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Huit éleveurs ovins provençaux en Patagonie australe : à la découverte des estancias du bout du monde

Huit éleveurs ovins de Provence, avides de découvrir d’autres systèmes extensifs à travers le monde, ont demandé à « Past’Or Initiatives », entreprise de services à l’élevage ovin, d’organiser un séjour thématique sur l’élevage ovin en Patagonie.

Trois provinces de Patagonie australe ont été visitées par huit éleveurs venus de Provence fin février dernier : Santa Cruz et Terre de feu côté Argentin, Magallanes pour la partie chilienne. Le voyage a été organisé par l’entreprise de services à l’élevage ovin Past’or Initiatives, basée à Sisteron (Hautes-Alpes).

Sous ces latitudes (au sud de l’hémisphère sud) le climat est proche du nord de la Norvège en fin d’été : entre 4 et 16 degrés et des vents à arracher le béret d’un Gaucho !

Deux races ovines se partagent le territoire : Les Mérinos pour les éleveurs qui s’orientent plutôt sur une production lainière, les Corriédales pour ceux qui visent une production de viande malgré une laine plus grossière. Le développement d’une Mérinos « Mixte » (MPM Merino) est en cours. Nos visiteurs français ont été bluffés par l’investissement génétique : l’insémination artificielle en sperme frais des meilleurs béliers de l’exploitation ou de paillettes achetées en Australie, l’emploi courant et à grande échelle de l’insémination artificielle par laparoscopie, la haute qualité des béliers vus en exploitation et lors d’une foire aux reproducteurs. La recherche d’amélioration génétique et la maîtrise de la reproduction sur les noyaux de sélection sont le premier levier de progrès. Dans ces systèmes hyperextensifs, sans cultures sans autre bâtiment que la salle de tonte et la petite bergerie pour l’agnelage du noyau de sélection, il n’y a quasiment que l’animal comme levier d’amélioration.

Une économie argentine instable

En Argentine et au Chili, les produits ovins sont destinés à l’exportation vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Les agneaux abattus sont congelés en carcasse entière ou découpés. Dans ces régions, l’activité d’abattage est calée sur les saisons de sortie d’agneaux d’herbe. Les abattoirs ne travaillent donc que sept à huit mois dans l’année. L’éloignement des centres industriels oblige les abattoirs à aller jusqu’au bout des processus ; et donc jusqu’à produire les farines animales avec les issues d’abattage. Dans un contexte de crise économique grave et d’inflation terrible (près de 95 % d’inflation en 2022 en Argentine), le prix des laines et viande d’agneau payés aux éleveurs argentins n’arrivent pas à la moitié de leur valeur du cours mondial. Ceci, du seul fait d’un taux de change particulièrement désavantageux. Ce « handicap » économique s’ajoute aux variations des cours et de la crise économique mondiale. Certains éleveurs lainiers, commercialisant des agneaux de 12 kg de carcasse, nous ont précisé que ces derniers sont vendus entre 20 et 30 euros par agneau. Des laines grossières (30 microns) restent invendues. Pas sûr que les quantités et les faibles coûts de production compensent ces tarifs. D’ailleurs, nombre d’estancias ne sont plus exploitées…

Concurrence à l’herbe avec la faune sauvage

Direction la région de Santa Cruz et la ville de Rio Gallegos. Nous visitons les estancias “Chali Aike” et “3 de Enero”. Dix centimètres de terre pauvre recouvrent les graviers que des glaciers ont laissés il y a des millions d’années. Autant dire que ces plaines infinies ne sont pas cultivables et que les chargements sont très faibles. On compte entre un et cinq hectares par brebis ! Le changement climatique provoque des sécheresses très inquiétantes et les trois millions de guanacos (lama sauvage endémique protégé) qui errent sans limites (ils sautent avec grâce et sans élan les clôtures hautes de 1,20 m), ajoutent du surpâturage au problème de pousse de l’herbe. Dans ces systèmes 100 % plein air et sans possibilité de complémentation (le foin est produit à 2 500 km plus au nord…), la rareté de l’herbe impacte directement les résultats techniques. Ainsi, la productivité au sevrage au moment de la « señalada » (regroupement des mères avec leurs agneaux pour comptage, caudectomie, vaccination, marquage auriculaire, drogage) voit son niveau baisser de plus de 20 % ! Cependant, grâce à la faible densité d’animaux et au climat venteux, il y a très peu de problèmes sanitaires dans ces élevages.

