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Provence-Alpes-Côte-d’Azur
Le loup entraîne un surcoût de 4 600 à 12 100 euros par exploitation

La prédation par les loups entraîne des pertes de production et des frais de protection qui ne sont pas assez compensés par les indemnisations. Et cela sans compter le stress des éleveurs.

L’Institut de l’élevage, la Maison régionale de l’élevage et les chambres d’agriculture de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur se sont servis des neuf cas types d’exploitations ovines de la région pour calculer le coût de la prédation. En se basant sur ces exploitations modélisées, d’un fonctionnement très proche des élevages de la région, ils ont pu intégrer les coûts liés à la mise en place des moyens de protection ainsi que les pertes d’animaux et pertes de production. Et le résultat n’est pas brillant puisque, au final, malgré les indemnisations, c’est un surcoût de 4 600 à 12 100 euros qui est observé.

Apparu en Paca en 1992, le loup a commis 2 340 attaques en 2018 dans la région, faisant 11 900 victimes ovines. Comparé aux 1 360 demandeurs d’aides ovines, cela représente en moyenne 1,7 attaque et 8,8 victimes par éleveur. Des chiffres qui ne prennent pas en compte les attaques pouvant avoir lieu en Rhône-Alpes pour les troupeaux transhumant.

Des restes à charge pour les moyens de protections

Les moyens de protection aidés financièrement sont le gardiennage renforcé, les chiens de protection et le parc de jour et/ou de nuit. Le gardiennage renforcé impose l’embauche d’un berger pendant deux mois et demi à six mois et une hausse du temps de travail de l’éleveur. Environ trois heures supplémentaires sont ainsi nécessaires à l’éleveur chaque jour pour mettre en place le parc nocturne, regrouper et surveiller le troupeau et prendre soin des chiens de protection. Selon les cas types, il faut ajouter de deux à huit mois par an d’embauche d’un berger supplémentaire. Une fois les subventions déduites, il reste de 900 à 2 400 euros par an à la charge de l’éleveur pour l’embauche d’un berger et de 2 200 à 8 800 euros par de coût de travail supplémentaire de l’éleveur.

Des indemnisations insuffisantes pour couvrir les coûts cachés

Les chiens de protection, type patous, génèrent aussi des frais à l’achat et à l’entretien et demandent du temps pour se former à son éducation. Les éleveurs possèdent en moyenne entre deux et dix chiens. Si l’acquisition et l’entretien des chiens sont financés à hauteur de 80 %, il reste à charge de 700 à 1 200 euros par an. Il en est de même pour les investissements dans les filets et parcs électrifiés pris en charge à hauteur de 80 %. Il reste là aussi de 500 à 3 000 euros à la charge des éleveurs, soit, en prenant en compte l’amortissement, de 100 à 600 euros par an.

Deux hypothèses de baisse de fertilité

À ces frais non compensés, s’ajoutent les pertes d’animaux et la perte de production. Les attaques perturbent fortement et durablement le fonctionnement du troupeau. Pour le traduire dans l’étude, les techniciens de Paca ont estimé une baisse de fertilité de 5 % (hypothèse basse) ou 15 % (hypothèse haute). Cela fait quand même 14 à 80 d’agneaux qui ne naissent pas à cause du stress sur le troupeau.

Entre les animaux morts et les animaux non nés, la marge brute des éleveurs est amputée de 1 200 à 2 900 euros, soit 4 à 6 euros par brebis, dans le cas de l’hypothèse basse. Les indemnités (de 1 000 à 5 300 euros selon les cas) qui viennent compenser ces pertes les couvrent globalement bien. Mais lorsque la baisse de productivité est plus forte, de l’ordre de 15 %, il faut plutôt compter sur une baisse de 3 600 à 6 600 euros (10 à 16 euros par brebis) et la compensation est insuffisante dans huit cas sur neuf. Les éleveurs qui profitent du système ne sont donc pas nombreux. Et même si certains bénéficient pendant quelque temps d’un berger à moindres frais ou de filets subventionnés, la plupart y perdent beaucoup, beaucoup se découragent et certains décrochent.​

Sans le chiffrer, les techniciens régionaux n’oublient pas le stress engendré par ces attaques. Ces perturbations psychologiques affectent la qualité de vie des éleveurs et des bergers. Elles peuvent aussi altérer son jugement et sa force de travail et le conduire à moins bien mener son exploitation. « Les pertes engendrées par le stress sont inestimables, analyse Maxime Marois de l’Institut de l’élevage. Aucune méthode n’existe et n’est réalisable pour les évaluer ». « La prédation provoque du découragement qui peut entraîner des changements radicaux ou un délaissement des éleveurs pour la technique, complète Rémi Leconte de la Maison régionale de l’élevage en citant les investissements réduits dans le progrès génétique ou le matériel de bergerie. Sans compter que cela peut être une année sans attaque puis, l’année suivante, dix fois le nombre moyen d’attaques. Et cela sans que ce soit lié au mode de protection mis en place. »

En savoir plus

Analyse des conséquences de l’exposition au risque de prédation par le loup sur les élevages ovins de la région Sud détaille en huit pages les calculs ayant permis cette analyse. L’étude est téléchargeable sur idele.fr.

