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Syndicalisme agricole : les sujets laitiers pas si clivants

Ces derniers mois ont été synonymes de changement à la tête des centrales syndicales agricoles. Une occasion de faire le point sur leurs combats laitiers de la FNSEA, la Coordination rurale  et la Confédération paysanne.

Manifestation de producteurs laitiers de la FDSEA devant le site Lactalis de Sainte-Cécile dans la Manche pour dénoncer un prix du lait trop bas. Usine Le Petit. ...
À l'été 2016, des manifestations éclatent pour protester contre un prix du lait trop bas. Les quotas laitiers ont été définitivement abolis un an plus tôt.
© T. Guillemot

Le paysage laitier s’est quelque peu assagi depuis les crises de 2009 et 2016 et son lot de manifestations. Pour autant, le syndicalisme agricole y est toujours très présent. L’écart est grand entre la vision globale de l’agriculture et de la société de la Confédération paysanne et de la FNSEA mais quand il s’agit de parler de sujets laitiers, la défense de l’élevage rapproche leurs positions. L’environnement mis à part. « Avec la Coordination rurale, nous sommes assez proches sur de nombreux sujets », estime Arnaud Rousseau, nouveau président de la FNSEA, céréalier en Seine-et-Marne et président du groupe Avril (Lesieur, Sanders…).

Repères

L’élection des membres des chambres d’agriculture se déroule tous les six ans. En 2019, pour le collège des chefs d’exploitation et assimilés, la liste FNSEA JA est arrivée en tête avec 52,02 % des voix, suivie par la Coordination rurale (21,05 %) et la Confédération paysanne (19,28 %). Le Modef et diverses listes d’union selon les sensibilités régionales, complètent la liste.

Une régulation des volumes au niveau européen

Les trois principaux syndicats que sont la FNSEA, la Coordination rurale (CR) et la Confédération paysanne (Conf'), se positionnent en faveur d’un système de régulation des volumes. « Nous ne sommes pas pour un libéralisme débridé, plante Arnaud Rousseau. C’est l’économie de marché mais avec des outils de régulation, des outils de gestion de crise pour accompagner la durabilité du métier. »

 

 
Née de la crise du lait en 2009, l’Association des producteurs de lait indépendant (Apli) continue de subsister, principalement au travers de la marque Faire France et ...
Née de la crise du lait en 2009, l’Association des producteurs de lait indépendant (Apli) continue de subsister, principalement au travers de la marque Faire France et quelques actions coup de poing. © Apli

« Nous restons sur l’idée qu’il faut avoir en tête les précédentes crises de surproduction et inscrire le programme de responsabilisation face au marché dans la boîte à outils européenne », avance Véronique Le Floc’h, nouvelle présidente de la Coordination rurale et éleveuse laitière dans le Finistère.

Ce mécanisme de gestion de crise appliqué au niveau européen, imaginé par l’European Milk Board (EMB), est promu par la CR et la Conf'. En suivant « un indice de marché retraçant entre autres l’évolution des cours des produits, des coûts de production (marge, etc.) », l’idée est de pouvoir mettre en place, selon le niveau de gravité de la crise, une réduction obligatoire pour tous des livraisons de lait en Europe ou, avant cela, des appels d’offres pour réduction volontaire de la production de lait.

Mais pas d’alliés pour l’inscrire dans l’agenda européen

« En 2016, nous l’avons fait lorsque j’étais président du groupe lait du Copa [NDLR syndicat agricole européen dont est adhérente la FNSEA] », se remémore Thierry Roquefeuil, président de la FNPL (FNSEA) et éleveur dans le Lot.

