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« Notre luzerne est séchée en vrac grâce à un méthaniseur »

En Mayenne, une dizaine d’élevages, dont le Gaec Bregaint-Gérault, valorisent la chaleur d’un méthaniseur pour sécher 700 tonnes de fourrages. Un partenariat gagnant-gagnant.

La luzerne, les Prim’Holstein du Gaec Bregaint-Gérault, à Montaudin, ont l’habitude d’en consommer. Mais pour la luzerne séchée en vrac, il a fallu attendre la mise en route en juillet 2016 d’un méthaniseur à une quinzaine de kilomètres de l’exploitation. Au départ, le projet prévoyait de sécher des balles, mais cela s’est avéré trop compliqué à gérer. Il fallait que les balles se touchent pour éviter les fuites d’air chaud dans le séchoir. Elles ne devaient pas être trop serrées pour que l’air puisse passer mais suffisamment pour pouvoir les manipuler. « L’utilisation d’une presse engendrait des pertes de feuilles. Alors qu’avec le vrac, on ne perd quasiment rien », explique Étienne Fruchet, de la chambre d’agriculture de la Mayenne.

Le Gaec Bregaint-Gérault a saisi l’opportunité pour deux raisons. « Nos bâtiments sont un peu trop chargés en animaux. Notre objectif est d’augmenter le niveau de production de nos vaches de 9 000 kg à 9 500 kg avec une ration concentrée en énergie tout en améliorant notre autonomie en protéines. » Dans cette optique, la luzerne séchée en vrac complète bien le maïs grain humide. « Ses fibres longues (20 à 25 cm à l’auge) et digestibles améliorent la santé des animaux et les taux », constate avec satisfaction Antoine Gérault. Hors saison de pâturage, la ration des vaches se compose de 48 kg d’ensilage de maïs, de 3 kg de luzerne, 2 kg de maïs grain humide, 3 kg de tourteau de soja, 250 g de minéral 5-25-5, 50 g de sel et 30 g de magnésie. Elle est équilibrée à 28 kg. Au-delà, la ration est complétée avec du tourteau de colza tanné (0,7 kg en moyenne).

Entre 3 et 4 kg MS de luzerne/VL/j

 
 © F. Mechekour

« En année normale, nous avons suffisamment de stock (environ 80 t MS) pour distribuer 4 kilos de matière sèche de luzerne par vache et par jour d’octobre à mars. Mais en 2019, à cause de la sécheresse et d’un nombre élevé de vêlages en août, nous avons commencé à en distribuer dès juillet. Nous avons donc été obligés de réduire la quantité à 3 kilos par vache et par jour. » Par ailleurs, le séchage en vrac ne concerne actuellement que la moitié de la luzerne produite, le reste étant sous contrat avec Déshyouest. À terme, il est prévu de tout sécher en vrac. « La luzerne brin long contribue plus que la luzerne brin court à améliorer les taux », souligne Étienne Fruchet.

Au printemps, il n’y a plus de luzerne au menu des vaches. Le Gaec joue la carte du pâturage avec 17-18 ares accessibles par vache. L’herbe est complétée par 7 kg à 11 kg MS d’ensilage de maïs selon la période, auxquels s’ajoutent 1,3 à 2,1 kg de tourteau de soja. Pour optimiser le pâturage, depuis quatre ans, 5 hectares de méteil à base d’avoine (100 kg), pois (30 kg) et vesce (20 kg) sont semés sous couvert d’une prairie de RGA (25 kg) et trèfle blanc (2,5 kg). Le méteil est ensilé vers le 20 mai. Les vaches pâturent la parcelle de RGA-TB un mois plus tard. « Grâce à ce système, la pousse de l’herbe est décalée et les vaches pâturent une herbe de qualité en juin-juillet », apprécie Antoine Gérault.

Le Gaec est le seul élevage de l’association Alumé à réserver toute la luzerne à ses vaches en production et à en distribuer autant. Mais c’est aussi celui qui a le plus de recul. « L’implantation de la luzerne est délicate. Cela fait peur à certains éleveurs. Mais ils seront de plus en plus nombreux à adopter le système de rationnement choisi par Antoine Gérault », prévoit Étienne Fruchet, l’animateur du groupe.

De la luzerne à 50-55 % MS avant séchage

La luzerne est récoltée avant la floraison pour obtenir un fourrage à 18 à 20 % de MAT. « Le séchage en vrac améliore la teneur en MAT de 1 à 1,5 point par rapport à un ensilage », souligne Antoine Gérault. Chaque coupe est analysée. « Sans luzerne, je distribuerais un kilo de tourteau de soja en plus. Cette année j’ai fait un bon coup à 323 euros la tonne de tourteau livrée, mais j’en ai aussi payé à 350 euros la tonne. » Au final, le Gaec économise environ 16 tonnes de tourteau de soja grâce à la luzerne.

