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« Nous misons sur la complémentarité entre les cultures et l’élevage »

L’EARL Bril Odienne dans l’Eure a construit un système de production basé sur le tryptique sol-climat-animal. À la clé, des économies générées sur les charges opérationnelles.

Souvent les synergies entre l’atelier cultures et l’atelier lait se résument à des échanges paille-fumier, constate Éric Odienne, éleveur installé avec son épouse Annick à Chamblac dans l’Eure en zone de polyculture-élevage. Pourtant, en faisant preuve de bon sens paysan et en raisonnant le système dans son ensemble, on peut en retirer bien d’autres bénéfices. La porte d’entrée pour moi, c’est le sol. Je suis convaincu que l’agronomie est la base du métier de cultivateur mais aussi d’éleveur. Le trépied sol-climat-animal est une évidence si on veut retirer tous les bienfaits de la nature. »

L’exploitation dispose d’un parcellaire groupé avec 70 ha d’un seul bloc. Les sols, limoneux hydromorphes, sont drainés et permettent des rendements moyens de 12 à 13t/ha en maïs, et 80 qx/ha en blé en conduite économe. « La priorité lorsque mon beau-père est parti en retraite en 2005, a été d’allonger les rotations et d’y intégrer davantage de prairies temporaires », se souvient Éric.

La moitié de la surface labourable inclut des prairies dans la rotation

Aujourd’hui, 45 % de la surface labourable intègrent des prairies dans la rotation. « Nous avons agrandi la surface pâturée et créé autour du corps de ferme trois blocs de 8 ha de ray-grass-trèfle blanc qui fonctionnent sur des rotations de douze ans. Nous resemons 8 ha d’herbe tous les quatre ans. » En parallèle, 11 ha sont semés en ray-grass hybride-trèfle violet sur des parcelles plus éloignées. Les deux premières coupes, récoltées sous forme d’ensilage, composent la moitié du régime hivernal des 65 laitières. Celles-ci sont complémentées avec 3 kg de tourteau de colza et 2 kg d’orge aplati produit sur l’exploitation.

Les éleveurs ont calé les vêlages pour faire coïncider les fins de lactation à la période de pâturage (de fin mars à mi-juillet) et fermer le silo de maïs pendant trois mois. À l’herbe, les laitières reçoivent uniquement 1 kg d’orge. Les vêlages démarrent mi-août et le silo est réouvert à ce moment-là.

Le fait d’autoconsommer les céréales produites et de miser sur 80 % d’herbe dans la SFP profite au coût alimentaire. « En moyenne sur les cinq dernières années, ce dernier se chiffre à 80 €/1 000 l sur l’atelier lait, dont moins de 40 € de concentrés. Un coût modeste pour des vaches à 8 000 l de moyenne économique, commente Cédric Garnier de la chambre d’agriculture de l’Eure. Cette stratégie est aussi une façon d’être moins dépendant aux fluctuations des cours des céréales et des correcteurs azotés. »

Par ailleurs, l’élevage est autosuffisant en paille (100 t/an) pour les logettes.

Des rotations longues qui incluent des prairies temporaires

Sur les 155 hectares que compte l’exploitation, 124 ha sont assolés. « Nous cultivons pas moins de huit cultures différentes : maïs, blé, colza, orge d’hiver, pois d’hiver et de printemps, chanvre, plus du RGA-TB et du RGH-TV. » Les producteurs pratiquent des rotations longues de 6, 8 et 12 ans. Sur les trois rotations pratiquées, deux comportent des prairies temporaires. « Les deux-trois années qui suivent un retournement de prairies apportent un réel bénéfice technique et économique, décrit Éric. À la fois en termes de réduction d’engrais et de phytos. Le maïs reçoit moitié moins d’effluents, ce qui me permet d’en apporter sur le colza. Pour le désherbage du maïs, je me contente d’un traitement en post-précoce suivi d’un à deux binages. Le blé suivant est aussi moins sale, j’économise un antigraminée et 50 à 60 unités d’azote minéral. Le colza suivant reçoit également moins de phytos. »

La valorisation des effluents (lisier pailleux et lisier) sur le maïs, le colza et les prairies génèrent des économies sur la fertilisation. L’indice de fréquence de traitement (IFT) herbicide moyen s’élève à 1,20 en 2015, contre 2,10 dans le système sans prairie à ses débuts. L’IFT hors herbicide est de 0,70. Globalement, sur l’ensemble de l’exploitation en 2013, la consommation de produits phytosanitaires s’est élevée à 62 €/ha quand la moyenne du groupe était à 153 €/ha(1). En 2014, elle est montée à 85 €/ha tandis que le groupe était à 161 €/ha, sachant que l’EARL présente davantage de surfaces cultivées dans sa SAU que le groupe.

Quatre périodes de semis réparties tout au long de l’année

Le fait d’avoir quatre périodes de semis qui se succèdent dans la rotation ne favorise pas une adventice particulière. « Je sème d’abord le colza à partir du 15 août pour couvrir le sol, absorber l’azote et développer un bon pivot avant l’hiver, avance Éric. Ensuite, le blé est semé fin octobre pour limiter le développement des mauvaises herbes et maladies. Puis, en mars, ce sont les semis le pois et de maïs et chanvre fin avril. »

Depuis 2009, Éric n’utilise plus d’insecticides. « Des processus de régulation naturels se mettent en place, on aurait tord de s’en priver. Par exemple, en cas d’attaques de pucerons, je préfère attendre une bonne semaine plutôt que de traiter tout de suite. Cela laisse le temps aux populations de coccinelles de se développer. Il y a toujours le risque que les attaques d’un ravageur prennent de l’ampleur, mais il faut relativiser cet impact, car cela ne concerne qu’une culture sur huit ! »

