Diversification viticole : « La grenade est un bon complément à la vigne »
Facilement compatible avec l’activité viticole, la grenade demande peu d’interventions. Rencontre avec Thomas Saleilles, dans le Gard, qui s’est lancé il y a quinze ans.
Facilement compatible avec l’activité viticole, la grenade demande peu d’interventions. Rencontre avec Thomas Saleilles, dans le Gard, qui s’est lancé il y a quinze ans.

En commençant sa carrière de viticulteur en 2001, Thomas Saleilles était loin de se douter qu’il serait un jour une des références française en termes de grenade. Et pourtant. Installé à Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, il vient de planter son vingt-troisième hectare de grenadier, envoie les plants de sa pépinière à travers toute la France et conseille les viticulteurs et agriculteurs qui souhaitent débuter cette culture. Une diversification que l’on peut qualifier de réussie…
Dans les années 2008, 2009 et 2010, la crise viticole fait rage en côtes-du-rhône, le prix du vrac est divisé par deux et les acomptes de la cave coopérative suivent la tendance. « J’ai cherché une voie pour me diversifier et ne plus dépendre des seuls revenus de la vigne », pose simplement le viticulteur. Il a fait quelques recherches, et s’est rendu compte que la culture de la grenade était en fort développement en Californie. « C’était un fruit méditerranéen un peu oublié, mais qui existait encore dans les jardins, que j’aimais bien et consommais depuis longtemps », retrace Thomas Saleilles.
De plus, la grenade est plutôt bien adaptée à l’agriculture biologique puisqu’elle ne nécessite pas systématiquement de traitement. Il n’a donc pas hésité longtemps avant de faire son premier test. Le viticulteur a sacrifié pour cela une parcelle de vigne de 80 ares très éloignée de l’exploitation et très peu pratique à travailler. Un investissement autofinancé mais peu conséquent puisqu’il a simplement eu à préparer le sol et acheter les plants. « Ne pas avoir à palisser, ça fait déjà une différence », pointe le viticulteur. Thomas Saleilles s’est rapidement rendu compte des avantages qu’offre la culture de la grenade. Non seulement il n’a jamais eu à réaliser aucun traitement, mais en plus il a très peu de main-d’œuvre, donc très peu de coûts. Il n’y a pas à tailler avant la quatrième année, juste à entretenir le sol le temps que les arbres s’installent. Et à assurer la récolte, obligatoirement à la main, qui commence après les vendanges et se termine en novembre.
La création d’une pépinière spécifique, par nécessité
Rapidement, il a fallu trouver des débouchés. Le viticulteur a constaté que la grenade est davantage consommée sous forme de jus, et s’est penché sur l’extraction et la transformation dès 2013. Un vieux pressoir viticole et quelques tests lui ont permis de sortir ses premières bouteilles. Pour la commercialisation, il a installé un panneau en bord de route et commencé la vente à la ferme. « J’ai tout vendu en trois ou quatre mois », se souvient-il. De là, il s’est mis à planter davantage, et l’histoire s’est enchaînée. Thomas Saleilles a commencé à produire ses propres plants pour ses besoins, car il n’existait pas de pépiniériste spécialisé. Dès la première plantation, où il avait installé diverses variétés, il s’est rendu compte que tous les cultivars n’étaient pas adaptés à la région. Aussi il a créé une collection de 45 variétés achetées à travers le monde. Petit à petit, il a vendu ses surplus aux voisins intéressés. Jusqu’à arracher une vigne en bord de rivière et arriver à une pépinière qui sort 20 000 à 30 000 plants par an.
