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Foncier : les Safer contestées

Sur le terrain, les Safer sont vilipendées. Accusées d’être opaques, peu représentatives, intéressées, et de manquer d’éthique et de communication, qu’en est-il réellement ? Notre enquête.

Viticulture charentaise. Vignoble du Cognaçais. Vigne de cépage Ugni Blanc pour la production de cognac. raisin blanc. paysage viticole. village au milieu des vignes. ...
Lors de l'octroi des parcelles de vigne, les Safer privilégient les porteurs de projet ayant un financement solide.
© P. Cronenberger

Si tous les viticulteurs et vignerons que nous avons contactés pour cet article reconnaissent avoir bénéficié, à un moment de leur carrière – le plus souvent à l’installation –, du soutien des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), tous pointent néanmoins des dysfonctionnements. Mais ces récriminations sont-elles fondées ?

Lancées sous l’égide du général De Gaulle et du ministre de l’Agriculture de l’époque Edgar Pisani, les sociétés d’aménagement visaient à remettre les terres aux mains de ceux qui les cultivent. « Les Safer ont été créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960, précise le site safer.fr. Leurs objectifs initiaux consistaient à réorganiser les exploitations agricoles, dans le cadre de la mise en place d’une agriculture plus productive, et à installer des jeunes» Le 14 juin 1961, le décret d’application fixait les modalités de fonctionnement, de financement et de contrôle de l’État. Et la loi complémentaire du 8 août 1962 conférait aux Safer un droit de préemption.

Mais cinquante-trois ans plus tard, elles ont évolué, au fil des gouvernements et des réformes. « La Safer est devenue une agence immobilière, dénonce ainsi Rémy Gresser, vigneron au Domaine Gresser à Andlau, dans le Bas-Rhin. Elle fait monter les prix. » Et pour cause. Depuis 2017, ses frais de fonctionnement sont assurés non plus par des deniers publics, mais par une commission ponctionnée sur les ventes. « Nous prélevons environ 7 % de la vente », détaille en effet Emmanuel Hyest, président de la fédération nationale des Safer. Une marge qui n’a selon lui aucun impact pour l’acheteur, ce dernier étant en échange exonéré des droits de mutation à titre onéreux. Mais mécaniquement, plus le montant de la vente est important, plus sa commission est élevée.

Un mode de fonctionnement qui privilégie les financements solides

Un glissement pointé tant par les vignerons que nous avons interrogés, que par divers organismes. En 2019, la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), premier syndicat des professionnels de l’immobilier, dénonçait ainsi « une concurrence déloyale ». Et chose plus grave, elle accusait les Safer d’être « le premier acteur de la financiarisation de l’agriculture, ce qui peut avoir comme effet pervers de conduire à une augmentation des prix du foncier ». Un fonctionnement qui ferait le jeu des grosses firmes telles LVMH, qui peuvent aligner les zéros. Emmanuel Hyest récuse néanmoins ces accusations. « Jamais nous ne choisissons en fonction du budget, proteste-t-il. Nous achetons une terre puis nous publions une publicité pour ce bien, avec un prix fixé et public. Tout le monde peut présenter son dossier, le prix est connu et c’est le même pour tous. » Mais si le prix fixé est trop élevé, seuls les gros groupes peuvent s’acquitter de la somme demandée, les autres candidats n’ayant pas de financement suffisamment solide.

Le problème du financement n’est pas le seul soulevé par les viticulteurs. Un vigneron bourguignon pointe, et déplore, certaines lenteurs et manques de communication. Il rapporte en effet avoir été aidé par la Safer cette année. Mais avant de savoir si la parcelle lui serait attribuée, il a dû patienter deux mois. « Normalement, dès que le comité a lieu, vous avez la réponse, explique-t-il. Là, j’ai dû attendre plus de deux mois, ce qui m’a mis dans l’embarras pour la taille, les commandes d’engrais, etc. » Il a eu beau appeler la secrétaire de sa fédération départementale, tenter de joindre son conseiller, impossible d’avoir quiconque. Un problème reconnu par la Safer qui semble impuissante face à ce phénomène. « Je sais qu’il y a des conseillers qui répondent et d’autres qui ne le font pas, regrette en effet Emmanuel Hyest. Ce n’est pas normal, tous doivent répondre aux sollicitations. »

