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Au Gaec du Pressoir dans la Sarthe
« La maîtrise du coût alimentaire est notre plus gros défi »

Dans cette exploitation de polyculture-élevage, les associés jouent la carte de la cohérence globale de leur système quitte à pénaliser un peu, mais plus pour longtemps, la rentabilité de l’atelier lait.

Posséder une référence de 1,1 million de litres de lait pour un Gaec qui a bien failli ne jamais produire une goutte de lait, c’est tout sauf banal. À sa création en 1977, il n’était en effet pas question de faire du lait sur le site de Thoiré-sur-Dinan. Les cultures de vente et la production de volailles de Loué sont les principales activités agricoles dans ce secteur de la Sarthe situé à une cinquantaine de kilomètres au sud du Mans. « À l’origine, mon père et mon grand-père avaient même envisagé de faire du cochon », explique Jocelin Lenoir, l’un des trois associés du Gaec.

Continuer à y croire et à développer le lait avec le contexte que l’on connaît et dans un secteur où d’autres productions sont possibles, cela n’est pas banal non plus. « Aujourd’hui, notre salarié est payé en grande partie par les volailles dont les bâtiments sont amortis depuis plus de 20 ans alors qu’il n’y consacre que 50 % de son temps et le reste aux vaches. Le temps passé aux volailles est plus rémunérateur que pour le lait. C’est pour cela qu’ici, beaucoup de producteurs arrêtent le lait et que la production de poulets de Loué se développe », constate Jocelin.

L’histoire laitière du Gaec va finalement commencer en 1980. À l’époque, les éleveurs produisaient 250 000 litres de lait, des volailles de Loué sur un site distant de 12 kilomètres et des cultures de ventes. La traite robotisée fait son apparition dans l’élevage dès 2001. « Les associés de mon père n’étaient pas branchés lait. L’investissement dans un robot de traite lui a permis de dégager un peu plus de temps pour s’occuper de mon frère et moi après le décès de notre mère en 1998. »

670 000 litres de lait avec un robot de traite

Autre rebondissement dans l’histoire du Gaec, le départ d’un associé précipite l’installation de Jocelin en 2007. « À l’époque, je n’avais que 21 ans. J’avais une licence de conseiller en élevage et je comptais partir à l’étranger ou travailler dans le para-agricole avant de m’installer. Mais comme l’opportunité se présentait, j’ai accepté à condition de pouvoir me dégager assez de temps libre. » Ce vœu sera en partie exaucé grâce à l’embauche d’un nouveau salarié. « C’est aussi un bon moyen pour être plus performant. »

En 2008, le robot Lely A2 est changé au profit d’une version plus récente, le A3. L’évolution progressive du quota finit par saturer le robot. « On produisait 670 000 l de lait avec 68 vaches avec une seule stalle. C’était possible, mais on était au taquet et on perdait trop en souplesse de travail. » Un second robot est donc installé en 2011.

Le Gaec se retrouve alors dans la situation inconfortable où le droit à produire est trop élevé pour n’avoir qu’un seul robot mais insuffisant pour en saturer deux et diluer les charges de structure. Les annuités liées aux robots s’élèvent à 23 000 euros par an. À partir de 2020, elles baisseront à 13 000 euros. Les robots seront totalement payés en 2023. Pour éviter cet écueil, les associés ont obtenu 300 000 litres de lait en volume de développement (volume B) de leur laiterie (Sodiaal) en 2014. Le montant des parts sociales s’élève à 34 euros/1000 l.