Mais face à des États membres et des syndicats agricoles qui ne sont pas dans le même état d’esprit, il est plus pragmatique. « Au niveau européen, personne n’est d’accord pour le faire. C’est une illusion. Alors en France, nous nous sommes basés sur les contrats qui donnent un prix et un volume. Ce sont aussi des outils de régulation. »

En 2020, le Cniel, avec la FNPL à la barre, a également mis en place un système de régulation des volumes lors de l’épidémie de Covid. « Nous nous sommes basés sur des textes européens existants », explique le président de la FNPL. Mais la solution est à double tranchant : « Nous l’avons fait avec notre argent du Cniel. » Autre condition nécessaire : que les industriels l’acceptent comme cela doit être le cas avec la règle de l’unanimité des collèges qui règne au sein de l’interprofession laitière. En 2020, les industriels l'acceptent dans un contexte d’incertitudes sur la demande tant intérieure que mondiale, jamais connue auparavant avec la crise du Covid-19.

Alors les syndicats s’accordent sur le fait que les mécanismes de régulation des volumes doivent pouvoir être mis en place sans l’accord des industriels. « Quel intérêt ont les industriels de réduire la production et faire augmenter le prix ? Ils veulent des volumes pas chers », résume Thierry Roquefeuil.

Se protéger des importations

Quand il s’agit d’importations agricoles et alimentaires, les planètes du protectionnisme semblent également alignées. La punchline de l’ancienne présidente de la FNSEA, Christiane Lambert « N’importons pas l’agriculture dont nous ne voulons pas », résonne. Mais là encore, Thierry Roquefeuil met en garde contre le manque d’alliance au niveau européen pour y parvenir.

 

 
Manifestation des agriculteurs du syndicat FNSEA de la région Champagne Ardenne devant la préfecture de Châlons-en-Champagne, contre les tâches administratives et les ...
En 2014, des manifestations ont lieu devant la préfecture de Châlons-en-Champagne pour dénoncer les tâches administratives et critiquer la bureaucratie. © J.-C. Gutner

À l’export, les positions divergent quelque peu. La CR et la Conf' dénoncent le mirage chinois et veulent produire d’abord pour le marché intérieur, voyant l’export comme un débouché de surplus.

« La Ferme France ne peut pas s’enorgueillir d’exporter si cela ne rémunère pas les agriculteurs, dénonce Laurence Marandola, nouvelle porte-parole de la Confédération paysanne, éleveuse de lamas et productrice de pommes et plantes aromatiques en Ariège. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas exporter mais que les accords de libre-échange n’ont jamais montré qu’ils permettaient de sécuriser le revenu. »

« Nous ne voulons pas produire pour un marché à l’export qui est bradé », explique de son côté Sophie Lenearts, éleveuse dans l’Oise et présidente de la section lait de la Coordination rurale qui prône « l’exception agriculturelle, c’est-à-dire le retrait des matières agricoles de tous les accords géopolitiques ». À l’inverse, « exporter du fromage, cela a du sens, c’est de la valeur ajoutée », estime Arnaud Rousseau.

Des coopératives laitières hors sol

Côté coop, les critiques sont unanimes, non pas sur le modèle coopératif mais les choix d’entreprises, notamment pour les plus grandes d’entre elles. « Elles devraient jouer la carte du local, de la proximité au lieu de mettre en place des filiales privées qui génèrent du profit pour la holding et non pour les coopérateurs », dénonce Véronique Le Floc’h. Elle demande depuis longtemps une loi d’encadrement.

« Les coopératives ne servent plus les intérêts des coopérateurs de base. Il y a des problèmes de gouvernance, abonde Laurence Marandola. Elles baignent dans la libre concurrence mondiale au lieu de conserver des débouchés de proximité. »

« Elles ont fait des choix qui n’ont pas toujours été judicieux plutôt que de capter de la valeur sur le marché intérieur », confirme Thierry Roquefeuil. « Mais les syndicalistes ne peuvent pas aller voter à la place des sociétaires, glisse-t-il. Dans certaines coop, quand cela ne va pas, ils n’hésitent pas à dégager le président ! »

Egalim : des constats bien différents

« Les lois Egalim ont permis de mettre fin à dix ans de déflation sur la matière première agricole. De ce point de vue-là, c’est un succès, considère Arnaud Rousseau. Est-ce que cela a permis d’atteindre les objectifs de rémunération ? Il y a encore pas mal de chemin à parcourir. » Pour la FNSEA et la FNPL, l’important a été de cranter l’idée que la matière première agricole à un coût et qu’il n’est pas possible de l’acheter sous son coût de production.

