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« Notre exploitation laitière va vendre des crédits carbone »

Commercialiser leur réduction d’émission de gaz à effet de serre sur le marché volontaire des crédits carbone : c’est ce que le Gaec des Sources dans le Pas-de-Calais va pouvoir faire d’ici cinq ans, grâce au label bas carbone et Carbon Agri.

Désherbinage du maïs depuis 10 ans, entretien des haies, réduction des IFT des cultures… « Nous faisons déjà pas de mal de choses positives pour l’environnement, mais on n’en avait pas forcément conscience. En intégrant la démarche bas carbone et Carbon Agri, cela nous encourage à continuer d’améliorer nos pratiques pour réduire l’empreinte carbone de l’exploitation et va nous permettre valoriser ce que l’on fait de bien », dépeint Maxime Hoin, l’un des cinq associés du Gaec des Sources, situé à Nielles-les-Bléquin dans le Pas-de-Calais. L’exploitation produit 800 000 l avec 96 vaches à 8 800 l sur une SAU de 260 ha dont 90 ha de prairies permanentes, 107 ha de céréales, 40 ha de maïs, 8 ha de betteraves sucrières, 3 ha de betteraves fourragères et 12 ha de prairies temporaires. Le Gaec dispose aussi d’un atelier viande composé de 55 Charolaises. Depuis septembre dernier, la structure accueille deux nouveaux associés qui viennent de s’installer pour remplacer les parents de Frédéric Lance dont le père a déjà pris sa retraite. « Avec l’arrivée de Henri et François, notre objectif est de monter à un million de litres d’ici deux ans, mais en limitant l’effectif à 100-105 vaches en lactation maximum car nous sommes bloqués en bâtiment", explique Frédéric Lance.

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Décidés à montrer « qu’ils travaillent bien même s’ils ne sont pas en bio » et à « améliorer leurs pratiques pour faire perdurer leur outil », les jeunes éleveurs ont intégré la démarche de valorisation du lait bas carbone proposée par l’AOPenDairy (lire page suivante), pilotée par l’Institut de l’élevage. « Cet accompagnement nous donne un plan de route en quelque sorte. Nous allons continuer à travailler dans la même logique de respect de l’environnement, mais la démarche balise la trajectoire ; elle aide à formaliser les choses en posant des objectifs et un calendrier », considère Frédéric.

Un conseiller de la Chambre du Nord-Pas-de-Calais a réalisé un diagnostic Cap2’ER niveau 2 avec les exploitants pour évaluer le bilan environnemental de l’élevage, sur les ateliers lait et viande (100 € à la charge du Gaec). « C’est intéressant de voir comment notre ferme se positionne. Nous avons mieux compris l’importance de nos 102 ha de prairies et 10 km de haies dans le stockage du carbone », poursuit Maxime. Tous les postes (gestion du troupeau, des surfaces, des effluents, alimentation, énergies) passent à la moulinette. Il faut compter environ trois heures pour recenser les 150 données nécessaires à l’évaluation, et autant ensuite au technicien pour finaliser les calculs et proposer des pistes d’action.

Pour augmenter significativement le produit lait, les éleveurs mettent l’accent sur le potentiel et le suivi du troupeau. Ils investissent dans la génétique et l’alimentation des vaches taries. © E. Bignon

Cette analyse fine permet d’approcher l’empreinte carbone de l’atelier. Celle-ci correspond à la différence entre les émissions de gaz à effet de serre (N2O, CH4, CO2) exprimées en kg d’équivalent CO2 et le stockage du carbone, ramenée au lait corrigé vendu. « Avec une empreinte carbone nette de 1,05 kg eq. CO2/l lait corrigé, le bilan du Gaec est légèrement supérieur à la moyenne observée sur les élevages de la région », observe Elisabeth Castellan de l’Institut de l’élevage. Le diagnostic chiffre aussi les contributions positives notamment en matière de biodiversité et de performance nourricière. L’atelier lait du Gaec nourrit par exemple 48 personnes/ha de SAU lait, soit 3 408 personnes, sur la base du contenu en protéines. »

Lire aussi : Une opération à l’échelle régionale avec l’AOPen Dairy

L’intérêt est de regarder quels sont les points à améliorer et de construire un plan de progrès en simulant les leviers d’action et leur impact. Trois axes d’amélioration ont été définis : améliorer la productivité des laitières pour réduire les émissions entériques, ajuster au maximum les effectifs, et renforcer l’autonomie alimentaire du troupeau. « C’est intéressant de pouvoir situer l’exploitation et cela nous conforte dans les changements de pratiques que nous avons déjà engagés », avancent les éleveurs.

