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« Je cible mes investissements sur l’atelier lait »

En Ille-et-Vilaine, Florian Salmon a misé sur des robots de traite, la délégation de la distribution de la ration des vaches, le recours au sans-labour… pour faire tourner sa ferme avec un salarié.

« Si le pays de Fougères est appelé le jardin de la France, ce n’est pas pour rien. Ici, les terres sont plutôt bonnes mais les surfaces par exploitation limitées. Ce n’est donc pas un hasard si les structures sont petites et les systèmes intensifs », explique Florian Salmon. L’historique de la ferme illustre parfaitement les propos de l’éleveur. Ses parents se sont installés en 1981 avec un troupeau de 11 vaches et une surface de 11 hectares. Quand Florian les a rejoints en 2005, le Gaec Salmon exploitait 82 hectares. Le droit à produire était de 420 000 litres de lait, auxquels s’ajoutait un atelier de porcs à l’engraissement de 450 places.

Depuis, l’évolution des surfaces est restée limitée (104 ha, soit +22 ha). En revanche, la référence laitière a presque doublé (720 000 litres de lait). « Je me suis installé à l’âge de 20 ans. J’ai profité de la sagesse de mes parents. Notre exploitation n’a fait qu’évoluer, et maintenant il faut que j’optimise mon système », résume Florian Salmon. La gestion de la main-d’œuvre et du volume de travail d’astreinte est une de ses préoccupations majeures. Elle l’est d’autant plus qu’il est pris en moyenne deux jours par semaine par des responsabilités extérieures : référent à la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine et au niveau régional, et, depuis cette année, membre du conseil municipal de Luitré.

« L’engagement extérieur fait partie de notre travail. Tout le monde devrait en faire un peu et certains moins. C’est nécessaire pour que tout le monde comprenne comment ça marche et comment sont prises les décisions. Il y aurait certainement moins de critiques et le raisonnement serait plus collectif », argumente Florian Salmon. 

Un robot repousse-fourrage et deux robots de traite

L’achat d’un robot repousse-fourrage en 2012, puis de deux robots de traite Lely A4 ont fait partie de ses investissements prioritaires. Le premier robot a été mis en route en juillet 2014 et le second en mars 2015. Pendant les travaux de mise en route du premier robot, les traites se sont déroulées dans l’ancienne installation. « À cette époque, on avait une salle de traite 2x3. Chaque traite durait environ deux heures, auxquelles il fallait ajouter le temps pour le nettoyage des quais et du parc d’attente. Dans ces conditions, ma mère n’aurait jamais tenu le coup jusqu’à son départ en retraite. »

Le choix de la traite robotisée n’a pas engendré de surcoût important par rapport à l’option salle de traite 2x8 envisagée à l’époque pour ne pas dépasser une heure par traite. Le recours à un maximum d’autoconstruction et l’installation des robots dans un bâtiment existant – et quasiment fini de rembourser – ont permis de mettre en route les deux robots pour un montant de 260 000 euros.

Embauche à plein temps d’un ancien apprenti

L’investissement dans deux robots de traite pour 75 à 80 vaches est un choix pleinement assumé par Florian. « Financièrement, c’est un peu pénalisant, d’autant que les prix des interventions et des pièces de rechanges sont excessifs. C’est une tendance générale avec le matériel agricole. Il faut se battre partout pour avoir des prix. Mais en contrepartie, cela permet d’avoir de la souplesse en cas de panne et quand les vaches sortent au pâturage. »

Pour ne pas se retrouver à court de main-d’œuvre, Florian avait également anticipé le départ à la retraite de sa mère, prévu en 2019, en recrutant un apprenti avec possibilité d’embauche à l’issue de la période d’apprentissage. Après un an passé sur l’exploitation, Julien Deshayes (20 ans) a finalement été embauché en mai 2019. « Cette année d’apprentissage a été bénéfique pour lui comme pour moi. De mon côté, cela m’a appris à gérer l’emploi du temps d’un salarié. Quand j’étais en Gaec avec mes parents, on avait tendance à décider au coup par coup. Maintenant il faut que j’anticipe. » Florian Salmon mise sur la polyvalence et l’autonomie de son salarié. « Pour motiver un salarié, il ne faut pas limiter son activité à la routine, ni au travail d’astreinte. Il doit pouvoir comme nous continuer à apprendre des choses et évoluer dans son travail. »

