Noisette et acétamipride : le « choc » de la filière après la censure partielle de la loi Duplomb
Plus que jamais politisé et médiatisé, le débat estival sur l’acétamipride a laissé la filière noisette dans une profonde déception, doublée d’un sentiment d’injustice puisque cet insecticide néonicotinoïde reste autorisé dans l’UE jusqu’en 2033, et dans les produits importés dans l’Hexagone. Leur espoir : un nouveau texte agricole, plus restrictif, qui réautoriserait l’acétamipride sur la noisette notamment, en tenant compte des critiques formulées par le Conseil constitutionnel.

« Une colère froide » : c’est ce que ressent la filière française de la noisette, rapporte Thierry Descazeaux, président de la coopérative Unicoque (90% de la production nationale, 357 associés-coopérateurs). En cause : la censure par le Conseil constitutionnel, le 7 août, des dispositions de la loi Duplomb qui visaient à réautoriser l’acétamipride, interdit en France depuis 2020. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron a promulgué la loi sans la réintroduction de cet insecticide néonicotinoïde. En effet, les producteurs, confrontés notamment au fléau de la punaise diabolique et aux dégâts du balanin, estiment que la substance controversée, autorisée dans l’UE jusqu’en 2033, est nécessaire en attendant de développer les solutions alternatives.
S’il « respecte » la décision des Sages et « l’Etat de droit », Thierry Descazeaux, lui-même producteur de noisettes (85 hectares en Gaec) installé à Mas-Grenier (Tarn-et-Garonne), fait état d’un « choc », et regrette une décision « plus politique que de bon sens ». « La France ne vit pas dans l’harmonisation européenne, analyse-t-il, on est dans la déconnexion la plus complète ». Outre le décalage France/UE, un fâcheux timing fait grincer des dents : un règlement européen (consultable ici) publié le 31 juillet vient de relever les limites maximales applicables aux résidus (LMR) de l’acétamipride sur plusieurs aliments : prunes, graines de lin, de pavot, de moutarde, de cameline, les miels et autres produits de l'apiculture.
La noisette victime d’un « emballement médiatique »
Il dénonce aussi un « emballement médiatique », dans foulée de la pétition contre le texte lancée le 10 juillet par l’étudiante Eléonore Pattery, qui a recueilli plus de deux millions de signature sur le site de l’Assemblée nationale.
C’est peu dire que la filière ne s’est pas sentie soutenue. Du point de vue de la coopérative, le débat aurait été pollué par un « déferlement de fakenews des lobbys écologistes internationaux », critiquait un communiqué en mai. La guerre des chiffres a eu lieu et elle a visiblement attisé la colère. Générations futures qui explique à Franceinfo que les rendements français n’ont rien à envier à la Turquie ou à l’Italie ? Des chiffres détournés, aux yeux Thierry Descazeaux. Il cite la catastrophique année 2024, avec seulement 6 500 tonnes de noisettes récoltées sur un potentiel de 12 000 à 13 000 tonnes, « dont un tiers piqué par des punaises et non-commercialisable ». La plantation de « 3 000 hectares entre 2015 à 2020 » et le « doublement des surfaces » masque selon lui la dégringolade des tonnages récoltés, et il soutient que lorsque la France s’en sort mieux, c’est parce que les concurrents sont pénalisés par d’autres facteurs, par exemple en Italie le « changement climatique » ou la présence de « variétés rustiques moins productives mais dont les noisettes se vendent plus cher ».
Des experts pointent l’influence de la monoculture et de la croissance rapide du verger dans le développement des ravageurs. Amertume du côté de Thierry Descazeaux : « Parlons-en de la grande monoculture de la noisette en France ! Le verger moyen d’un agriculteur à la coopérative Unicoque, c’est environ 20 hectares », pour un total de « 7 000 hectares ». Il rappelle que la France, quatrième consommateur mondial de noisettes, importe « 90 % de sa consommation ».
Vers un nouveau texte de loi à la rentrée ?