Plus de 200 000 ha par estancia

À cette rareté fourragère s’ajoutent des prédateurs : pumas, renards roux et, en zone périurbaine, les chiens errants font également des ravages.

Nous prenons ensuite la route pour la Terre de Feu. Cette île de l’extrême sud de l’Amérique du Sud est coincée entre l’Antarctique, l’océan Atlantique, l’archipel du détroit de Magellan et les Andes. La météo y est fraîche toute l’année, avec 9,8 degrés maximum toutes saisons confondues et très humide car l’influence de l’océan est notable. Pas de pumas sur cette île, moins de renards et de Guanacos aussi, donc une prédation et une concurrence sur l’herbe moins aiguë. Les estancias de Terre de Feu que nous avons visité (Sara et Maria Behety) sont des exploitations de plus grande taille qui sont pourtant issues de divisions foncières d’estancias gigantesques de plus de 200 000 ha.

Ces grandes estancias sont des témoins d’un passé qui a changé la face du monde : commerce mondial par le détroit de Magellan, approvisionnement en laine de l’Europe, destination de diverses vagues de migrants européens… Pourtant, ces estancias ne se complaisent pas dans ce rôle historique et le travail zootechnique y est très sérieux en termes de reproduction et de génétique.

Trouver l’herbe sous la neige

Pour finir ce périple aux confins du monde, nous nous rendons au Chili, l’État le plus développé de l’Amérique latine et avec l’altitude moyenne la plus élevée au monde. Dans la région de Magallanes, nous allons à la rencontre des propriétaires des estancias « Agromarin », « Tamara » et « Anahi del Valle ». Ici, le relief préandin et la présence de quelques forêts produisent des parcelles plus hétérogènes selon les versants et reliefs ainsi qu’un climat un peu plus marqué, notamment l’hiver. Les brebis de cette région doivent donc s’adapter à des périodes d’enneigement assez longues. Et comme il est hors de question de produire et donc de distribuer du fourrage, les brebis Mérinos et Corriédale savent bien gratter la neige pour chercher l’herbe. On leur préserve donc des parcelles pour ces périodes. Dans ce secteur voisin du parc national des Torres del Paine, les pumas sont partout et l’utilisation de chiens de protection se développe avec une efficacité nette.

La culture gaucho fortement ancrée

Il est difficile, de restituer à la fois les sensations d’immensité, d’espace sauvage, de rigueur climatique pour ces brebis et ces hommes qui y vivent et de constater en même temps que leur passion, leurs efforts techniques pour l’élevage, leurs chevaux et leur culture gaucho, ne sont pas récompensés par la situation économique, notamment en Argentine.

Nos éleveurs de la région sud auront été marqués par la découverte de systèmes d’exploitation bruts, véritablement extensifs avec, pour eux aussi, de gros problèmes de sécheresse, avec des animaux extrêmement rustiques mais avec des efforts génétiques forts, une prédation et une concurrence sévères et permanentes et par des paysages infinis. L'omniprésence des gauchos et tout ce qui les accompagnent (béret, poignard à l’arrière de la ceinture, travail des chevaux et « bombilla » de maté à la bouche…) renforcée par l’accueil chaleureux et l’amitié reçus de la part ces éleveurs du bout du monde a permis de partager avec plaisir notre passion. Ce voyage aura aussi permis de se questionner sur nos propres freins et atouts techniques, sur notre génétique, sur la situation économique qui nous entoure et sur nos réflexes d’agriculteurs du vieux continent.

Le cheptel ovin argentin ou la folie des grandeurs

Le cheptel ovin du deuxième plus grand pays d’Amérique du Sud est estimé entre 14 et 15 millions de têtes, détenues par environ 70 000 à 80 000 éleveurs (données Nuffield 2015). Les deux tiers sont concentrés en Patagonie, qui représente une surface de 787 000 km² (soit un tiers de l’Argentine). Les 33 % restants se répartissent entre la province de Buenos Aires et les provinces des Mésopotamie. Là-bas, l’élevage ovin est souvent couplé à du bovin et de la culture céréalière. Dans la zone cordillère Nord, la polyculture-élevage prend le dessus et la plupart des éleveurs possèdent moins de 100 brebis. Au nord de la Patagonie, on estime à trois millions le nombre de brebis (données 2014), pour un peu moins de 4 000 éleveurs. La taille des troupeaux va être inférieure à 1 500 têtes pour les plus petits détenteurs, tandis que les plus gros propriétaires dépassent les 70 000 brebis.

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