Délégation des récoltes et des épandages d’effluents

Le contrat de Julien Deshayes est basé sur 39 heures par semaine et un week-end d’astreinte par mois. « Je préfère qu’il soit présent la semaine pour me remplacer plutôt que le week-end. » Le duo salarié-robot de traite fonctionne très bien, selon Florian. « C’est plus simple d’organiser l’emploi du temps d’un salarié avec un robot de traite qu'avec une salle de traite conventionnelle. Julien arrive le matin vers 7 h 30 et sa journée se termine vers 17 h. Il n’est pas obligé comme certains salariés d’arriver à 6 h 30 pour traire, puis de repartir et revenir pour la traite du soir. »

Dans cette exploitation de polyculture-élevage, la traite robotisée offre aussi plus de souplesse à Florian et Julien pour assurer tous les travaux des cultures. Ils prennent tout en charge, à l’exception des récoltes (54 ha de cultures de vente, 24 ha de maïs ensilage…) et des épandages de lisier et fumier sur les céréales, confiés à une ETA.

Le pâturage préféré à l’affouragement mécanique

Malgré une contrainte de parcellaire (route à traverser pour accéder à une pâture), le pâturage a été maintenu à hauteur de 7 hectares pour plusieurs raisons. Une fois de plus, l’aspect travail ressort dans l’argumentation de Florian Salmon. « C’est plus pratique et économique que de faire de l’affourragement mécanique. Et cela nous permet de souffler un peu. »

Le bien-être des animaux est également mis en avant. « Le pâturage, c’est mieux pour les pattes des vaches. » La maladie de Mortellaro n’épargne pas le troupeau mais reste contenue. Suite à une formation au parage, Florian a investi dans une cage de parage et intervient rapidement dès qu’une vache boite. Reste que les problèmes de boiteries sont récurrents dans l’élevage. Ils l’étaient déjà avant l’installation des logettes en 2010. Les distances à parcourir pour pâturer (maximum 500 m) et la génétique expliqueraient en partie le phénomène, selon Florian. 

Les contraintes de parcellaires ont conduit à scinder le troupeau en deux lots. Le stade de lactation et le niveau de production n'ont pas été des critères retenus pour former les deux lots. « Je fais en sorte que les deux lots aient toujours un effectif comparable. » Un lot reste de 10 h à 17 h dans une pâture de 3-4 hectares située de l’autre côté d’une route. L’accès au second paddock de 2,80 hectares est en revanche libre. « Suite à la transformation d’une ancienne voie ferrée en voie verte, j’ai été obligé de construire un boviduc pour que mes vaches accèdent librement à cette prairie. Cela évite aussi de prendre une bétaillère pour amener les génisses dans leurs pâtures », précise Florian Salmon.

La culture de dérobées sur la sellette

La réflexion autour du temps de travail l’amène également à remettre en cause le maintien des cultures dérobées (mélange d’un RGH diploïde et tétraploïde avec des trèfles violet, incarnat et blanc). « La culture de dérobées complique le travail. Je me demande si je ne devrais pas les remplacer par des prairies de fauche de 3 ou 4 ans. Une prairie en tête de rotation, c’est bien et cela permettrait de reposer le sol. Mais cela impliquerait que je baisse les surfaces en céréales. » L’impact économique de cette évolution reste à mesurer. En revanche, s’il devait se faire, ce changement n’aurait pas de conséquences sur le minimum requis en surface d’intérêt écologique grâce au linéaire de haies (plus de 3 km) et les talus présents sur l’exploitation et la culture de luzerne (4 à 5 ha).

