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« Avec le digestat, on gagne 20 à 40 % d’azote »

Bien utilisé, le digestat contribue à réduire fortement la facture des engrais minéraux et donc à rentabiliser le projet de méthanisation, tout en minimisant l’impact des effluents sur l’environnement.

Lors du processus de méthanisation, les éléments fertilisants présents dans les matières premières sont conservés. Le digestat n’en reste pas moins une nouvelle source de matière organique. La digestion anaérobie modifie les équilibres chimiques et par conséquent la manière de le valoriser. Une grande partie de l’azote organique est minéralisée sous forme ammoniacale, rapidement assimilable. Dans les installations de méthanisation à la ferme, le digestat qui sort du méthaniseur fait souvent l’objet d’une séparation de phases.

En France, quelque 60 à 70 % des sites sont équipés d’un séparateur de phases, selon Grégory Vrignaud, consultant en méthanisation (ACE méthanisation). Il recommande fortement ce post-traitement qui permet de disposer d’un digestat solide (DS) et d’un digestat liquide (DL) aux caractéristiques très différentes. « À partir d’un fumier qui a, à la fois, un effet amendant et un effet fertilisant, on obtient un produit solide amendant et un produit liquide qui est un engrais. Sur une ferme laitière qui a des prairies et du maïs ensilage, cela permet de gérer différemment avec ces deux produits en les amenant au plus près des besoins de la plante et ainsi de gagner en autonomie d’azote. »

« La même rapidité d’action que l’ammonitrate »

Le digestat solide est considéré comme un effluent de type I (si son C/N est supérieur à 8), ce qui donne davantage de souplesse pour son épandage. © B. Griffoul
Le digestat solide est considéré comme un effluent de type I (si son C/N est supérieur à 8), ce qui donne davantage de souplesse pour son épandage. © B. Griffoul

 

Le digestat solide est plus concentré en phosphore que la partie liquide. L’azote est majoritairement (75 %) sous forme organique à effet lent. Il est également très riche en matière organique stable. Il se pilote comme du fumier. Le digestat liquide, dont au moins 50 % de l’azote est sous forme ammoniacale, s’utilise comme du lisier de porc. « On recherche la même rapidité d’action qu’avec de l’ammonitrate, précise Grégory Vrignaud. Classiquement, sur maïs, on apporte 20 à 30 tonnes par hectare de fumier et un complément d’urée pour assurer le coup vis-à-vis de la minéralisation. Avec la méthanisation, il n’y a plus besoin de ce filet de sécurité parce qu’on est sûr que le digestat liquide sera valorisé. En travaillant ainsi, on arrive à fertiliser avec très peu d’azote. » L’efficacité azote du DL au printemps est de l’ordre de 60 % et celle du DS d’environ 25 %. Pour le phosphore et la potasse, le digestat a la même efficacité que les engrais minéraux. Le pH des digestats issus de la méthanisation agricole se situe entre 7,8 et 8,2. Aucun risque donc d’acidifier les sols

La composition chimique des digestats varie beaucoup selon le type et les proportions des matières qui alimentent le digesteur. Des analyses au plus près des épandages s’imposent pour connaître avec précision les valeurs fertilisantes. Selon les indications de Grégory Vrignaud, pour un digestat issu de la méthanisation agricole comportant 60 à 80 % d’effluents d’élevage, un peu de matière végétale et une petite part de déchets agroalimentaires, les valeurs du DS (par tonne de matière brute) se situent autour de 4 à 5 unités pour l’azote (dont 1,5 à 2 sous forme ammoniacale), 2,5 à 3,5 pour le phosphore et 6 pour la potasse. Pour le DL (par tonne), on peut retenir 4 à 5 unités d’azote (dont 2,5 à 3 sous forme ammoniacale), 1,5 à 2 de phosphore et 6 à 7 de potasse.