Pour homogénéiser la qualité de la luzerne, Antoine Gérault superpose les coupes dans le tas. « Idéalement, il faudrait distribuer la première coupe en hiver. Celle de juillet-août contient en effet plus de tiges et moins de feuilles. » Au-delà de la richesse en protéines, la chaîne de récolte retenue au Gaec a pour but d’obtenir une luzerne à, au moins, 50 % de matière sèche quand elle arrive au séchoir pour faciliter et limiter le coût énergétique du séchage. Le tout sans trop pénaliser sa valeur alimentaire. Il faut 48 heures pour amener un fourrage de 55 % à 95 % de matière sèche, et le double de temps s’il n’est qu’à 35 % MS. « Le coût de séchage pour l’année 2019 est de 50 euros par tonne sortie, mutualisé entre les adhérents. Pour 2020, après concertation entre les adhérents et Fertiwatt, le prix est de 60 euros », précise cependant Stéphane Lorin, le président de l’association Alumé.

Planification des récoltes dans les dix élevages

 

 

Pour atteindre 50 à 55 % MS, Antoine fauche sa luzerne à 7-10 cm de hauteur le matin vers 10 h ou 11 h. « À cette heure-là, elle est moins humide. » Elle est fanée dans la foulée l’après-midi. « Certains fanent deux fois, mais je préfère ne le faire qu’une seule fois pour limiter les pertes de feuilles. » Après deux à trois jours au sol, la luzerne est andainée vers 11 h 00 du matin. Elle est récoltée avec une autochargeuse vers 16-17 h.

Les dix éleveurs du groupe Alumé planifient leurs récoltes en début de campagne pour assurer un approvisionnement régulier des quatre séchoirs de 85 m2. « Toute la difficulté est d’évaluer le volume au champ », reconnaît Stéphane Lorin. Il est possible de rentrer jusqu’à 30 tonnes de fourrages verts par séchoir.

Trop tôt pour évaluer l’impact économique

Environ 90 hectares sont concernés par le séchage. Plus de 700 tonnes de fourrages ont été séchées en 2018. Cette quantité a nettement diminué en 2019 (580 tonnes) à cause du trou estival puis de l’excès d’eau en fin de saison. « La luzerne représente environ 50 % du volume de fourrage séché contre un tiers pour l’association RGH-trèfle violet. Le reste est en prairies multiespèces », précise Étienne Fruchet. La diversité des cultures fourragères et de la précocité des parcelles favorise l’échelonnement des approvisionnements. Les premiers éleveurs fauchent leurs prairies entre le 25 mars et le 10 avril. Au Gaec Bregaint-Gérault, la première coupe intervient généralement vers le 20-25 mai. Puis, en fonction des conditions climatiques, la luzerne est fauchée tous les 42-45 jours, voire tous les 35 jours s’il fait très chaud.

Après quasiment quatre campagnes, le projet donne satisfaction. « Tout le monde est content de l’impact sur la qualité des fourrages et la santé des troupeaux. L’impact économique est également positif. Nous le mesurerons plus précisément au bout des cinq ans. »

Chiffres clés

2 associés en Gaec
126 ha dont 7 ha de luzerne, 29 ha de RGA-TB, 52 ha de maïs (8 ha en grain), 28 ha de céréales
827 000 l en contrat
100 Prim’Holstein
9 000 kg de lait à 41,1 g/kg de TB et 33,4 g/kg de TP

Avis d’expert : Étienne Fruchet, chambre d’agriculture de la Mayenne

« Un fourrage de qualité à 140 €/t MS »

 

 

 

« Le séchage en vrac permet de produire des fourrages de très bonne qualité à un prix très raisonnable. Ici, chaque éleveur récupère son fourrage. À l’échelle du groupe de dix élevages, l’impact sur le coût alimentaire est cependant difficile à mesurer, les éleveurs en utilisent encore peu (1,5 kg MS/VL/j). Mais cela devrait changer. Au Gaec, le prix de revient de la luzerne séchée est d’environ 140 euros la tonne dont 50 euros de coût fourrager (semis jusqu’à l’andainage), environ 43 €/t MS pour le transport (16,5 km aller-retour) et 50 €/t MS de récolte et séchage. En moyenne dans le groupe, le coût du fourrage est de 130 €/t MS. Le Gaec est pénalisé par la distance (16,5 km contre 7 km en moyenne pour le groupe). Mais il se rattrape sur le coût fourrager (10 euros de moins par tonne de matière sèche). »

Un engagement moral entre éleveur et Fertiwatt

Regroupés au sein de l’association Alumé, une dizaine d’éleveurs laitiers font sécher environ 700 tonnes de fourrages par la société Fertiwatt.

Alain Bessiral a créé la SARL Fertiwatt avec Bruno Landais et le Gaec Blanchelande. Le méthaniseur a été mis en route en juillet 2016. « En termes d’éthique, nous nous sommes interdit d’utiliser des cultures pour alimenter le méthaniseur. Nous sommes là pour traiter des déchets. » Pour bénéficier de subvention, il fallait valoriser la chaleur. D’où le projet d’investir dans des séchoirs. « Nous sommes partis sur un séchoir multiproduit. » Les fourrages représentent 65 % de l’activité des quatre séchoirs. L’installation représentait un investissement de 2,7 millions d’euros dont 500 000 euros pour le séchoir. Fertiwatt a bénéficié de 480 000 euros de subventions pour l’ensemble. Par ailleurs, la société a investi 140 000 euros dans une autochargeuse de 62 m3 en 2018.

Une dizaine d’éleveurs ont adhéré au projet. « Nous avons pris un engagement moral sur une durée de cinq ans avec Fertiwatt », précise Stéphane Lorin, le président de l’association Alumé.

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