L’optimisation des effectifs animaux passe par une meilleure gestion de la reproduction. Un suivi repro comprenant huit passages par an a été mis en place. © E. Bignon
L’optimisation des effectifs animaux passe par une meilleure gestion de la reproduction. Un suivi repro comprenant huit passages par an a été mis en place. © E. Bignon

L’amélioration de la performance laitière nécessite la reprise en main de la gestion de la reproduction avec la mise en place d’une vraie stratégie de renouvellement. « Pour produire un million de litres avec 105 vaches, nous devons passer de 8 800 l à 9 700 l par vache, indique Frédéric. Le travail de sélection génétique que nous faisons avec Évolution depuis trois ans va nous y aider, ainsi que le suivi repro mis en place. » Les éleveurs sont passés à 100 % d’IA. Toutes les génisses sont désormais génotypées pour identifier celles qui sont les plus adaptées au système en aire paillée. « Nous n’élevons plus que 30 à 35 génisses par an, nous les sélectionnons sur l’ISU (minimum 130 points). » Elles sont inséminées en semences sexées et 70 % des vaches à la repro sont inséminées en croisement industriel (Blanc bleu belge). « Les veaux croisés partent en moyenne à 250 €, contre 50 € en Prim’Holstein. Cette plus-value permet d’amortir le génotypage et les paillettes sexées. » « Nous allons maintenir le taux de renouvellement autour de 37 % pendant encore un an ou deux pour accélérer le progrès génétique, précise Mathieu Delattre d’Évolution. Il était à 45 % il y a trois ans. À terme, il se stabilisera à 20 % pour favoriser une meilleure longévité. » Et de poursuivre : « le génotypage va améliorer les choses mais il faut que ça suive au niveau de la conduite des animaux. Notamment sur l’intervalle vêlage-vêlage (448 j). » L’âge au vêlage se situe à 26 mois, il a gagné un mois en trois ans.

Lire aussi : Repro : un suivi d’élevage au mois le mois basé sur des indicateurs

Les betteraves fourragères se substituent aux pulpes surpressées dans la ration. Cela contribue à renforcer l’autonomie alimentaire. © E. Bignon
Les betteraves fourragères se substituent aux pulpes surpressées dans la ration. Cela contribue à renforcer l’autonomie alimentaire. © E. Bignon

Autre évolution de pratique : la mise en place d’une préparation au vêlage avec une ration et une minéralisation spécifique. « On voit la différence sur les dernières vêlées, apprécie Mathieu. On les réinsémine entre 48 et 65 jours à la deuxième chaleur de référence et ça marche. »

Enfin, pour renforcer l’autonomie alimentaire, l’atelier taurillons laitiers a été arrêté ; des betteraves fourragères se sont substituées aux pulpes surpressées ; et 12 ha de prairies à base de fétuque, ray-grass, dactyle et un tiers de légumineuses (trèfle ou luzerne) ont été semés en vue de réduire la part de correcteur azoté dans la ration. À terme, les éleveurs tablent sur 20 ha de prairies temporaires au total, au détriment des cultures.

Économiquement, le budget partiel prenant en compte les produits et charges en plus et en moins, table sur un gain de 30 000 €. En parallèle, le gain carbone de ce projet s’élèverait à 842 tonnes. Si le Gaec y parvient réellement au bout de cinq ans, il percevra un montant de 25 000 €.

« Ce qui est motivant, c’est de pouvoir concilier la performance environnementale et économique, conclut Frédéric. J’ai hâte de voir où on en sera dans cinq ans. C’est un vrai défi pour nous. »

Vendre des crédits carbone

Carbon Agri permet de certifier toutes les réductions d’émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation du stock de carbone à l’échelle de l’exploitation. Fidèle au label bas carbone et reconnue par le ministère de la Transition écologique et solidaire, cette méthodologie développée par l’Institut de l’élevage, les interprofessions lait et viande et la CNE, propose un cadre de suivi basé sur le diagnostic CAP’2ER niveau 2 en début et en fin de projet (5 ans plus tard), parallèlement à la mise en place d’un accompagnement des élevages. Les producteurs pourront ainsi être récompensés de leurs efforts de réduction de l’empreinte carbone via la vente de crédits carbone.

Lire aussi Près de 400 éleveurs bovins engagés dans le label bas carbone

Avis d’expert : Elisabeth Castellan, de l’Institut de l’élevage

« Le gain moyen est estimé à 12 000 € par exploitation »

Elisabeth Castellan de l'Institut de l'élevage © E. Bignon
Elisabeth Castellan de l'Institut de l'élevage © E. Bignon

« Les résultats des bilans effectués sur une centaine d’élevages de la région des Hauts-de-France mettent en évidence un gain de 400 t de carbone évitées par exploitation sur cinq ans. Celui-ci varie de 100 à 1 100 t selon les exploitations. À raison d’une vente à 30 € la tonne de carbone évitée sur le marché volontaire des crédits carbone auprès d’entreprises désireuses de réduire leur empreinte carbone, cela représente un gain potentiel moyen de 12 000 € de crédits carbone.

En plus de la valorisation de ces crédits carbone, les éleveurs sont gagnants d’un point de vue économique. Pour la grande majorité, les plans d’actions établis pour réduire l’empreinte carbone conduisent à des budgets partiels positifs sauf si les éleveurs envisagent de gros investissements. Les principaux leviers concernent des ajustements liés aux effectifs improductifs (âge au vêlage, longévité, taux de renouvellement) pour 37 % des exploitations, ou encore l’optimisation de la fertilisation pour réduire l’usage des engrais minéraux pour 10 % d’entre elles. »

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