Éviter la volatilisation de l’azote ammoniacal

L’épandage de digestat liquide avec un enfouisseur sur dérobée avant sa destruction pour implanter un maïs permet de limiter au maximum le risque de volatilisation de l’azote. © G. Vrignaud
L’épandage de digestat liquide avec un enfouisseur sur dérobée avant sa destruction pour implanter un maïs permet de limiter au maximum le risque de volatilisation de l’azote. © G. Vrignaud

Si l’amendement solide peut être stocké et épandu comme du fumier (épandeur à hérissons verticaux ou table d’épandage), l’enjeu principal pour bien valoriser le digestat liquide (ou le digestat brut s’il n’y a pas séparation de phases) sera d’éviter la volatilisation de l’azote ammoniacal, d’autant que son pH élevé accentue le risque. Les moyens pour limiter le contact avec l’air sont connus : couverture des fosses, vigilance sur les conditions d’épandage (absence de vent, températures basses, hygrométrie élevée…) et modalités d’épandage. La buse à palette est clairement à proscrire. Les enfouisseurs à disques ou à dents, qui réduisent au maximum les pertes, sont peu usités en élevage. « La rampe à pendillards est un bon compromis entre les pertes d’azote, la polyvalence du matériel, la capacité de travail et le coût d’investissement, analyse Grégory Vrignaud. Avant maïs, il est conseillé de déchaumer juste après épandage du digestat ou de l’épandre sur le couvert végétal avant sa destruction. » En cas d’apport sur sol nu, il doit être enfoui dans les six heures par un travail du sol.

Des petites doses au plus près des besoins

Le broyage des matières premières en amont de la méthanisation qui permet un meilleur contact avec le sol et une intégration plus rapide du digestat, la minéralisation de l’azote organique et enfin la modification des pratiques d’épandage, tout cela contribue à « améliorer de 20 à 40 % la valorisation de l’azote organique que l’agriculteur produit », affirme le consultant en méthanisation. Le principe consiste en effet à « apporter des petites doses de digestat liquide à des périodes plus proches des besoins ».

Gregory Vrignaud, consultant. « Les prairies bénéficient de restitutions importantes en P et K. Il est conseillé de réserver le digestat solide aux parcelles d’export : maïs ensilage, paille. » © G. Vrignaud
Gregory Vrignaud, consultant. « Les prairies bénéficient de restitutions importantes en P et K. Il est conseillé de réserver le digestat solide aux parcelles d’export : maïs ensilage, paille. » © G. Vrignaud

 

Concrètement, il préconise d’épandre sur prairies du DL en sortie d’hiver et au printemps : 15 à 25 m3/ha avant les fauches, 10 à 15 m3/ha vingt jours au moins avant une pâture. Un apport de 25 m3 correspond à 80 unités d’azote efficace (120 au total). Le DS n’est pas recommandé sur prairie sauf à l’implantation (10 à 15 t/ha). Sur maïs, il recommande un apport de DS (10 à 15 t/ha) sur les couverts végétaux en sortie d’hiver et un épandage de DL (20 à 35 m3 par ha selon l’objectif de rendement) avant le semis ou sur la culture en place (3-4 feuilles) et de « privilégier une plus faible dose partout et un complément si besoin en urée ». Avec un C/N bas, le DL risque peu de provoquer une faim d’azote, contrairement au fumier voire au lisier de bovin. Et sur céréales à paille ? S’il en reste suffisamment, ce qui n’est pas toujours le cas dans une exploitation qui méthanise principalement ses effluents, le digestat liquide peut remplacer efficacement – en totalité (2 ou 3 apports) ou partiellement – les apports d’azote minéral. Le DL peut aussi être utilisé à l’automne pour l’implantation de colza ou de cultures intermédiaires.

