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Viticulture de conservation
Aller vers un sol autofertile en vigne

Retrouver un fonctionnement optimal des sols et laisser faire le travail par les organismes vivants, tout en récoltant les bienfaits économiques, agronomiques et environnementaux. Telle est la conception d’une agriculture de conservation.

Les plantes cultivées, comme la féverole, sont au cœur de la stratégie de la viticulture de conservation. Elles étouffent les adventices, structurent le sol et entretiennent la fertilité. © X. Delbecque
Les plantes cultivées, comme la féverole, sont au cœur de la stratégie de la viticulture de conservation. Elles étouffent les adventices, structurent le sol et entretiennent la fertilité.
© X. Delbecque

S’il est un domaine où nous avons beaucoup à apprendre des grandes cultures, c’est celui de l’agriculture de conservation. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, a officiellement défini cette notion en 2001 et encourage son développement à travers le monde. Une telle agriculture repose sur trois grands principes : une perturbation mécanique des sols minimale, une couverture organique des sols permanente et une diversification des espèces cultivées. « Ces principes ont pour but de préserver la fertilité des sols, explique Mathieu Archambeaud, agronome et consultant spécialisé dans l’agriculture de conservation. Appréhender l’agriculture de conservation passe par la compréhension d’un sol non perturbé. Un sol de prairie par exemple fonctionne très bien tout seul, l’idée est de s’en inspirer pour l’agriculture. »

Des conséquences positives sur le sol et sur l’exploitation

En viticulture, cela se traduit généralement par l’installation d’un couvert végétal de plantes annuelles en semis direct (c’est-à-dire sans préparation du sol au préalable) pendant l’hiver, couché au printemps à l’aide d’un rouleau hacheur. Le paillis ainsi créé, protège le sol du soleil et des adventices lors de la saison végétative, et l’on peut y semer directement de nouveau un couvert en fin de campagne. Pour le cultivateur, les bénéfices d’un tel système en agriculture de conservation sont de trois ordres. Économiques d’abord, puisqu’il réduit les dépenses liées à la mécanisation du travail du sol et aux intrants pour la fertilisation. « La réduction des charges et le gain de temps font gagner l’entreprise en robustesse économique », assure Mathieu Archambeaud. Agronomiques ensuite, puisqu’il induit au sol un meilleur fonctionnement, une meilleure structure et plus de résilience. « Un sol couvert toute l’année devient autofertile, observe Konrad Schreiber, agronome et consultant. Le carbone des plantes est mangé par les organismes du sol, qui le transforment en azote, ça se fait en continu. » Paul Robert, conseiller en agriculture de formation et fondateur de la société Novalis Terra, ajoute : « Les vers de terre et autres organismes créent des pores dans le sol qui favorisent l’infiltration de l’eau. Le travail du sol entraîne une rupture de capillarité et réduit cette capacité d’infiltration. De plus la matière organique retient l’eau, elle agit comme une véritable éponge. » Les bénéfices sont d’ordre environnementaux enfin, puisqu’un tel système réduit le risque d’érosion, augmente la biodiversité et stocke du carbone. Certains agriculteurs parlent même à terme de réduction des produits phytosanitaires. « Ce qui paraît logique puisque les maladies s’installent plus vite dans le milieu lorsque l’on a fait le vide autour, estime Paul Robert. De même un sol qui fonctionne bien entraîne une réduction des stress abiotiques de la vigne, et le recyclage de la matière organique libère aussi des molécules du vivant comme des acides aminés, glucides, lipides, etc. qui jouent un rôle contre l’esca et les maladies cryptogamiques. » « Sans compter l’effet splash des sols nus qui favorise l’installation du mildiou, ajoute Konrad Schreiber. Il est probable également que la fusariose qui s’installe sur les céréales soit antagoniste au mildiou. »

Jouer avec les plantes et leur destruction pour éviter la concurrence

Mais s’orienter vers un système en agriculture de conservation demande une véritable remise en cause de ce que l’on connaît, admet Matthieu Archambaud. « En vigne on a toujours considéré que le sol doit être propre, que toute herbe est concurrentielle, que la matière organique est synonyme de mauvaise qualité de vin », remarque-t-il. Pour Konrad Schreiber, le problème ce ne sont pas les plantes, mais leur gestion. « Ce qu’il faut arriver à faire c’est installer un couvert pendant le cycle inactif de la vigne, et faire le plus de biomasse possible », dit-il. Et détruire ce couvert dès que la vigne commence à avoir des besoins, c’est-à-dire une fois que les premières feuilles sont installées et opérationnelles. « La clé est d’adapter la destruction en fonction de cela », insiste Paul Robert. Et tant pis si le couvert n’est pas dégradé à temps pour restituer ses éléments au printemps. « La dégradation est un phénomène naturel qui dépend de nombreux facteurs, donc on ne sait pas toujours quand va se faire le relargage, ajoute-t-il. Cela donne une fertilisation plus douce et plus constante dans le temps. »