« Egalim ? On n’en voit pas les effets, assure Véronique Le Floc’h, de la CR. La hausse des prix perçue par les producteurs a juste permis de couvrir la hausse des charges. Et encore. » « Egalim doit imposer un coût de production. Il y a la loi mais aucune sanction en cas de non-application », dénonce Charlotte Kerglonou, membre de la commission lait de la Conf’ et éleveuse bio en Ille-et-Vilaine. Un discours déjà entendu à la FNSEA.

 

Thierry Roquefeuil, FNPL (FNSEA) : « En Europe, beaucoup de pays très libéraux ne sont pas alignés sur nos positions. Alors en France, nous avons les contrats pour mieux sécuriser le prix du lait. C’est sûr que si l’Allemagne contractualisait, cela nous aiderait. »

Sophie Lenearts, Coordination rurale : « Je ne peux pas concevoir que les producteurs de lait Danone n’ont pas le même prix du lait selon qu’ils sont dans le nord ou dans le sud de l’Hexagone ! »

Charlotte Kerglonou, Confédération paysanne : « Si le collège producteur avait plus de pouvoir au sein du Cniel, cela fait longtemps que l’on aurait mis une régulation des volumes et un prix du lait qui couvre nos coûts de production. »

 

Un prix oui, mais quel prix ?

« Tout ce que l’on défend depuis longtemps, c’est d’avoir un prix rémunérateur », affiche Charlotte Kerglonou, de la Confédération paysanne. « Le prix est la seule solution à tous les maux », avance Sophie Lenearts, de la Coordination rurale. Mais lequel ? « C’est toute la difficulté : qu’est-ce que l’on met comme rémunération des éleveurs. Combien vaut notre travail dans ce pays ? », s’interroge Laurence Marandola, porte-parole de la Conf'.

Une bataille des chiffres

L’Institut de l’élevage calcule pour le Cniel des indicateurs de coûts de production et de prix de revient selon la méthode Couprod. Ils font référence au sein de la filière. À partir de données fournies par les centres de gestion et organismes de conseil, il estime le coût de production (somme des charges mobilisées par l’atelier lait) à 516 €/1 000 l pour une exploitation de plaine en 2021, et 870 €/1 000 l pour une exploitation bio de montagne. Les prix de revient (coût de production de l’atelier lait duquel sont déduits le montant des aides et les autres produits affectés à l’atelier comme la vente des petits veaux, des vaches de réforme) varient de 417 €/1 000 l à 624 €/1 000 l.

L’EMB (dont sont membres la CR et l’Apli) calcule ses « propres prix » pour la France et aboutit systématiquement à un prix plus élevé. Pourquoi ? L’Idele intègre une rémunération d’un montant fixe de deux Smic par UTA(1) non salarié sans tenir compte si l’exploitant travaille plus que la durée légale du travail de 35 heures par semaine. La méthode de l’EMB rémunère également le travail à 2 Smic mais tient compte du temps de travail effectif qui est estimé à 43 heures par semaine en moyenne par UTA. C’est donc 8 heures de travail par semaine payées à deux Smic qui sont ajoutées. Elle y ajoute également les charges patronales. « En 2021, les coûts de production du lait en France s‘élevèrent à 53,33 centimes par kilogramme », indique l’EMB dans son dernier rapport Combien coûte la production de lait.

(1) Unité de travail annuel : équivaut au travail d’une personne travaillant à temps plein pendant une année.

Le saviez-vous ?

En 2010, des militants de la Confédération paysanne ont occupé la Maison du lait et lancé une grève de la faim de vingt jours pour gagner leur place au sein du collège producteur du Cniel.

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