Les règles d’indemnisations

Attaque sur un troupeau de 0 à 100 brebis : forfait de 100 euros
Attaque sur un troupeau de 101 à 300 brebis : forfait de 260 euros
Attaque sur un troupeau de plus de 300 brebis et moins de cinq victimes : forfait de 260 euros pour les 300 premières brebis et 0,4 euro pour les autres brebis présentes au moment de l’attaque, jusqu’à 1 200 brebis
Attaque sur un troupeau de plus de 300 brebis et plus de cinq victimes : forfait de 260 euros pour les 300 premières brebis et 0,4 euro pour les autres brebis présentes au moment de l’attaque

L’avis de Cédric Breissand, éleveur d’ovins et de bovins dans les Alpes-de-Haute-Provence

« J’ai réduit ma troupe à cause du loup »

« Depuis les premières attaques du loup en octobre 2013, j’ai progressivement réduit ma troupe. Je suis passé de 400 à 130 brebis et je les ai remplacées par des vaches allaitantes. La première attaque s’est déroulée la nuit alors que le troupeau était dans un parc avec quatre fils bien électrifiés et des patous. Il y a eu dix brebis mortes et aussi des blessés. Quatre jours après, une deuxième attaque a emporté quatre brebis. Comme les attaques ont eu lieu à quinze jours de l’agnelage, cette année-là, il y a eu 60 avortements sur un troupeau de 400. Des brouettes d’avortons…

Ensuite, au moindre bruit, à la moindre branche qui bougeait, les brebis détalaient en courant. Moi aussi, j’ai souffert. Un mois après l’attaque, j’ai fait un infarctus. Ça a aussi complètement disjoncté le système de l’exploitation. J’ai pris un berger mais ce n’est pas rentable avec 400 brebis. Et puis, ils sont durs à fidéliser. Une année, on en a eu quatre à la suite. À chaque fois, il faut réexpliquer et leur installer des logements à proximité des parcs de nuit. Malgré leur présence, ils manquaient toujours 10 à 20 brebis chaque année. En été, cela me faisait mal de devoir les rentrer à 20 heures à coups de chien pour les mettre à l’abri alors qu’elles commencent juste à profiter de la pâture. Ce n’était plus mon idée de l’élevage et je ne voulais pas rester avec du stress. Entre le climat ou les divers aléas, il y a déjà assez de contraintes et d’incertitudes en élevage. Je n’ai gardé que 130 brebis qui restent désormais dans les prés voisins et la nuit en bâtiment.

Je ne suis pas sûr que les vaches entretiennent de la même façon les 330 hectares de la ferme. D’ailleurs, je broie régulièrement les ronces qui reviennent. Le loup, lui, est toujours là et il ne se cache plus. On le voit parfois à seulement une cinquantaine de mètres des habitations. Pour l’instant, je n’ai eu qu’une attaque sur un veau, mangé à la naissance. »

L’exemple du cas type d’un éleveur transhumant de préalpes

Parmi les neuf cas types présentés, prenons celui d’un éleveur transhumant avec un troupeau de 460 brebis Mérinos d’Arles en croisement viande intégral et production d’agneaux de bergerie. Il a une large autonomie alimentaire en associant prairies cultivées, culture de céréales, parcours locaux et estive alpine. L’embauche d’un salarié pendant quatre mois lui coûte 8 400 euros et une fois les 6 720 euros de subvention déduits, il lui reste 1 680 euros à sa charge. À cela s’ajoutent ses trois heures de gardiennage quotidien pendant quatre mois. Là aussi, les 2 700 euros de subvention ne couvrent pas les 7 100 euros de rémunération du temps passé. De même, les 4 900 euros de subventions pour ses sept chiens de protection ne couvrent pas les 6 125 euros du coût des canidés. Avec un parc amorti sur dix ans, des filets sur deux ans et un éléctrificateur sur cinq, l’investissement annuel de 2 800 euros n’est pas remboursé par les 2 300 euros de subventions.

Pour évaluer les pertes d’animaux et pertes de productions, les techniciens régionaux ont pris l’hypothèse d’une seule attaque entraînant trois brebis mortes, trois brebis euthanasiées et trois brebis disparues. Mais cette attaque va surtout entraîner du stress sur le troupeau qui va se traduire par une baisse de fertilité de 5 ou 15 %, soit 24 à 72 agneaux en moins. En tout, cela provoque une baisse de marge brute de 2 070 ou 6 090 euros. Or, l’éleveur ne touchera que 1 200 euros pour les indemnisations de pertes, 240 euros de forfait pour les animaux disparus et 320 euros pour les pertes indirectes, soit 1 760 euros au total. Selon les hypothèses, c’est donc un manque à gagner de 310 ou 4 330 euros pour l’éleveur.

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