Une gestion globale de la matière organique

Dans le digestat, la perte de carbone transformé en biogaz est compensée par une moindre dégradation du carbone des effluents qui auraient été stockés plusieurs mois à l’air libre. © G. Vrignaud
Dans le digestat, la perte de carbone transformé en biogaz est compensée par une moindre dégradation du carbone des effluents qui auraient été stockés plusieurs mois à l’air libre. © G. Vrignaud

Le digestat n’appauvrit pas le sol en matière organique. Les cultures énergétiques permettent d’en restituer.

Plusieurs études conduites sur la durée ont montré que le digestat n’appauvrit pas le sol en matière organique à condition que la fraction solide ne soit pas exportée. « La méthanisation ne change pas la courbe d’évolution de la matière organique dans le sol. Si elle est positive, elle le reste, si elle négative, elle continue à se dégrader, précise Grégory Vrignaud. C’est d’abord un problème de gestion de la matière organique sur l’exploitation. » Pendant le processus de méthanisation, les deux tiers environ de la matière organique fraîche (ou labile), facilement dégradable, sont transformés en biogaz. Le digestat contient donc essentiellement de la matière organique stable (comme celle du compost) qui n’est pas dégradée. Elle contribue à entretenir le stock du sol mais elle est moins accessible comme source de nutriments pour la vie du sol.

Le digestat liquide issu d’effluents d’élevage est encore bien pourvu en carbone facilement dégradable. Le digestat solide se situe entre le fumier frais et le compost. « Dans nos systèmes où on stocke le fumier en bout de champ, il y a de grosses pertes de carbone et d’azote. En méthanisant du fumier frais et en stockant le digestat dans une fosse couverte, il n’y a pas de perte », ajoute-t-il. La méthanisation contribue aussi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au lieu d’être relâché dans l’atmosphère pendant le stockage ou le compostage, le carbone est capté sous forme d’énergie.

Plus de restitution avec les Cive qu'avec les Cipan

Les cultures intermédiaires à vocation énergétiques (Cive), complémentaires de la méthanisation, permettent de produire davantage de biogaz et de digestat et sont un excellent moyen de restituer de la matière organique fraîche au sol. Notamment les Cive d’hiver (seigle, avoine, triticale, féverole, vesce). Fertilisée à l’implantation avec du digestat, elles produisent une masse végétale deux fois supérieure aux Cipan. Même en récoltant la partie aérienne, la restitution des chaumes et racines (qui représentent 2,5 fois ce qui est récolté) ramène davantage de carbone au sol que les Cipan (cultures intermédiaires piège à nitrates). « Associée à des Cive, à du travail du sol simplifié et à d’autres pratiques vertueuses, et à condition de travailler avec beaucoup d'effluents, la méthanisation permet de développer des systèmes autonomes et performants en énergie, analyse Grégory Vrignaud. On se rapproche du système idéal avec lequel on répond aux attentes sociétales. »

Gérer les risques sanitaires en collectif

Sur le plan sanitaire, la méthanisation a plutôt un effet positif. « Les concentrations de nombreux pathogènes diminuent et restent identiques à celles des effluents pour les plus résistants », a analysé l’association Aile dans une récente étude bibliographique. Mais cet abattement dépend de nombreux facteurs. La question se pose pour les unités collectives qui mettent en commun des effluents. « Deux maladies préoccupent les vétérinaires contactés : la paratuberculose et le botulisme », poursuit Aile. L’hygiénisation des digestats, voire des effluents, en amont, désormais obligatoire pour les unités regroupant plus d’une dizaine d’exploitations et/ou plus de 30 000 tonnes d’effluents d’élevage, n’est « pas du tout rentable, affirme Grégory Vrignaud. Ce seuil de dix élevages est une vraie difficulté pour des exploitations de taille moyenne, alors que pour elles ce modèle collectif de méthanisation est particulièrement pertinent. En élevage laitier, avec un groupe qui se connaît bien et travaille en toute transparence, les questions sanitaires ne sont pas véritablement un problème ».

                     Le digestat mieux valorisé avec un automoteur

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