La luzerne (12 à 14 t MS/ha/an) est déshydratée en brins longs. En 2018, elle a coûté 155 €/t déshydratée. Ce coût comprend la fauche, la récolte, la déshydratation et le transport aller-retour. « En 2019, la luzerne a été ensilée ou enrubannée mais pas déshydratée, ce qui a diminué fortement son coût de production », précise Sophie Tirard, de la chambre d’agriculture de Bretagne. La légumineuse est distribuée à raison de 2,5 kg/VL en hiver et 2 kg/VL quand les vaches pâturent.

Des variétés de maïs différentes selon les parcelles

La ration hivernale se compose d’ensilage de maïs (2/3) et d’herbe (1/3), de betterave fourragère (2,5 à 3 kg MS de mi-octobre, grâce à un arrachage précoce, jusqu’à fin avril), de paille de colza broyée (500 g/VL/j) et de correcteur azoté (selon les cours, mélange avec 50 à 70 % de tourteau de soja et le reste en tourteau de colza). Cette ration est équilibrée à 26 litres. Au-delà, la complémentation se fait au robot avec une VL 2,5 l et un correcteur azoté semi-protégé. De début avril à fin septembre, l’herbe pâturée prend en partie le relais de l’ensilage d’herbe. « Les vaches baissent un peu en production, mais ce n’est pas grave. »

Toujours pour des questions de gain de temps, depuis plus de vingt ans, la distribution de la ration des vaches est déléguée à une ETA. La mélangeuse automotrice passe vers 8 h. L’entreprise a facturé en moyenne moins de 10 €/1 000 l lors des deux dernières années. Par ailleurs, hors saison de pâturage, le robot repousse-fourrage fonctionne sept fois par jour en hiver, et cinq à six fois quand les vaches pâturent. « J’ai essayé d’installer une lame sur un quad et un télescopique. Mais comme le couloir de la stabulation n’est pas assez large, et que je distribue des gros volumes de fourrages, j’ai arrêté car cela m’obligeait à monter sur un tas pour pouvoir pousser celui qui était de l’autre côté. » Autre avantage du robot repousse-fourrage, « il fait le travail tout seul ».

Des panneaux photovoltaïques sur 630 m2 de toiture

Le recours au sans-labour est une autre grande caractéristique de cet élevage. « Mon père ne labourait plus le blé depuis vingt-cinq ans pour simplifier le travail et parce qu’il y avait trop de cailloux dans certaines parcelles. » Le blé est donc systématiquement semé sans labour. Pour le maïs, selon les caractéristiques des parcelles et les années, environ les deux tiers des 30 hectares sont semés sans labour depuis six ans. « Cette technique ne pénalise pas les rendements (au moins 17 t MS/ha) à condition de réaliser de bons amendements. C’est une bonne solution pour améliorer la vie du sol et lutter contre l’érosion. Ce dernier point est important car, depuis quelques années, nous avons des orages violents au printemps. Mais on ne se refuse pas de prendre la charrue si c’est nécessaire. » Chaque parcelle est semée avec une variété de maïs différente pour tenir compte de la date de semis et des caractéristiques de la parcelle. L’objectif étant de pouvoir tout ensiler si possible sur une journée, quelle que soit la date de semis.

La prochaine évolution à court terme sera l’installation de panneaux photovoltaïques (100 kw) sur la toiture de 630 m2 d’un nouveau bâtiment. « Je suis obligé de construire ce bâtiment pour en remplacer deux autres que l’on mettait à ma disposition pour stocker du matériel, de la paille et des fourrages. Les panneaux photovoltaïques vont servir à financer ce nouveau bâtiment. » Autre nouveauté, Florian est apporteur d’effluents d’élevage dans le cadre d’un projet de méthanisation. « Nous récupérons gratuitement du digestat. En contrepartie, nous assurons le chargement de fumier et l’épandage du digestat. »

Un bilan de diagnostic Cap’2ER plutôt bon

0,88 kg équivalent CO2 par litre de lait, pour un système maïs avec des vaches à plus de 9 000 litres : l’empreinte environnementale de l’atelier lait est bonne. Deux pistes d’améliorations sont envisagées.