Compte tenu des fortes contraintes du côté de la stabulation (62 places en logettes et 4 en aire paillée), ils décident à l’époque d’étaler la production du volume supplémentaire sur trois campagnes à raison de 150 000 l en 2015-2016, puis de 100 000 l et 50 000 l lors des campagnes suivantes. Cette augmentation de production nécessitait de gros investissements côté bâtiment. Mais le contexte de crise va porter un sérieux coup de frein au projet. « Nous avons préféré limiter la hausse de nos livraisons à 100 000 l de lait sans investir en 2015-2016. Dans notre projet initial, nous avions prévu de tout refaire à neuf et d’augmenter la capacité de logement à 100 logettes et 10 places en aire paillée, de construire une fosse… On ne gardait que les bétons et les logettes. Mais nous aurions dû investir 400 000 euros. Le niveau global de nos charges étant élevé, nous avons décidé de garder notre ancien bâtiment et de l’aménager progressivement. Ce choix nous a permis de prélever de l’argent pour vivre sans mettre en péril notre trésorerie », souligne Jocelin Lenoir.

Mais ce n’était que partie remise. Le Gaec a en effet relancé un projet de réaménagement du bâtiment en 2017 : 25 logettes supplémentaires, une aire paillée pour les fraîches vêlées et une autre pour les préparations au vêlage. La facture globale s’élève à 160 000 euros dont 60 000 euros pour l’aménagement du bâtiment, 20 000 euros d’équipements, 60 000 euros pour une fosse de 1200 m3 et 15 000 euros de terrassement. Le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE) prend en charge les deux premiers à hauteur de 30 % et les deux autres à 40 %. Les travaux ont débuté en juillet dernier. Au final, le Gaec a produit 79 % de sa référence en 2016-2017. « Notre objectif est de produire 950 000 litres de lait en volume A avec 90 vaches pour garder de la souplesse au niveau des robots et améliorer notre confort de travail. Le volume B sera produit en fonction du prix du lait », indique Jocelin Lenoir.

Un pareur passe trois fois par an

Plus de places mais aussi plus de confort pour optimiser la production par vache était une priorité dans le projet. D’autant que le troupeau passe l’essentiel de son temps dans le bâtiment. « Ici, le potentiel des terres est bon. On essaie donc d’optimiser à la fois la gestion des cultures et de l’élevage. Pour limiter les problèmes de boiteries, les vaches sortent deux heures par jour de juin à septembre mais sur une parcelle de seulement six hectares. » Pour compléter la prévention des boiteries, un pareur se rend trois fois par an dans l’élevage. « On passe généralement une trentaine de vaches, en priorité celles qui viennent de vêler et les prêtes à tarir. » La maladie de Mortellaro est présente dans l’élevage avec un impact plus ou moins limité. Dès qu’une vache boite, les éleveurs appliquent sur la plaie un produit sans formol ni antibiotiques. « Nous paillons les logettes deux fois par jour (2 x 400 g de paille ensilée) pour diminuer les tarsites Cela permet aussi de maîtriser le nombre de mammites." Les comptages cellulaires ont franchi la barre des 300 000 cellules/ml de juillet à octobre. Un niveau que Jocelin explique par les travaux dans le bâtiment, la chaleur et un nombre limité de vêlages à cette période. Les autres mois, ils ont été inférieurs à 250 000 cellules/ml avec un minimum à 144 000 cellules/ml en décembre. Les éleveurs ont par ailleurs installé des tapis dans les logettes et ouvert un pan du bâtiment pour améliorer la ventilation. Le levier sélection est également utilisé. « Nous ne prenons pas les taureaux si leurs index membre et mamelle sont inférieurs à 0,9. »

De moins en moins de lin dans la ration

Côté conduite du troupeau, le principal défi reste la maîtrise du coût alimentaire. « Nous avons déjà commencé en 2016 grâce aux conseils d’Emmanuel Lepage du Clasel, mais nous devons continuer. » Ses conseils portaient notamment sur une meilleure valorisation des fourrages produits sur l’exploitation et une optimisation de la distribution des concentrés. « Toute la difficulté dans notre système et de bien gérer les vaches qui produisent moins de 25 l de lait », estime Jocelin Lenoir. Le travail sur les concentrés va se poursuivre. « Nous avons pour la première fois contractualisé nos achats de correcteur azoté (70 % de tourteau de soja et 30 % de tourteau de colza), avec à la clé une économie de 30 euros/t. Nous le payerons 320 euros/t jusqu’au mois d’août avec une livraison moyenne de 15 tonnes. » Lors de l’exercice 2016-2017, le Gaec a acheté 100 tonnes de ce mélange de tourteaux.

