mais notre métier c’est de vendre du rêve, et derrière un écran, c’est nettement plus compliqué. »

Lire aussi : Comment continuer à vendre ses vins aux États-Unis

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