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Les incendies de moisson placés sous haute surveillance

L’intensité des incendies lors de l’été 2019 pousse pompiers et agriculteurs à collaborer pour prendre le problème à bras-le-corps. La prévention reste plus que jamais de rigueur, notamment à travers l’entretien et le nettoyage du matériel.

Faciliter la coordination des manœuvres entre pompiers et agriculteur sera l'un des défis à relever pour limiter l'ampleur des incendies. © Y.-A. ...
Faciliter la coordination des manœuvres entre pompiers et agriculteur sera l'un des défis à relever pour limiter l'ampleur des incendies.
© Y.-A. Dheilly/Sapeurs-pompiers de l'Oise

« Il y aura un avant et un après 2019. Nous avons vécu des choses catastrophiques. » Pour Régis Desrumaux, président de la FDSEA de l’Oise, le souvenir des feux qui ont ravagé la plaine l’été dernier est encore vif. Avec 2 000 hectares partis en fumée en quelques jours à la fin du mois de juillet, son département a été l’un des plus touchés par ce fléau. Longue période sèche, pic de température caniculaire et vent se sont combinés pour transformer les champs en barbecue à la moindre étincelle.

Le lieutenant-colonel David Labeau, du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de l’Oise, a lui aussi les chiffres en mémoire. Au plus fort de la crise, son service a dû faire face à 28 feux simultanés, avec 349 pompiers mobilisés sur les seuls feux de cultures. « Cela correspond habituellement à la totalité de notre potentiel de garde. Nous étions à la limite de la rupture de nos capacités humaines et matérielles. » La déflagration a selon lui largement dépassé les frontières départementales : « il y a eu une prise de conscience au niveau national de l’importance des feux de cultures en France. C’est un véritable changement de paradigme. »

Créer un partenariat entre pompiers et monde agricole

Du côté des assurances aussi, 2019 a marqué les esprits. « Les pics de température que l’on a connus l’an dernier ont conduit de façon très nette à une augmentation forte de la sinistralité incendie, qu’il s’agisse des parcelles ou du matériel agricole, rapporte Delphine Létendart, directrice Marché agricole de Groupama. Dans notre cas, c’est entre 500 et 700 sinistres qui ont été déclarés à l’échelle nationale, ce qui est très significatif, pour un coût d’indemnisation des cultures qui a atteint entre 1,5 et 2,5 millions d’euros. Côté matériel agricole, la charge sinistre incendie a augmenté de 30 %, principalement portée par des sinistres importants de plus de 50 000 euros et des destructions totales de matériel. »

Tous les modèles climatiques l’affirment : les canicules seront de plus en plus fréquentes et intenses à l’avenir. Pour le lieutenant-colonel Labeau, il est donc important de tirer les leçons de 2019. Avant tout, le soldat du feu souligne l’importance pour le monde agricole de prendre conscience des enjeux que représentent ces incendies. Dans l’Oise, qui fait figure de territoire pilote, la préfecture a monté une cellule de veille réunissant les représentants des collectivités, le Sdis, les syndicats agricoles, le milieu coopératif et la chambre d’agriculture. « L’objectif est de créer un véritable partenariat avec le monde agricole, afin que chacun voie ce qu’il peut faire », explique David Labeau.

Pouvoir réagir vite pour contrôler le feu

Première mission pour les agriculteurs : s’organiser par secteur autour de référents locaux et identifier le matériel pouvant être mis à disposition pour lutter contre le feu, tels que des tonnes à lisier et des déchaumeurs attelés. Le but : avoir une politique dite « d’attaque des feux naissants » basée sur une capacité de réaction rapide et anticipée.

« Si l’on intervient très tôt, l’agriculteur peut s’approcher et utiliser sa tonne à lisier comme il le fait habituellement pour un épandage, en diffusant un jet de 15 mètres d’eau autour du feu, explique le lieutenant-colonel David Labeau. Passé un délai de cinq ou dix minutes, le feu monte en puissance et impose d’agir à distance. Les agriculteurs peuvent alors créer des bandes coupe-feu avec un déchaumeur à condition de s’éloigner suffisamment du feu. L’utilisation de la moissonneuse-batteuse n’est pas efficace en raison des pailles et des chaumes qui restent au sol. » Et quel que soit le cas de figure, il est impératif avant tout de prévenir les pompiers.

Des précautions familières pour Guillaume Blanc, agriculteur et entrepreneur à Castelnaudary, dans l’Aude : « Nous sommes équipés sur l’exploitation d’une tonne à eau qui nous sert à ravitailler les chantiers de pulvérisation. Durant l’été, on la garde chargée et attelée à un tracteur afin de tenter de limiter la casse en cas de départ d’incendie, en plus d’un tracteur attelé à un déchaumeur. Parfois, on sent une odeur de brûlé dans la machine, sans qu’il y ait encore de départ de feu à l’extérieur. L’extincteur ne suffit pas toujours, et avoir un point d’eau à côté peut permettre de calmer l’incendie. »