Deux points essentiels guident Éric dans sa trajectoire. Le premier, c’est le groupe « agriculture intégrée » animé par la chambre d’agriculture, auquel il participe depuis 2004. L’objectif poursuivi porte sur la réduction de l’utilisation d’intrants extérieurs pour préserver les ressources et compenser les pertes de rendements éventuelles. « C’est rassurant d’échanger en groupe sur les leviers agronomiques et les solutions de lutte alternative. Cela permet de confronter les expériences et de se poser les bonnes questions. » La seconde clé repose sur une surveillance accrue des parcelles. « Dans un système comme le mien, je n’ai pas trois cultures à surveiller mais huit ! C’est davantage de temps à passer mais aussi une charge mentale supplémentaire. Au printemps, je suis constamment en situation de prise de décision, précise Éric. C’est une autre façon de travailler. Je parcoure les parcelles à pied plutôt qu’en pulvé ! »

Moins de vigilance sur le troupeau à certaines périodes

Au niveau travail, ce système de production multiculture a tendance à écrêter les périodes de pics de travail. « Pendant la moisson, nous ne sommes pas stressés. En général, j’ai fait le tiers de la moisson quand mes voisins commencent la leur. » Mais la contre-partie, c’est qu’il y a également très peu de périodes calmes ! Les éleveurs parviennent néanmoins à s’accorder cinq jours de congé deux fois par an. « Par rapport à un laitier spécialisé, il y a forcément des moments où je suis moins présent sur le troupeau laitier, relève Éric. L’été dernier par exemple, j’ai été moins vigilant lors des premiers vêlages entre le ramassage de la paille, les semis de colza fin août, et les faux-semis. Et derrière, nous avons eu une série de métrites, qui a pénalisé les résultats du troupeau. » C’est le revers de la médaille…

Chiffres clés

3 UMO : 2 associés et un salarié pour les cultures

500 000 litres de lait

65 Prim’Holstein à 8 300 kg

155 ha dont 90 ha de cultures de vente, 33 ha de prairies permanentes, 19 ha de prairies temporaires, 13 ha de maïs ensilage

8 cultures différentes

« Un système vertueux, résilient et stable »

« La complémentarité entre les ateliers présente un intérêt économique au niveau des charges opérationnelles. À titre d’exemple, la marge brute du blé (moyenne de 2000 à 2014) s’élève à 1 186 €/ha tandis que les repères locaux moyens sont à 1 131 €/ha. Le rendement de l’EARL plafonne à 77 qx/ha quand le groupe fait 10 qx de plus, mais ses charges opérationnelles ne dépassent pas 319 € (contre 470 € pour le groupe), dont 188 € d’engrais et 83 € de phytos. Globalement, les charges opérationnelles représentent 24 % du produit brut sur le dernier exercice(1), signe d’un système économe. Le produit brut, quant à lui, n’est pas maximisé du fait du choix de système. En moyenne sur cinq ans, l’exploitation dégage un EBE moyen honorable, qui se situe à 35 % du produit. Elle se caractérise surtout par une grande stabilité d’une année sur l’autre. Elle se montre moins dépendante de la volatilité des prix des appros et plus vertueuse sur le plan environnental. »

(1) 31 décembre 2014.

Cédric Garnier, chambre d'agriculture de l'Eure. 

Michel Deraedt du BTPL

« La diversification atténue les pics et les creux »

La diversification, est-elle « la » solution ?
Michel Deraedt -

« Aujourd’hui, les exploitations qui font des cultures ou qui disposent d’un autre atelier à côté du lait s’en sortent mieux que les fermes spécialisées qui prennent la crise de plein fouet. La diversification limite l’amplitude de revenu en cas de chute ou d’embellie du prix du lait, en amortissant les à-coups liés à cette volatilité. Les structures avec deux ou trois productions connaissent généralement moins d’années euphoriques mais également moins d’années catastrophiques. Elles se montrent plus robustes face aux aléas économiques. Voire également climatiques. C’est le cas des exploitations de polyculture-élevage qui ont l’habitude de faire des transferts maïs grain-maïs fourrage en fonction des années. C’est une sécurité. Ces exploitations mixtes bénéficient aussi de synergies entre ateliers : échanges paille-fumier, autoconsommation de céréales, bénéfices liées aux rotations de cultures intégrant des prairies temporaires. Un autre avantage tient aussi à la dilution de certaines charges de structure, comme les frais de gestion et les charges de mécanisation, qui contribue à réduire le coût de production du litre produit. »

Mais ce n'est pas facile d’être performant partout ?
M. D. -

« Le métier d’éleveur laitier implique déjà de nombreuses casquettes : technicien, administratif, maçon, mécano, gestionnaire… Ce n’est pas évident d’en rajouter encore une couche supplémentaire en diversifiant la palette d’activités, surtout pour un éleveur qui travaille seul. Le nombre d’urgences et de sollicitations se multiplient avec le nombre d’ateliers, au détriment d'un certain « confort mental ».

En diversifiant ses activités, tout l’enjeu est de parvenir à maintenir le niveau de technicité et la performance économique de l’atelier lait, sans dégrader les résultats. Car qui dit plusieurs ateliers, dit aussi plus de travail. On en a un déjà un aperçu lors des pics de travaux des champs : à cette période, les éleveurs sont généralement moins présents auprès des animaux et la santé et la repro ont plutôt tendance à se dégrader. Ceci dit, au sein des structures sociétaires, il n’est pas rare de trouver des exploitations diversifiées, mais avec des associés spécialisés par type de production. Un bon compromis ! »

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