Quand la vente du vin est repartie, le Gardois a investi dans des outils de transformation pour améliorer la qualité des jus, et dans de nouvelles parcelles où implanter la grenade. « Et maintenant que le vin traverse une nouvelle crise, je suis content de pouvoir compter sur ces revenus », confesse-t-il. Le viticulteur ramasse 10 à 15 tonnes par hectare et par an de grenade, en deux fois. La première en récoltant les plus beaux fruits, pour la grenade de bouche, qui sont apportés à la coopérative Uni-Vert, dans le sud du département. Les fruits ramassés lors du deuxième passage sont transformés en jus, également apportés en grande partie à la coopérative. En quinze ans, il n’a pas connu de gros revers. Les variétés sélectionnées résistent au gel d’hiver jusqu’à -15 °C. « Et le grenadier aime la chaleur. Quand nous avons eu des 46 °C en 2019, les vignes ont brûlé mais je n’ai eu aucun dégât sur les grenades, la récolte a été bonne », témoigne le viticulteur. Comme pour la vigne, l’irrigation n’est pas essentielle, mais elle permet toutefois d’assurer des fruits de beau calibre et de meilleurs rendements sur les sols moins riches. Il n’y a qu’en 2021 que le gel de printemps a eu raison des jeunes pousses. « La végétation est repartie et cette année-là j’ai fait une demi-récolte, relate le Gardois. In fine les dégâts ont été moindres que sur la vigne. »
Les industriels font face à des problèmes d’approvisionnement de qualité
Thomas Saleilles est conscient qu’en tant que pionnier, il a une trajectoire d’entreprise particulière qui n’est pas forcément duplicable. « À l’heure actuelle je ne pense pas qu’il soit pertinent de planter des grandes surfaces, mais je crois beaucoup au modèle du vigneron qui plante un ou deux hectares, presse son jus et le vend en direct auprès de sa clientèle existante, estime-t-il. D’autant plus que cela crée une alternative sans alcool dans la gamme. » Le viticulteur sent toutefois les choses évoluer. La filière se structure chaque jour un peu plus, et les industriels du jus de fruit semblent intéressés par les jus français, qui sont plus chers que ceux importés de Turquie mais de bien meilleure qualité (pas d’oxydation ni de potentiel coupage). Dans le cas où des partenariats arriveraient à être noués, cela pourrait créer un marché volumique basé sur l’achat en vrac et aider la culture à changer d’échelle.
Si la grenade représente désormais un tiers de son chiffre d’affaires et l’activité pépinière un deuxième tiers, Thomas Saleilles n’a jamais voulu arrêter la vigne pour autant. « C’est le patrimoine familial, une culture qui me plaît et que je ne pourrais pas lâcher », avoue-t-il. Une passion transmise à ses deux fils, heureux de pouvoir, à leur tour, travailler les vignes.
Des parts de marché à conquérir en France
Avec la multiplication des producteurs, le syndicat France grenade est né en février 2023, regroupant 75 adhérents venant de Paca, Occitanie, Drôme et Ardèche, et représentant 200 hectares, à 95 % en bio. Son rôle est d’organiser la filière et de la promouvoir auprès des acheteurs professionnels et des consommateurs. « Je préconise aux viticulteurs qui souhaitent se diversifier dans la grenade de commencer par planter quelques arbres pour voir si les conditions pédoclimatiques sont adaptées, et de se rapprocher du syndicat », indique Enora Jacob, animatrice du collectif. Ce dernier organise deux fois par an des formations techniques et permet d’avoir une visibilité sur le marché et sur les prix pratiqués. « On constate, avec l’entrée en production des premiers vergers, qu’il est davantage indiqué de planter des variétés pour le fruit de bouche, sur lequel il y a davantage de débouchés », ajoute l’animatrice. Même si la grenade reste une consommation de niche, Enora Jacob est positive quant au développement de la filière française, car l’offre en rayon est encore majoritairement importée. « Nous avons des parts de marché à prendre, estime-t-elle. Sur le fruit comme sur les jus que l’on trouve en magasin bio, où l’origine locale peut faire mouche. Il y a moyen de se positionner. »
La région Occitanie compte également parmi ses acteurs la Fédération des producteurs de grenade (FPD) du sud, ayant lancé la marque Grenades d’Occitanie France en 2022 et noué un partenariat avec l’entreprise roussillonnaise Sibio.
repères
EARL Saleilles
Superficie 36 hectares de vignes et 23 de grenades
Dénominations côtes-du-rhône, côtes-du-rhône villages chusclan et IGP pays d’oc
Effectif 2 associés et 1 salarié + saisonniers (récolte et mise en place de la pépinière)
Certification agriculture biologique
Commercialisation coopérative (4 chemins pour le raisin, Uni-Vert pour la grenade) et vente directe (grenade fraîche et jus)
tops et flops
+ Être arrivé à produire du jus, qualitatif qui plus est, et avoir une clientèle fidèle.
+ Avoir réussi à diversifier ses rentes, ce qui atténue la dureté de la crise actuelle du vin.
- Avoir voulu conduire les arbustes sur un tronc. Il a besoin d’être buissonnant.
- Ne toujours pas réussir à valoriser les coproduits, comme le font les distilleries pour le vin.
Son enseignement : le grenadier est un arbre qui n’aime pas être trop taillé. Du vieux bois est nécessaire pour une bonne floraison.
Pour découvrir notre dossier diversification :
Diversification viticole : trois pistes en arboriculture
Diversification viticole : « Le kiwi est un fruit demandé »
Diversification viticole : « L'olivier est très simple à cultiver »