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Bousculons notre vision de l'installation !

Avec une capitalisation de plus en plus lourde et un développement des installations hors cadre familial, faut-il continuer à racheter le capital à 100 % à chaque génération ? Une étude de Cerfrance, basée sur 372 installations, met les pieds dans le plat.

Le métier d’éleveur n’est plus ce qu’il était. Avec une volatilité accrue des prix et des revenus, l’agrandissement des exploitations et les nouvelles attentes sociétales, la donne a complètement changé. Dans ce nouveau contexte, ne faut-il pas penser autrement la transmission des exploitations laitières ? Quelles solutions peut-on proposer aujourd’hui à la nouvelle génération pour faciliter son entrée dans le métier ?

Si l’amélioration des revenus et de la qualité de vie au travail sont bien sûr des facteurs déterminants pour attirer les jeunes, l’un des gros freins à l’installation est la lourdeur du capital nécessaire à la conduite d’un élevage laitier. Un capital qui ne cesse de croître avec l’agrandissement et la modernisation des élevages. Pour mieux cerner l‘ampleur de cette capitalisation, une étude vient d’être réalisée par Cerfrance à la demande du Cniel. Elle repose sur 372 éleveurs laitiers spécialisés installés entre 2012 et 2015 répartis sur trois zones géographiques de plaine (Mayenne-Sarthe), de montagne (Massif central) et de montagne à forte valeur ajoutée (Savoies). « Nous avons distingué trois types d’investissements à l’installation : la valeur de l’entreprise au démarrage de l’activité, les investissements de modernisation réalisés pendant les trois premières années, et le besoin en fonds de roulement », a exposé Nathalie Velay de Cerfrance, lors d’un séminaire économique organisé par le Cniel et FranceAgriMer en novembre dernier. Le foncier n’a pu être pris en compte, ces investissements se faisant souvent à titre privé.

Un capital de reprise hors foncier de 1 070 €/1 000 l

Au démarrage de l’activité, l’actif à reprendre se situe en moyenne à 178 000 €/UMO (voir graphique).  Il est plus important en plaine (près de 500 000 €). Mais dans les Savoie, ramené au volume de lait, il atteint 1 400€/1 000 l.  La moyenne à 1 070€/1 000 l masque des écarts très importants allant de 600 à 1 700 €. Les entreprises individuelles doivent supporter un niveau d’actif par UMO plus important (224 000 €) que les sociétés (175 000 €).

La valeur patrimoniale reste dominante dans l’évaluation de l’activité. « Si la valeur économique avait été retenue, elle aurait été de 127 000 €/UMO, soit une dépréciation de 30 %, argumente Nathalie Velay. Dans les faits, on calcule la valeur patrimoniale et on essaie de trouver un compromis entre l’équité familiale, la pérennité de l’entreprise et le capital retraite. » Le cédant comme le repreneur sont « attachés à la notion de propriété », assimilée au fait de rester maître de la gouvernance. La conséquence est « une vision compartimentée entre la reprise d’un côté, et la modernisation de l’autre ».

Des investissements de modernisation soutenus

Dans les trois années qui suivent l’installation, les « jeunes » investissent beaucoup, nettement plus que leurs aînés : en moyenne 100 000 €/an soit 630 €/1 000 l contre 31 000 € (300 €/1 000 l). Un peu plus de la moitié du budget part dans le bâtiment, un tiers sur du matériel, et le restant sur du cheptel. Tout comme pour le capital de reprise, il existe de gros écarts entre exploitations (300 € à 1 300 €/1 000 l), et entre régions. Les investissements aux 1 000 litres sont plus importants dans les Savoies (près de 200 €/1 000 l de plus qu’en plaine) où le contexte économique est porteur.

Fait surprenant, « on n’observe aucune corrélation avec la taille, la productivité du travail et l'outil de travail, insiste Nathalie Devay. Il existe une très grande diversité de situations ». Autre constat : on peut mener une politique d’investissement soutenue et obtenir de bons résultats économiques, et inversement. « Plusieurs trajectoires le montrent. L’important, c’est la cohérence des choix mais il y a tout de même des seuils de vigilance. » Au-delà de 800 €/1 000 l d’investissements cumulés sur trois ans et de 120 €/1 000 l d’amortissement, on se situe dans une zone dangereuse, avec moins de 5 000 € de résultat par UMO. L’étude approfondie de 13 des 372 exploitations montre par ailleurs que dans 11 cas sur 13, le budget d’investissement a été dépassé (en moyenne de 25 %) et que la traction est le poste pour lequel les écarts à la prévision sont les plus importants (dépassement de plus de 60 % dans 70 % des cas).

40 % des jeunes « justes » en trésorerie au bout de trois ans

Le besoin en fonds de roulement (BFR) est un investissement souvent sous-estimé au moment de l’installation. Aux dires des conseillers, il est toujours plus facile de financer un tracteur que la trésorerie... D’après Cerfrance, l’entreprise doit disposer de 80 jours de chiffre d’affaires pour couvrir le BFR pour constituer ses stocks, payer ses factures, etc (en moyenne dans l'étude 85 600 € soit 180  €/1000 l). « Au moment du lancement de l’activité, Il faut se poser la question du financement du BFR de départ et, si une croissance est envisagée, celle du BFR de croissance. Sinon la trésorerie se dégrade. » Dans l’étude, au bout de trois ans, 11 % des jeunes installés en plaine et 15 % des jeunes installés en montagne se retrouvent dans le rouge, et 26 % (33 % dans les Savoie) n’ont qu’un mois de charges d’avance.

