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« La culture de la sécurité doit être développée dans l’ensemble du domaine viticole »

Julitka Potocka, fondatrice d’In Vino Securitas et Cyrille Lenoir, directeur associé du cabinet Iremos réalisent des audits de sûreté bâtimentaire de domaines viticoles. Ils sensibilisent à la prévention des risques.

Lors de leurs audits, In Vino Securitas et Iremos constatent que les clés sont souvent mal gérées, même pour des lieux sensibles.
Lors de leurs audits, In Vino Securitas et Iremos constatent que les clés sont souvent mal gérées, même pour des lieux sensibles.
© J. Potocka

Qu’est-ce qui peut motiver le déclenchement d’un audit de sécurité ?

Julitka Potocka (J. P.) : La plupart de nos clients ont été confrontés à des vols ou des dégradations dans leur domaine ou ont été sensibilisés par la survenue de tels actes dans des domaines voisins. Les risques sont les atteintes aux personnes, aux biens ou aux finances.

Cyrille Lenoir (C. L.) : Nous pouvons intervenir sur un projet immobilier pour conseiller des aménagements en amont, dès la conception du bâtiment. Nous travaillons alors sur plans, avec les autres corps de métier impliqués dans le projet. On vient greffer la couche de sûreté. Les aménagements sont mieux intégrés lorsqu’ils sont pensés dès la conception.

Pourquoi les domaines viticoles sont-ils plus vulnérables qu’avant aux actes malveillants ?

J. P. : Je me suis rendue compte que les questions de sécurité étaient peu prises en compte dans les domaines viticoles, et ce, alors que le vin a un fort poids économique. Certains domaines, du fait de l’entrée de leurs vins dans la sphère du luxe, sont davantage exposés au risque d’actes malveillants comme les ventes illicites, la contrefaçon ou les vols. Le développement de l’œnotourisme est un autre facteur de risque. En ouvrant leurs portes, les domaines n’ont pas pensé à la sécurisation des parcours et aux éventuelles visites de repérage. La multiplication des prestataires et d’intervenants extérieurs peut également être une source de fragilisation. La prévention permet d’avoir l’esprit tranquille.

Concrètement comment se déroule un audit ?

J. P. : Notre analyse va porter sur le bâtimentaire mais aussi plus généralement sur l’organisation de l’activité. Nous faisons le tour des locaux en regardant dans le détail qui a accès à quels espaces, qui a les clés de quoi, s’il y a de l’accueil du public, comment est gérée l’intervention de prestataires… La phase d’interview est très importante, on a besoin d’avoir une bonne visibilité du fonctionnement du domaine.

C. L. : Nous faisons en amont une demande documentaire incluant notamment le plan des lieux, l’implantation des caméras s’il y en a, l’organigramme de l’entreprise. Nous faisons énormément de photos pendant la visite. Nous évaluons les risques d’intrusion physique. Les endroits les plus vulnérables sont les lieux de production et de stockage. Nous allons aussi intervenir sur le périmètre d’accès d’un site en regardant par exemple l’emplacement des parkings.

 

 
Bâtiments viticoles du château Rudelle en Dordogne dans le vignoble de Bergerac.
L'audit de sûreté bâtimentaire repose sur une visite approfondie des lieux mais aussi sur un recueil d'information précis sur l'organisation de l'entreprise. © Catherine Gerbod

Quels défauts de sûreté constatez-vous le plus souvent ?

J. P. : Les personnes qui travaillent sur place n’ont pas notre regard et ne vont pas forcément imaginer des risques tels qu’une personne qui viendrait ajouter quelque chose dans une cuve ou dégrader à l’extérieur un équipement nécessaire à la climatisation des chais. Nous apportons un œil extérieur. Nous élaborons des scénarios. Les stocks de matières sèches ne sont pas toujours identifiés comme un point sensible quant aux risques de contrefaçons. Je me rappelle ainsi avoir vu dans une exploitation un stock d’étiquettes placé à côté de la machine à café. Nous constatons souvent qu’il n’y a pas de véritable gestion des clés.

C. L. : Les caméras de surveillance sont une aide à la dissuasion et à l’enquête en cas d’acte de malveillance mais elles sont souvent mal placées ou trop nombreuses. On se rend compte parfois qu’une caméra filme les gens de dos.

Quel type de mesures proposez-vous ?