Côté fourrages, la situation est mieux maîtrisée selon Jean-Luc Roméjon, consultant Seenergi. « Les charges fourragères sont correctes. Elles s’élèvent à 21 €/1000 l contre 34 €/1000 l dans des systèmes d’élevage comparables. Cela s’explique en particulier par un très bon chargement lié à de bons rendements et une bonne valorisation de l’herbe récoltée. Dans ces conditions, la production par hectare de SFP (19 238 litres/ha) est bonne. La maîtrise du coût du maïs ensilage (499 €/ha) qui représente 61 % de la SFP joue également », explique Jean-Luc Roméjon. La ration hivernale se compose de 12 kg de MS d’ensilage de maïs, 3 kg de MS d’enrubannage d’herbe, 1,5 kg de MS de maïs humide, 800 g de paille, 2,5 kg de correcteur azoté (70 % de tourteau de soja et 30 % de tourteau de colza), 1 kg de soja en granulé, 3,4 kg de VL 4 litres et 320 g de minéral.

L’avenir du lin incorporé dans la VL est sur la sellette malgré son intérêt en termes d’apport d’énergie, d’acides gras insaturés. "Le lin est bon pour la santé des animaux. C’est très important dans un élevage à haut niveau de production avec des conditions de logement qui n’étaient pas idéales." Mais il coûte cher et ne génère pas de plus-value depuis deux ans. « Sodiaal a arrêté de valoriser notre lait dans la filière Bleu blanc cœur en juin 2015 suite à la fermeture d’une usine de Candia. À l’époque, nous touchions une plus-value de 15 euros/1000 l qui couvrait le surcoût alimentaire », précise Jocelin.

Une autre raison en faveur de l’arrêt du lin est son impact négatif sur le TB et donc le prix du lait. Ce dernier est estimé à 6 euros/1000 l par Jean-Luc Romejon. « Nous allons revoir les rations avec Emmanuel Lepage pour optimiser l’utilisation de notre VL 4 litres (348 euros/t) dans laquelle est incorporé le lin. »

La finition des vaches est une piste intéressante

Le produit viande est une autre piste d’amélioration suggérée par Jean-Luc Roméjon. « Il reste pénalisé par une sous valorisation des vaches de réforme (784 € contre 860 € pour le groupe), mais aussi par un problème de mortalité chez les vaches (9 % à cause de glissades…) comme chez les veaux (20 %). Le manque à gagner sur le poste viande peut être estimé à environ 6 000 euros », selon le conseiller. Lequel estime que la finition des animaux reste économiquement intéressante.
 « La finition d’une vache nécessite 12,5 kg MS de maïs ensilage, 1,5 kg de correcteur azoté, 1 kg de paille sur une période de 90 jours environ. Le gain de poids et de prix face aux dépenses engagées permet une valorisation par vache de l’ordre de 150 €. Ceci est d’autant plus intéressant si les vaches sont jeunes et maigres. »

Au final, les trois associés connaissent les pistes à suivre pour améliorer les performances économiques du Gaec sans chambouler leur système. Des résultats qu’ils jugent cependant corrects au vu du contexte (prix du lait et des céréales…). D’autant que le décalage de la vente d’une quinzaine de génisses prêtes à vêler et les stocks importants de blé et colza ont contribué à tirer vers le bas l’EBE lors du dernier exercice comptable. Le Gaec peut aussi compter sur une motivation sans faille de Jocelin pour gérer l’atelier lait. « Chacun doit s’éclater dans son travail. C’est pour cela que nous sommes tous responsables d’un atelier. Cela ne nous empêche pas de raisonner en termes de performance économique globale et non pas atelier par atelier. »