Sensible aux enjeux environnementaux, Florian Salmon a réalisé un diagnostic Cap’2ER sur la base de sa comptabilité de 2017-2018. « Avec 0,88 kg équivalent CO2 par litre de lait corrigé (lait vendu corrigé à 40-33 g/kg), l’empreinte carbone pour un système maïs intensif est plutôt bonne, souligne Sophie Tirard, de la chambre d'agriculture de Bretagne. La moitié de l’empreinte carbone est liée aux fermentations entériques. Ce critère est bien maîtrisé dans cet élevage parce qu’il y a peu d’animaux improductifs. » Lors du diagnostic, le taux de renouvellement était de 29 % et l’âge au premier vêlage de 27 mois. « L’élevage de génisses coûte cher et demande de la place en bâtiment, que je n’ai pas », souligne Florian Salmon.

Peu d'animaux improductifs

Deux leviers ont cependant été identifiés pour améliorer le bilan. Le stockage de carbone pèche un peu en raison du rythme de renouvellement des prairies. « J’envisage de les faire durer six à sept ans, voire huit ans plutôt que cinq à six ans actuellement. » Le deuxième levier concerne la baisse des apports de concentrés. La qualité  moyenne du maïs en 2018-2019 a été compensée par plus de VL au robot (223 g/l de lait contre 213 g/l en 2017-2018). « Je pourrais le faire en améliorant la richesse des fourrages. » La production de maïs épi déshydraté est une piste envisagée pour remplacer la VL au robot.

Florian Salmon aurait aimé pouvoir aller plus loin dans la démarche. « C’est dommage que le diagnostic ne concerne que l’atelier lait et non pas l’exploitation dans sa globalité. Pour une exploitation de polyculture-élevage comme la mienne, avec un atelier porcs à l’engraissement, j’aurais préféré avoir une vision plus globale. »

Avis d'expert : Sophie Tirard, chambre d’agriculture de Bretagne

« Les investissements sont très bien maîtrisés »

« Florian Salmon maîtrise très bien ses investissements. Sa stratégie lui permet de limiter ses annuités à moins de 85 €/1 000 l. Il investit de façon progressive en mettant la priorité sur l’atelier lait plutôt que sur le matériel. Ses investissements dans les robots de traite et le repousse-fourrage lui permettent de faire face au volume de travail et d’avoir une productivité laitière importante (500 000 l de lait/UMO lait). Il n’y a pas de doublons dans le matériel. Même si 50 % de ses surfaces sont en cultures de vente, le tracteur de tête (170 ch) comme beaucoup d’autres matériels sont détenus en Cuma ou en copropriété avec des voisins. Par ailleurs, le recours au sans-labour pour le blé et le maïs limite ses charges. En 2018-2019, ses frais de mécanisation (51 €/1 000 l) étaient inférieurs à ceux de la moyenne des élevages du réseau d’élevage Inosys de l’Ouest, avec plus de 45 % de maïs dans la SFP (74 €/1 000 l). Grâce au temps passé autour de ses animaux et à l’absence d’animaux improductifs, les frais d’élevage sont également bien maîtrisés (35 €/1 000 l contre 48 €/1 000 l pour le groupe). En revanche, les frais de bâtiments et installations (82 €/1 000 l) sont plus élevés que la moyenne du groupe (54 €/1 000 l) en raison de l’investissement dans les deux robots de traite et du recours à l’ETA pour la distribution des rations. »

Chiffres clés

En 2019 

SAU 104 ha dont 4 ha de luzerne, 19,5 ha de prairies, 1,5 ha de betteraves, 19 ha de maïs et 60 ha de cultures de vente (37 ha de céréales, 4 ha de maïs épi et 9 ha de colza)
Cheptel 75 Prim’Holstein à 9 000 l (lait vendu)
Référence 691 553 l
Lait vendu 714 522 l
Chargement apparent 2,15 UGB/ha de SFP
Main-d’œuvre 2 UMO
 

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