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Suppression du plastique : l’aval des fruits et légumes entre inquiétude et certitude

© LIDL France

Depuis le 1er janvier, les conditionnements en plastique (recyclable compris) de moins de 1,5 kg pour les fruits et légumes bruts frais sont désormais proscrits par l’article 77 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec). De plus, les stickers sur l’épiderme des produits, à moins d’être compostables domestiquement, sont interdits (article 80). Ces articles engendrent une véritable révolution pour la filière fruits et légumes avec des impacts économiques conséquents sur tous ses maillons. Bien sûr, un calendrier de remplacement, selon les variétés, a été mis en place avec la date butoir de 2026 et, pour l’heure, les opérateurs disposent de six mois pour écouler leur stocks.

Une loi « chausse-trappe »

L’application de la loi entraîne une multitude de pièges : sur les variétés concernées jusqu’à 2026, sur la segmentation de l’offre, sur les investissements pour l’amont de la filière, sur les impasses techniques pour certains fruits et légumes, l’endive étant un cas d’école (voir FLD Magazine de novembre 2021). Une situation compliquée que résume bien François Dalle, Directeur national Fruidor Terroirs : « Pourquoi laisser 18 ans aux industriels alimentaires et non alimentaires et laisser seulement deux ans voire deux mois (le décret est sorti mi-octobre 2021) à la filière pour assurer la transition ? La réalité pratique sur le terrain est tout autre. Les matériaux de substitution ne sont pas au point et sont beaucoup plus chers, il faut souvent changer les machines de conditionnement avec des investissements importants, les cadences sont ralenties car les papiers s’arrachent et il faut changer plus souvent les bobines, générant des surcoûts importants. En plus, le manque de transparence repousse l’acte d’achat. Je ne suis pas certain que les promoteurs de cette loi aient eu l’intention de faire diminuer les revenus des agriculteurs et baisser la consommation de fruits et légumes ».

 

Mémento : la liste des exemptés

Jusqu’au 30 juin 2023 : tomates à côtes, tomates allongées relevant du segment Cœur, tomates cerises ou cocktail (variétés miniatures), oignons primeurs, navets primeurs, choux de Bruxelles, haricots verts, raisin, pêches, nectarines, abricots.

Jusqu’au 31 décembre 2024 : endives, asperges, brocolis, champignons, pommes de terre primeur, carottes primeur, petites carottes, salade, mâche, jeunes pousses, herbes aromatiques, épinards, oseille, fleurs comestibles, pousses de haricot mungo, cerises, canneberges, airelles, physalis.

Jusqu’au 30 juin 2026 :  fruits vendus « mûrs à point », graines germées, framboises, fraises, myrtilles, mûres, groseilles, surelle, surette, groseille pays, cassis, kiwaïs.

GMS : ce que consommateur veut….

Côté distribution, le basculement vers d’autres types de conditionnements répond à la demande sociétale des consommateurs. « Carrefour étant dans une logique client importante, celui-ci il passe toujours en premier : quelle son expérience désire-t-il en magasin reste est notre souci permanent, martèle Bertrand Swiderski , directeur RSE de Carrefour, nous avons mené une large enquête auprès des consommateurs. Pour eux, les deux items les plus irritants en matière d’emballage plastique portaient d’abord sur le bio et ensuite sur l’ensemble des fruits et légumes. Nous avons donc travaillé avec nos fournisseurs en expérimentant toutes les solutions disponibles : carton, impression laser… Les deux premiers résultats ont concerné le concombre bio et la banane bio équitable. Et nous avons ensuite poursuivi dans sur cette voie : emballage papier pour les pommes de terre bio, filet cellulose pour les aulx, barquette en carton pour l’offre de pommes par 6… Bien évidemment, des difficultés existent. Mais, cas par cas, nous testons les solutions disponibles et nous trouverons. »

Vers plus de gaspillage ?