Des actions coordonnées sous le commandement des pompiers

Pour agir efficacement, il est important de pouvoir coordonner l’action des pompiers avec celle des agriculteurs. Cela passe par une sensibilisation de ces derniers au protocole opérationnel des sapeurs-pompiers. Dans l’Oise, des réunions viseront à favoriser cette acculturation. « Plutôt que de prendre des initiatives parfois intempestives, l’agriculteur peut se mettre en relation avec le commandement des opérations de secours, qui est chez nous le chef des opérations, précise David Labeau. Cela permet de définir ensemble les actions que réaliseront les sapeurs-pompiers et ce que devront faire les agriculteurs avec un outil de déchaumage ou une tonne à eau. »

Plus prosaïquement, les agriculteurs recevront une carte du secteur découpée par un quadrillage façon « bataille navale », indispensable pour indiquer sans risque de confusion le lieu de départ d’un incendie. L’an passé, des signalements imprécis avaient abouti à l’envoi de plusieurs équipes pour un même sinistre, avec en outre la perte de précieuses minutes pour trouver le lieu de l’accident. À cela s’ajoutera un référencement de tous les points d’eau disponibles par secteur, y compris ceux utilisés pour l’irrigation.

Une carte des risques pour anticiper les feux

Pour mieux anticiper les périodes à haut risque, le Sdis de l’Oise et Météo France ont aussi collaboré au développement d’indices météo « feux de cultures ». Cet indicateur prend en compte le taux d’humidité des sols et des végétaux, les températures, le vent et le degré d’inflammabilité des végétaux. À l’instar de ce qui se fait déjà dans le Sud de la France, une carte sera définie chaque jour avec ces indices, indiquant pour chaque secteur une intensité de risque. Sur la base de ces éléments, le préfet pourrait être amené à prendre un arrêté restreignant les travaux aux champs.

Pour le président de la FDSEA de l’Oise, Régis Desrumaux, cette collaboration avec le Sdis sur la base du partenariat est encourageante. « Nous ne voulons pas revivre ce que l’on a connu en 2019, explique l’élu. Si tous les voyants sont au rouge, on peut envisager l’interruption de la moisson pendant la journée, et prendre les dispositions nécessaires pour poursuivre la nuit, ce qui implique des dérogations pour les salariés, l’ouverture des silos… Interdire de passer le broyeur derrière la moissonneuse quelques jours si nécessaire, pourquoi pas. La priorité pour nous est de mener à bien la moisson. »

Une indispensable rigueur pour la prévention des incendies

Les mesures élaborées dans l’Oise pourraient être déclinées dans plusieurs départements. Les incendies de parcelles sont plus que jamais pris très au sérieux par la Sécurité civile : l’installation d’un aérodrome équipé de moyens d’alimentation en eau permettant de ravitailler des avions bombardiers d’eau est ainsi à l’étude dans la zone de défense Nord (Picardie et Nord-Pas-de-Calais).

En attendant, la prévention doit rester le fer de lance de la lutte contre les incendies. « Il n’y a pas de recette miracle, insiste Stéphane Chapuis, de la FNCuma. Il faut absolument réaliser la révision du matériel en morte-saison, notamment identifier les pertes d’étanchéité des roulements. Une fois sur le chantier, il est indispensable de souffler régulièrement la machine pour ôter toutes les accumulations de paille et de contrôler les graissages. Et il faut vérifier chaque jour qu’il n’y a pas de frottement entre une poulie et le carter. »

L’été 2019 en chiffres

20 % : déficit pluviométrique sur l’été en France par rapport à la moyenne 1981-2010

42 °C : température atteinte au nord de la Seine entre le 23 et le 26 juillet

6 500 ha : surface de grandes cultures brûlée en France sur la seule journée du 25 juillet

12 000 ha : estimation nationale des dégâts du feu sur le mois de juillet

5 départements très touchés : l’Oise, l’Eure, l’Eure-et-Loir, l’Aube et la Marne

Avis d’agriculteur - Pierre-Emmanuel Lavaux, agriculteur à Barbey, Seine-et-Marne

« Il faut d’abord penser à se mettre à l’abri »

« En juin 2017, j’étais en train de battre de l’escourgeon quand le feu s’est déclaré derrière la moissonneuse. Je m’en suis rendu compte au moment de faire demi-tour et il y avait déjà une dizaine de mètres carrés en feu avec des flammes de 2 mètres de haut. J’ai essayé de couper loin devant avec la moissonneuse pour ralentir le feu, mais je me suis très vite fait rattraper par les flammes. Avec le vent, c’est redoutable, le feu fait des sauts au-dessus des cultures. Il a fallu évacuer le champ très vite et laisser faire les pompiers. Quand ça arrive, c’est difficile à vivre, on est un peu dans un état second. On a le réflexe d’essayer de sauver notre récolte, alors qu’il faut d’abord penser à se mettre à l’abri, éventuellement sauver le matériel. Le champ, ce n’est pas grave. Personnellement, j’ai pris des risques en approchant trop le feu, et, avec le recul, ce n’est pas ce qu’il fallait faire. »

Pierre-Emmanuel Lavaux est producteur de blé, orge d’hiver, orge de printemps, betteraves et lin.

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