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Santé des sols : « Évaluer l’ensemble des sols français avec un même indicateur, sans considérer leur nature, n’est pas forcément adapté »

Antonio Bispo, ingénieur de recherche et directeur de l’unité Info et sols de l’Inrae, revient sur l’étude publiée par l’entreprise Genesis au printemps sur la santé des sols agricoles, viticoles et forestiers en France. Il estime manquer d’information sur la méthodologie utilisée pour juger le travail réalisé.

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Antonio Bispo, ingénieur de recherche et directeur de l'unité Info et sols de l’Inrae, est impliqué au niveau européen dans l'élaboration de la définition d'un sol en bonne santé.
© FairCarboN / V. Charpenet

La société Genesis a publié en mars 2025 un communiqué mettant en avant ses conclusions sur l’état de santé des sols en France. Ce baromètre révèle que « moins de la moitié (48 %) des sols français analysés sont en bonne santé et résilients face aux pressions climatiques et anthropiques (soit 17 millions d’hectares sur les 35 millions d’hectares de terres cultivées et forêts). » Que penser de ces résultats ? Nous sommes allés poser à la question à Antonio Bispo, ingénieur de recherche et directeur de l’unité Info et sols de l’Inrae (1). Il collabore au groupement d’intérêt scientifique sol (Gissol). Le baromètre de Genesis s’appuie notamment sur les données collectées par le Gissol depuis plus de 20 ans.

Quel regard portez-vous sur la communication de Genesis sur l’état des sols ?

Antonio Bispo : Le constat sur la santé des sols a été établi depuis longtemps par la communauté scientifique des sciences du sol. Le RMQS (Réseau de mesure de la qualité des sols), mis en place en 2001 par le Gissol, a publié en 2011 un rapport intitulé « L’état des sols de France » dressant le tout premier bilan national et identifiant déjà diverses dégradations des sols. Les données de ce réseau de surveillance, considéré comme un des meilleurs à l’échelle européenne même mondial, ont été utilisées par la société Genesis.

Concernant leurs résultats à proprement parler, c’est difficile de se prononcer car nous manquons d’informations sur la méthodologie utilisée. Qu’ont-ils mesuré exactement, avec quelle méthode ? Il est par exemple possible de mesurer le carbone ou le pH du sol de plein de manières différentes. Quels sont les indicateurs choisis ? Comment sont-ils agrégés pour obtenir une note globale ? Quelles valeurs seuils ont été établies ?

Il manque aussi des précisions sur le nombre et la nature des sites qui ont été mesurés. Est-ce que ce sont tous les mêmes ? Pour une région donnée, si les mesures prises ne concernent par exemple que de sols viticoles, cela peut fausser le résultat. À l’Inrae, nous travaillons sur ce sujet depuis longtemps et on voit que c’est compliqué d’avoir suffisamment de points de prélèvements pour obtenir des résultats significatifs.

Est-ce pertinent de proposer une carte globale pour présenter la santé des sols en France ?

Antonio Bispo : On a une trentaine de sols différents en France, donc les évaluer avec le même indicateur, sans considérer leur nature, n’est pas forcément adapté. On ne peut pas comparer un sol de forêt et sol agricole par exemple. Il faut vraiment tenir compte de la nature des sols pour estimer leur qualité car on ne peut pas avoir les mêmes seuils pour tous les types de sol. L’interprétation de la carte de santé des sols proposée nous semble trop rapide. Par exemple la stigmatisation des sols viticoles pour expliquer que toute la Bourgogne présente des sols en mauvaise santé nous semble abusive car les vignes ne représentent que 10 % du territoire Bourguignon.

Comment définit-on un sol en bonne santé ?

Antonio Bispo : La notion de sol en bonne santé fait actuellement l’objet de nombreuses discussions scientifiques à travers le monde. La FAO cherche à mettre en place un indicateur. Au niveau européen, un projet de directive sur la surveillance des sols est en cours d’élaboration. La difficulté est de mettre en œuvre un seul mode de calcul pour toute l’Europe, étant donné la grande diversité de types de sols.

Quels sont les indicateurs possibles pour évaluer l’état d’un sol ?

Antonio Bispo : Il existe un panel d’indicateurs pour juger de l’état d’un sol. On peut suivre des paramètres biologiques, physiques ou chimiques. En fonction de la complétude des indicateurs que vous choisissez, vous pouvez avoir une vision partielle de l’état d’un sol. En outre, dans la surveillance des sols, il y a la notion d’évolution dans le temps. La photographie apporte des informations, mais l’étude de l’évolution cinétique permet de voir si un sol a tendance à se dégrader ou pas.

Quelles sont les menaces qui pèsent sur les sols ?

Antonio Bispo : Les principales causes qui menacent la santé des sols sont d’abord l’artificialisation et l’érosion. Viennent ensuite la perte de biodiversité, la perte de carbone organique, la pollution, l’excès de nutriments, le tassement ou encore la salinisation.

Où en sont les travaux menés par les équipes de Gissol depuis plus de 20 ans pour mieux connaître les sols en France ?

Antonio Bispo : Le suivi des sols dans le cadre du Gissol s’effectue à travers le réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS). C’est un programme national de surveillance des sols à long terme, qui a débuté en l’an 2001. Une campagne complète d’analyses et de résultats a été menée durant 12 ans. Les résultats sont accessibles à tous sur le site internet dédié. Genesis s’appuie d’ailleurs en partie sur ces données.

Une deuxième campagne de prélèvements et d’analyses est en cours. Les premiers résultats devraient être publiés en 2026. La mise à jour complète est prévue pour 2030. Nos analyses prennent du temps car elles sont très qualitatives. Plus de 2 000 points de suivi sont répartis sur le territoire. Des fosses de 1 ou 2 mètres de profondeur y sont creusées pour décrire le sol et faire les prélèvements. Ces campagnes de mesures sont un immense travail qui mobilise de très nombreuses ressources humaines. On s’étonne donc de voir une entreprise comme Genesis publier de tels résultats au bout de cinq ans d’existence.

Pensez-vous que les agriculteurs français se penchent suffisamment sur la santé de leur sol ?

Antonio Bispo : Les agriculteurs gagneraient à plus observer leurs sols. Par rapport à d’autres pays, ils ne font peut-être pas assez d’analyses pour piloter la gestion de leurs sols. Cela pourrait permettre de mieux orienter les systèmes.

Il serait aussi intéressant de mettre en place un système participatif avec une remontée et une mise en commun des observations pour compléter nos travaux. On manque notamment d’informations sur le tassement des sols.

(1) Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

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