Chez Lidl France, on voit l’interdiction du plastique pour les fruits et légumes frais comme une bonne chose même si l’on considère la décision contrainte et forcée. « Plutôt qu’une approche en silo, nous préférons une stratégie globale qui se définit par notre programme ResetPlast. Cela nous amène à une politique d’ensemble cohérente, précise Jean Baptiste Leger, directeur RSE. Le distributeur a déjà plusieurs retours d’expérience : « D’une part, le calendrier est très serré ce qui pose la question de l’écoulement des stocks. D’autre part, il y a un problème d’interprétation.. Par exemple, l’offre pot-au-feu traditionnellement présenté en barquette avec film : certains légumes la composant entre dans le cadre de la loi Agec, comme la carotte et d’autre pas, comme le blanc de poireau. Comment faire alors ? » Et le basculement vers d’autres emballage semble avoir un impact sur le rayon : « Concernant la poire, nous sommes passés d’une offre « quatre fruits mûrs à point » sous plastique à une offre similaire en carton. Nous avons noté une performance moindre en caisses. »

Le vrac, une alternative à risque ?

Une grande partie des produits sont vendus à l’état de vrac. Selon Les données du panel Kantar, suivi par le CTIFL depuis 2003, en moyenne en 2020 et toutes espèces confondues, 63% des achats des ménages concernent des fruits et légumes présentés en vrac, et 37% en présentation emballée, soit un peu plus du 1/3 des achats. Pour mémoire, en 2003, le vrac représentait globalement 77% des volumes, 65% en 2018.

En 2020, la fraise et la framboise sont les fruits achetés majoritairement dans leur présentation emballée, tout comme l’endive, l’ail, l’oignon, l’échalote, la mâche, le brocoli et la carotte pour les légumes. A contrario, les produits tels que le raisin, la cerise, le melon, l’aubergine sont encore achetés à plus de 80% en présentation en vrac. « Le remplacement du plastique par le carton est le premier étage de la fusée. Aujourd’hui, le vrac représente 50% de l’offre et cette part se développera, à l’exception des variétés ne pouvant pas être vendues ainsi » précise Bertrand Swiderski . Le constat est le même du côté de Lidl France, mais avec un bémol : « Le rayon fruit et légumes va évoluer avec une probable progression du vrac, qui aujourd’hui représente 30% de notre offre. Si du point de vue du bilan environnemental, le vrac est une solution valable, il pose néanmoins la question de la perte de produit, du gaspillage. Celui-ci pourrait progresser à court terme » souligne Jean-Baptiste Léger.

 

 

Stade de gros : des situations différentes

La situation est différente pour les grossistes, du moins ceux travaillant sur le carreau. Ceux-ci commercialise très peu de fruits emballés destinés aux consommateurs (cela représente moins de 3% de l’offre). En revanche, pour les grossistes à service complet, c’est différent.

S’adressant principalement au secteur de la restauration, Metro France a développé une politique clair en matière d’emballage : « Nous avons établi un état des lieux de tous les produits sous notre propre marque, ce qui a fourni une base de données permettant d’élaborer des indicateurs, explique Valérie Declerck Quintin, Directrice Qualité et RSE adjointe, Nous réfléchissons aussi à des alternatives au jetable et à des solutions limitant les emballages perdus. Notre objectif est de supprimer tout plastique pour les fruits et légumes dès que possible, avant 2026 ». Cette politique s’applique dans la relation avec les fournisseurs : « Nous avons uniformisé tous nos colis sur un format 80x120. Nous avons ainsi travaillé avec un fabricant d’emballage un colis à nos mesures et respectant nos ambitions RSE, en s’appuyant sur les volumes achetés par l’enseigne pour négocier au meilleur prix » explique Olivier Boivin, acheteur Fruits et Légumes.

 

 

Avancer à marche raisonnée

Tenant compte de la fréquence d’achat de ses entrepôts, Metro France mets en place des modules préfabriqués directement chez les producteurs, ce qui facilite ensuite la préparation en plateforme et simplifie la mise en rayon. Deux familles de colis existent : une version mécanique à destination de des fournisseurs nationaux, une version manuel pour les fournisseurs locaux qui livrent en direct. « Pour les producteurs locaux, nous assurons un minimum de commande acceptable et une solution de stockage auprès du fabricant. Nous avançons à marche raisonnée : le choix d’un emballage, puis les investissements et l’assurance des tonnages auprès de nos fournisseurs, que nous accompagnons, sans mettre de pression. C’est dans l’intérêt de tous » précise Olivier Boivin.