Des débats à huis clos qui manquent de transparence

Or ce manque de communication amène les vignerons à douter du système. « Tout est opaque, poursuit le viticulteur bourguignon. On ne sait pas ce qui se passe. On a l’impression que les membres du comité font leur tambouille interne. Il n’y a pas de transparence, ce qui invite à penser qu’il y a du copinage. » « Beaucoup voudraient que les débats soient filmés et ouverts à tous, reconnaît Emmanuel Hyest. Mais pour garantir la transparence, la confidentialité des débats est indispensable. » Et de citer le cas d’une commission devant étudier le dossier d’une collectivité. « Nous avions un membre de la collectivité autour de la table, rapporte-t-il. Après étude des dossiers, il a voté contre l’attribution à sa collectivité, comme le reste de la commission. Si cela avait été public, il n’aurait pas pu voter en son âme et conscience, de peur de perdre son emploi. » Pour lui, les commissions des Safer sont semblables à des cours d’Assises. « On ne peut pas étaler ces débats sur la place publique, sinon cela peut avoir de lourdes conséquences pour les gens », argue-t-il.

Instaurer un comité d’éthique pour des décisions plus objectives

Pour autant, communiquer autour des critères d’attribution des parcelles aiderait les vignerons à avoir davantage confiance dans l’institution. Or ils semblent pour la plupart du temps flous et mouvants, comme le résume un viticulteur de l’est de la France. Bien qu’ayant réussi à s’installer grâce à la Safer, il regrette que les critères d’attribution des parcelles soient peu objectifs. « C’est à la tête du client, accuse-t-il. Les gros passent avant les petits. De même, si vous avez déjà le financement derrière, vous êtes prioritaire, tout comme si vous êtes en bio. » Mêmes plaintes chez David Lefort, vigneron au Domaine Lefort, à Rully, en Saône-et-Loire, qui estime que la Safer prend ce qui l’arrange dans les dossiers pour justifier sa décision d’attribution et occulte le reste. « Ce serait bien qu’il y ait un comité d’éthique et une pondération en fonction des différents critères », suggère-t-il. Bien qu’étant en bio, il a été débouté d’une parcelle qu’il avait pourtant en fermage depuis plusieurs années. Et ce, au motif qu’il n’entretenait pas bien les vignes. « Or d’après la loi d’orientation agricole, la Safer doit donner la priorité à un vigneron bio », pointe-t-il.

« Nous prenons de nombreux critères en compte lors des attributions, rétorque Emmanuel Hyest. Le bien est attribué au dossier qui correspond le mieux au bien, aux politiques publiques nationales et régionales. » Il cite l’exemple de Bordeaux, où avec la crise actuelle, une parcelle viticole ne sera pas prioritairement attribuée à un viticulteur, mais pourra être octroyée à un agriculteur ayant un projet de culture autre que la vigne. « De même, faut-il privilégier celui qui va exploiter la parcelle ou son détenteur ?, interroge-t-il. Nous essayons de trouver un équilibre entre les deux. » La capacité financière du porteur de projet, ses compétences professionnelles, son statut (JA ou non), son projet (installation, expropriation, agrandissement, viabilité économique, etc.) ou encore son mode de culture (bio ou conventionnel) sont également auscultés et pèsent dans la balance.

Des comités représentatifs de la filière et de la région

Autre sujet de crispation, la composition des comités techniques départementaux, et notamment la représentation des différents courants politiques et syndicaux, qui inciterait au copinage. « Depuis que je suis là, tous les syndicats sont autour de la table, que ce soit la FNSEA, les JA, la Confédération paysanne ou la Coordination rurale », assure Emmanuel Hyest. Les vignerons coopérateurs, les Vignerons indépendants, le Crédit agricole, Groupama, le conseil régional, les chambres d’agriculture, la chambre des notaires, la MSA ou encore la Fédération nationale des chasseurs composent également ces comités. Dont la décision doit ensuite être validée par le ministère de l’Agriculture et par celui de l’Économie. « Il est impossible d’être copain avec tous les acteurs autour de la table, et avec les différents ministères », martèle Emmanuel Hyest.

Quoi qu’il en soit, ces comités ont un rôle toujours plus grand, les Safer n’ayant cessé d’évoluer et de voir leurs prérogatives s’étendre. Et la modification de leur mode de financement n’a pas été l’un des moindres changements. Dès lors, les Safer répondent-elles toujours à leur mission d’origine ? C’est la question dont les agriculteurs devraient s’emparer. Car « voulons-nous conserver des entreprises agricoles familiales ou donner la terre à des fonds financiers, et que les viticulteurs deviennent des ouvriers ?, questionne Rémy Gresser. Il s’agit d’un choix de société. »

Si le prix fixé est trop élevé, seuls les gros groupes peuvent s’acquitter de la somme demandée

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