La noisette se sent incomprise et victime d’une injustice, mais elle ne s’avoue pas complètement vaincue. En effet, pour sortir de l’impasse et réautoriser l’acétamipride, certains espèrent qu’un nouveau texte agricole sera proposé après les vacances parlementaires, qui se terminent fin septembre. « Si on lit entre les lignes, le Conseil constitutionnel a laissé une petite porte entrouverte », estime Thierry Descazeaux. C’est aussi l’avis du sénateur Laurent Duplomb (LR, Haute-Loire) à l’origine de la loi, interrogé sur RMC où il n’exclut pas un nouveau texte.
En effet, comme l’indique la décision des Sages (consultable ici), « les dispositions contestées permettent d’accorder une dérogation à l’interdiction d’utilisation de ces produits pour toutes les filières agricoles, sans les limiter à celles pour lesquelles le législateur aurait identifié une menace particulière dont la gravité compromettrait la production agricole », et de plus, ces dispositions « n’imposent pas que la dérogation soit accordée, à titre transitoire, pour une période déterminée » ; « en outre, une telle dérogation peut être décidée pour tous types d’usage et de traitement, y compris ceux qui, recourant à la pulvérisation, présentent des risques élevés de dispersion des substances ».
C’est pourquoi la filière noisette devrait plaider pour un nouveau texte plus strict, visant à réautoriser l’acétamipride sur son verger « pour cinq ans », indique Thierry Descazeaux.
Les agriculteurs cherchent à interpeller les consommateurs
Face à la fracture entre citoyens et producteurs, certains tentent de sensibiliser à la distorsion de concurrence entre les producteurs français de fruits et légumes et leurs homologues européens. C’est ce qu’ont fait une trentaine d’agriculteurs de la FDSEA et des Jeunes agriculteurs du Bas-Rhin, le 20 août, lors d’une action coup de poing dans un hypermarché près de Strasbourg, rapportent nos collègues d’Agra Presse. Ils ont notamment retiré des rayons et mis dans des chariots des produits potentiellement traités à l’acétamipride, incluant des produits à base de noisette telles que du Nutella et autres pâtes à tartiner.
De son côté, Christian Pezzini, ex-directeur général d’Unicoque, où il n’est plus en odeur de sainteté, milite pour la création d’un label « Noisette sans acétamipride », comme le rapporte le journal Sud Ouest. Il a aussi déposé une pétition, le 22 juillet sur le site de l’Assemblée nationale, visant à « interdire l'importation de produits alimentaires étrangers utilisant l'acétamipride ». Elle affiche actuellement 930 signatures.
Interdire les importations de produits traités à l’acétamipride ?
Pour interdire les importations européennes de produits traités à l’acétamipride, certains demandent d’activer la clause de sauvegarde de l’article 36 du Traité de Rome, comme l’ANPP (Association nationale pommes poires), dans un communiqué publié dès la censure du Conseil constitutionnel, ou la Confédération paysanne sur son site. Une activation qui semble cependant très compliquée dans le cas de l’acétamipride, comme l’explique par exemple Benoît Grimonprez, professeur de droit rural à l'université de Poitiers, sur le site L’Info Durable.
Un appel au financement public et citoyen
Autre motif de déception pour la filière : le manque de soutien public pour trouver des alternatives aux produits phytosanitaires. « Au lieu de taper sur l’agriculteur français, le politique devrait mettre tous les moyens sur la recherche », critique Thierry Descazeaux. Pour avancer correctement, il faudrait selon lui 20 millions d’euros, plus précisément 2 millions d’euros par an pendant dix ans.
En complément, une cagnotte Leetchi intitulée « Aider la recherche contre la punaise en noisette » a été lancée le 8 août par l’Association nationale des producteurs de noisettes (ANPN), notamment en guise d’appel aux citoyens qui ont signé la pétition contre l’acétamipride. L’ANPN développe « en particulier les parasitoïdes oophages du genre trissolcus », détaille la cagnotte.
Au-delà de la recherche, la filière demande un fonds d’urgence de 45 millions d’euros. « Ce n’est pas un chiffre en l’air, assure Thierry Descazeaux, c’est le montant des pertes économiques depuis cinq ans, depuis que nous n’avons plus l’acétamipride ».