Un retour sur investissement de 17 ans

Au final, les jeunes de l’étude se retrouvent au bout de trois ans avec 1 270 € d’actif/1 000 l (soit +200 €). Une croissance qu’on observe aussi par UMO avec 225 000 € d’actif par UMO (+30 %), ceci dans tous les bassins et pour tous les volumes. Le retour sur investissement est en moyenne de 17 ans. L’endettement est important (98 €/1 000 l) et laisse peu de marge de manœuvre pour faire face à un aléa.

« Les écarts de performances économiques sont considérables dans les trois bassins : 25 000 € de résultat courant par UMO d’écart entre les plus performants et les moins performants. Mais cela ressort nettement, ce n’est pas le niveau d’actif engagé qui détermine le résultat, c’est avant tout la maîtrise technique : la valeur ajoutée sur produit conditionne 60 % des écarts », souligne Nathalie Velay. Elle recommande d’atteindre au minimum 20 % de valeur ajoutée sur produit avant d’investir.

Penser aussi l’investissement autrement

Et de porter un autre regard sur les investissements : « ne pas les voir uniquement au travers du prisme du financement : " Puis-je me l’offrir ? " », mais plutôt d’avoir une approche stratégique et financière. « Est-ce le bon investissement ? Est-il viable par rapport au coût de production ? Vivable en termes de qualité de vie ? Et transmissible ? »

Face à cette capitalisation intense et rapide des jeunes « installés », elle incite aussi à se poser la question de l’externalisation d’une partie des capitaux. Autrement dit « préférer l’usage à la propriété » pour « éviter de racheter le capital à 100 % à chaque génération ».

 

Un choc annoncé des transmissions

Avec le très net vieillissement des chefs d’exploitations, si l’on continue au rythme actuel de 1 740 installations(1) par an, il ne restera au mieux que 30 000 exploitations laitières en 2035, prédit l'Institut de l’élevage. Deux tiers des installations se font aujourd’hui en société ; elles sont plus faciles car elles permettent une reprise progressive du capital. Les installations hors cadre familial sont aussi de plus en plus fréquentes avec un tiers des installations en individuel, et 10 % de celles en société. Elles posent plus de difficultés, particulièrement en individuel pour des questions de garanties et d’apports personnels, d’accès au foncier ; elles sont même quasiment impossible dans le Nord de la France avec la présence de « pas de porte » qui accroît l'écart entre valeur de reprise et valeur économique.

(1) 1 290 + 190 installés de moins de 40 ans + 260 conjoints.
 

Voir aussi: Les coopératives laitières mobilisées sur le renouvellement des générations

 

Des solutions de financement sous-utilisées

Une trentaine de leviers ont été recensés par l’Institut de l’élevage(1) à la demande de FranceAgriMer. Il reste à booster leur utilisation.

Développer et diffuser des solutions innovantes pour permettre l’installation sur des structures qui demandent de plus en plus de capital par UMO : tel est l’enjeu de cette étude. Une trentaine de solutions, pas toutes strictement financières, ont été identifiées. Certaines ont été empruntées à d’autres pays ou secteurs. Elles sont détaillées sur une vingtaine de fiches, présentant leurs intérêts et limites ainsi que des recommandations disponibles sur le site de FranceAgriMer.

Ces solutions ont été regroupées en six thèmes :

1 - Limitation du capital : reprise ‘gagnant-gagnant’, location des bâtiments, mise en commun de matériel, crédit-bail ou leasing, délégation des génisses, location de cheptel.

2 - Progressivité du parcours : reprise progressive des parts sociales, ou du capital via le salariat.

3 - Adaptation des outils financiers : prêt familial, in fine, à taux zéro (par les collectivités régionales), de carrière ; différentes solutions d’achat progressif au cédant, épargne défiscalisée du cédant (DUET)…

4 - Financement du foncier : portage temporaire, achat par un tiers.

5 - Portage du capital : formes sociétaires coopératives, share farming (des pays anglosaxons), société de fait (du secteur de la pêche), fonds d’investissement.

6 - Sécurisation du projet : fonds de garanties, prêts flexibles, dispositifs de sécurisation du prix du lait.

« Les solutions existent, mais elles sont peu connues et donc peu utilisées », souligne Emmanuel Béguin, de l’Institut de l’élevage. Il faut commencer par harmoniser les dispositifs proposés par les régions… Une partie des solutions (formes sociétaires coopératives, société de fait avec copropriété, reprise progressive via une phase de salariat…) nécessitent aussi un nouveau cadre réglementaire. Mais pour certaines, comme les fonds d’investissements ou les formes sociétaires coopératives qui dissocient le portage du capital du travail, elles impliquent avant tout une nouvelle conception du métier d’éleveur. « Il faut accepter de ne pas posséder l’ensemble de l’outil, au moins temporairement. »

 

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