C. L. : Nous allons distinguer les zones plus ou moins sensibles. Nous pouvons suggérer un renforcement d’une porte par un ferronnier, la pertinence d’un matériau plutôt qu’un autre pour un portail, un changement de flux de circulation pour isoler un point sensible ou encore la clôture des installations de refroidissement à l’extérieur. Pour les caméras, nous allons préconiser des implantations, nous interroger sur qui regarde et sur le stockage des données. Nous pouvons conseiller l’ajout de signalisation pour bien clarifier les règles de circulation ou le remplacement de clés par des badges qui sont plus faciles à désactiver. Après la remise du rapport, nous pouvons accompagner sur la mise en œuvre de certaines mesures en maîtrise d’ouvrage.

J. P. : Le plan d’action va préconiser une liste d’aménagements. C’est au client de voir ce qui lui semble le plus important. Parfois ce sont de simples mesures de bon sens. Il peut nous arriver d’évoquer le changement d’emplacement d’une pièce ou d’un parking. Sur les circuits œnotouristiques, nous sommes parfois en opposition avec le marketing ou la communication sur le cheminement à l’intérieur du site. Nous devons parfois faire des compromis. Nous intégrons la nécessité de ne pas gêner l’efficacité du travail et de respecter le patrimoine et l’âme du lieu.

Comment associer les collaborateurs à la démarche ?

J. P. : La culture de la sûreté doit être développée dans l’ensemble de l’entreprise. Nous proposons des formations dédiées. Nous pensons qu’il faut informer l’ensemble des collaborateurs sur les risques liés aux actes de malveillance, définir les rôles et les responsabilités de chacun.

Des spécialistes venus d’ailleurs

Le conseil en sécurité est pour certains agents de l’État une seconde partie de carrière. C’est par exemple le cas du cabinet Iremos, créé par des ex-gendarmes du GIGN. Julitka Potocka fondatrice d’In Vino Securitas, a elle-même travaillé pour le ministère de l’Intérieur dans le domaine des relations internationales. Elle agit en tant qu’intermédiaire entre les acteurs du monde du vin qu’elle connaît et un réseau d’experts qui intervient dans différents secteurs d’activité. « Les grands groupes ont une culture de la sûreté mais pas les entreprises moyennes ou de petite taille », observe Cyrille Lenoir, du cabinet Iremos. La fourchette des audits proposés avec In Vino Veritas peut aller de 7 000 à 15 000 euros HT selon le temps passé. Il comprend le temps de recueil de l’information et de visite sur site et la rédaction du rapport rendu avec les préconisations.

 

Des visites de sûreté gratuites faites par des gendarmes

 

 
Mai 2022. Opération de sensibilisation de la gendarmerie aux mesures de prévention des vols sur les exploitations agricoles. Echanges organisés sur la ferme d'Alain ...
Des gendarmes sont désignés comme référents sûreté dans certains vignobles et effectuent des visites de prévention des risques. © DR

Dans plusieurs régions viticoles, la multiplication d’actes de malveillance a conduit professionnels de la filière et gendarmes à se rapprocher. C’est le cas dans le vignoble charentais avec un protocole signé le 20 juillet 2021. « Il s’agit d’une convention locale de coopération de sécurité entre la gendarmerie de la Charente et les acteurs de la filière cognac », explique Jérôme Le Caro, chef d’escadron du groupement de gendarmerie de la Charente. La Champagne, pilote en la matière, a inspiré cette démarche. Un site dédié a été mis en place à destination des professionnels. Il alerte par exemple sur des phénomènes constatés dans le vignoble. Deux référents sûreté effectuent des visites dans les exploitations. Il peut s’agir d’une simple consultation ou d’un diagnostic plus poussé. Ces conseils sont gratuits. Une fiche de sûreté est rédigée.

Une démarche étendue à l’échelle régionale

Depuis 2021, 82 interventions ont été effectuées, « en majorité des consultations sûreté », précise Jérôme Le Caro. « On est là pour rassurer et distiller des conseils, qui relèvent parfois du simple bon sens. Nous pouvons recommander de la vidéosurveillance ou encore rappeler que les GPS ne doivent pas rester dans les engins agricoles. Nous alertons aussi de plus en plus sur la cybercriminalité », informe-t-il. Le dispositif charentais a été intégré dans le Plan 20, lancé le 12 septembre 2023 à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine. Coordonné par la gendarmerie de la région, il décline vingt objectifs visant à resserrer les liens entre la gendarmerie et les acteurs du vignoble. Le point 5 évoque « la prévention technique de la malveillance » avec des visites de sûreté permettant, par des conseils, de « réduire les vulnérabilités du site (risques cambriolages, vols, dégradations…) ». D’autres mesures abordent la sécurité économique, la sensibilisation à la cybersécurité ou encore l’Opération tranquillité vacances viticulteurs (OTV2).

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