La logique économique n’est pas oubliée dans cette démarche :  « Le coût du module est amorti grâce à l’optimisation du travail dans nos entrepôts et par ailleurs, le travail de manutention pour la mise en rayon est moindre ». Ils subsiste malgré tout quelques interrogations : « La plus importante concerne la fraise en emballage 125 gr : il reste à savoir si notre clientèle boulangère et pâtissière suivra, reconnaît Olivier Boivin, et certaines questions techniques se posent : par exemple, sur l’offre fleurs comestibles, nous nous sommes aperçus qu’en hiver, avec un taux d’humidité haut, la barquette carton ne posait pas de problème, alors qu’en été, elle avait tendance à « boire » l’humidité ». 

 

 

Importation : de vrais inquiétudes

La loi Agec concerne aussi les fruits et légumes d’importation. Pour les produits en provenance de l’Union européenne, le basculement entre le plastique et le carton est déjà probant : il suffit pour s’en convaincre des offres belges ou hollandaises sur les petit fruits rouge ou sur l’offre espagnole en fruits à noyaux.  Mais, il n’en est pas de même pour les fruits et légumes importés de plus loin.

Rappelant combien celle-ci ne considère aucunement les évidences du marché et de la chaîne d’approvisionnement, Philippe Pons, président de la CSIF, pointe certaines impasses : « Prenez le pomelo Honey, très prisé pour le nouvel an chinois : celui-ci est emballé dans un thermofilm rétractable afin de limiter sa dessication et le nombre de traitements fongiques lui permettant de supporter le transport. Sans cet emballage, et avec un voyage entre 28 et 30 jours hors délais de livraison à la distribution, il n’est pas possible de l’importer en l’état. Le risque est de devoir rehausser la mire en termes de traitements, ce qui va à l’encontre de tout ce que l’on désire faire en matière environnemental ».

Du grand import en vrac ?

L’alternative serait d’importer en vrac et de réemballer en France avec un emballage « Agec compatible » mais, pour le président de la CSIF, cela se traduira par une forte augmentation du prix avec un effet immédiat sur les ventes : « On a noté que certains distributeurs demandaient déjà de ne plus voir de fruits stickés, et cela même si 80% de nos fruits sont étiquetés hors de France » note-t-il.

Par ailleurs, il faut aussi considérer les fournisseurs : « Un opérateur lointain, pour qui le marché français représente peut-être 2 ou 3% de ses ventes, ne va certainement pas développer un emballage spécifique pour lui, explique Philippe Pons, notre marché est loin d’avoir la masse critique pour le convaincre de le faire. Par exemple, pour le cas des mini légumes, faute de solution, des exportateurs se sont détournés du marché français ». Du coup, certains produits pourraient disparaitre des étals pour quelques mois. En revanche, que la banane soit hors du champs de la loi est un soulagement, tout comme les produits mûrs à point, disposants d’un délai, « seule sous-catégorie qui a été approchée lucidement par le législateur » note Philippe Pons.

Le casse-tête de l’étiquette

L’interdiction de tout sticker non compostable à domicile, pose de sacrés problèmes pour les flux entre pays. Pour Philippe Binard, délégué général de Freshfel Europe, « les opérateurs français seraient autorisés à apposer des autocollants sur les fruits et légumes en France, mais uniquement s'ils sont expédiés vers d'autres États membres ou à l'étranger. L'apposition d'étiquettes par des opérateurs situés hors de France serait restreinte si la destination finale était la France, ce qui n'est pas facile à anticiper pour les producteurs au moment de l'emballage ». Du coup, la loi interdit l’apposition des étiquettes adhésives en France, mais pas de commercialiser des produits étiquetés hors de nos frontières. La France sera le seul pays à ne plus pouvoir étiqueter ses produits pour valoriser les produits sur le marché intérieur.  

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