La difficile question de la gestion du cavaillon

L’inconvénient de ce système est toutefois le risque de salissement par des adventices vivaces. En grandes cultures, les partisans de l’agriculture de conservation sont les premiers défenseurs d’un maintien du glyphosate. Un produit qui pour eux, utilisé avec parcimonie, permet de sortir des impasses techniques. « Un levier pour s’en passer est de faire des rotations de culture et d’adapter le couvert en fonction des espèces présentes sur la parcelle », indique Paul Robert. Une telle gestion est toutefois très pointue et demande beaucoup de compétences techniques. L’autre problème inhérent à la viticulture est la présence du rang de vignes à gérer. Pour beaucoup, on ne peut pas être plus royaliste que le roi, et le désherbage de l’intercep se justifie. Pour Konrad Schreiber en revanche, il y a des choses à faire sur le cavaillon. Implanter des plantes basses comme les trèfles, et qui meurent à contre-cycle, par exemple. « D’autant plus que l’on peut gérer cette couverture avec des tondeuses ou brosses interceps » argumente-t-il. Plus que jamais la recherche et le développement auront leur rôle à jouer pour répondre à ces questions.

 

Lire aussi " Il ne faut pas se lancer aveuglément dans l'agriculture de conservation ", selon l'agronome Jean-Pierre Sarthou

 

La Belle Vigne s’attaque à restituer la fertilité des sols

La Belle Vigne est née mi-janvier, portée par une équipe de consultants, viticulteurs et chercheurs. Ce projet de "recherche-actions", comme le nomment ses concepteurs, propose d’accompagner les viticulteurs vers une nouvelle approche de leur système de culture. Cette dernière se base sur la couverture des sols, l’agroforesterie, la lutte biologique intégrée et l’adoption d’un mode de taille douce.

L’adhésion au projet passe par un abonnement d’environ 800 € par an et par exploitation. Le site diffuse une information spécifique aux sols couverts. Un technicien tout récemment embauché anime le réseau, et peut conseiller les producteurs via une hotline ou lors d’une visite du domaine pour une analyse plus précise. Un autre technicien sera spécialisé sur la formation des viticulteurs à la taille douce. L’approche proposée aux viticulteurs est basée sur un travail de recherche participative et de partage des connaissances. En outre, une chaîne YouTube, « Ver de Terre production », est aussi disponible gratuitement pour ceux qui souhaitent accéder à une information générique sur l’approche globale mise en avant par La Belle Vigne.

Un label pour identifier les produits issus de l’agriculture de conservation

L’Apad (association pour la promotion de l’agriculture durable) vient de lancer un label privé dédié à l’agriculture de conservation des sols (ACS), nommé « Au cœur des sols ». À travers cette démarche, l’organisme souhaite promouvoir ce type de pratiques et espère valoriser les produits issus de cultures plus respectueuses du sol. « Ce type d’agriculture est une nouvelle voie pour réconcilier l’acte de production et la protection de l’environnement, et c’est tout à fait ce qu’attend la société », estime François Mandin, président de l’Apad. Pour être labellisé, l’agriculteur doit pratiquer les trois piliers de l’ACS reconnus par la FAO, à savoir : ne pas laisser les sols nus, ne pas labourer et varier les espèces végétales. Mais également s’engager dans une démarche de progrès continu visant à partager les connaissances, réduire sa consommation de produits phytosanitaires ou encore favoriser la biodiversité.

L’agriculture régénératrice, un autre courant mais une même famille

Certains ont peut-être déjà entendu parler d’agriculture régénérative. Cette approche, diffusée en France par Ulrich Schreier, consiste également à restaurer la fertilité des sols, leur taux de matière organique et leur biodiversité grâce à une couverture végétale permanente et diversifiée. Elle se nourrit de divers courants agroécologiques et fait appel à des pratiques similaires de l’agriculture de conservation, mais s’en distingue en fixant d’autres objectifs. La finalité est d’accroître la productivité de par le fonctionnement du sol et de réduire au maximum l’usage de produits phytosanitaires chimiques. L’utilisation de thé de compost, ferments lactiques et préparations dynamisées fait partie des outils pour atteindre cet objectif.

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