Son besoin d’avoir des projets, d’évoluer et d’innover est également des atouts pour la dynamique de l’exploitation. L’innovation, le Gaec s’en est emparé depuis sa création tout en gardant un œil attentif sur son impact en termes économique, de travail et pour l’environnement : robot de traite, techniques culturales simplifiées depuis 16 ans, compact feeding (un nouveau concept venu du Danemark pour empêcher les vaches de trier la ration – Réussir lait n° 311 pages 38 à 40)… « Nous sommes écologiquement intensifs. Notre travail est en phase avec notre milieu. Le sol est à la base de notre métier. Nous ne sommes pas contre le labour, mais il faut faire attention à son impact sur le long terme au niveau de la vie et de la structure du sol. Aussi, tant que nous ne serons pas confrontés à des problèmes de désherbage nous continuerons avec le sans labour », expose Jocelin avec conviction. Le Gaec reste à l’affût des évolutions grâce à son implication au sein du Clasel, du Réseau base et de l’association European dairy farmers.

Ne pas mettre en péril notre trésorerie

Un atelier élevage de génisses

Le Gaec gère l’élevage d’environ 75 génisses par an dont une bonne cinquantaine pour d’autres éleveurs depuis 1978 « Nous adhérons à un groupement de producteurs géré par une secrétaire et un conseiller du Clasel. Les génisses sont élevées à partir de 20 jours et jusqu’à 40 jours avant leur vêlage (autour de deux ans) avec obligation de reprise. » Chaque propriétaire réalise les accouplements. L’insémination est prise en charge par le Gaec du Pressoir. « Lorsqu’un éleveur utilise des doses sexées ou importées, il paye la différence par rapport au coût d’une dose de notre coopérative d’insémination. »

Les génisses, y compris celles du Gaec, sont achetées 150 euros aux propriétaires et revendues 1530 euros pleines. « En cas de pertes, c’est pour nous », précise Jocelin Lenoir. « Cette activité est rentable et nous permet de valoriser des pâtures accidentées et un bâtiment sur le site de Saint-Vincent- de-Lorouër. Nous réalisons une marge de 500 à 600 euros par génisse. »

Jean-Luc Roméjon, Seenergi

« De gros progrès à faire sur le coût de concentré »

« Le produit brut a progressé de 93 000 euros par rapport à l’exercice précédent en particulier grâce à une hausse du produit lait d’environ 37 000 euros. Cette dernière est essentiellement liée à une hausse du prix du lait de 51 euros/1000 l. Grâce aux aménagements réalisés sur le bâtiment, le Gaec devrait augmenter son produit lait en produisant l’intégralité de sa référence (seulement 79 % en 2016/2017). Sur les charges opérationnelles, la hausse principale est liée aux concentrés pour les vaches. Le Gaec doit continuer à progresser sur ce poste. Il a diminué de 131 à 102 euros/1000 l lors des deux exercices précédents, mais il représente encore 99 euros/1000 l en 2016-2017. Cela correspond à environ 300 g/l de concentrés là où on recherche un maximum de 250 à 260 g/l. Pour le prochain exercice, des axes d’amélioration ont été engagés, aussi bien sur le prix des concentrés que sur les quantités. La mise en place du Coût Alimentaire en Dynamique permettra de contrôler les objectifs de 130 t de correcteur azoté à 320 euros/t et 120 t de concentré VL à 334 euros/t (céréales autoconsommées comprises), afin d’atteindre un coût de 79 000 euros, soit 83 €/1000 l.»

Les chiffres clés
4 UTH dont un salarié à plein temps
240 ha dont 41 ha de maïs ensilage, 41 ha de prairies permanentes et 145 ha de cultures de vente
800 m2 de poulet label
79 Prim’Holstein à 11 000 kg de lait brut
Nombre d’UGB vaches laitières 1,90/ha de SFP
1,1 million de litres de lait contractualisé dont 30 % en volume B

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