Lait : l’obligation de l’apport total aux OP est-elle un frein ou un atout pour les producteurs ?
Les producteurs de lait adhérents d’une organisation de producteurs (OP) doivent lui apporter tout leur volume de lait. Cette obligation bloque certains éleveurs et se montre contraignante pour les OP. Mais elle est aussi le socle pour constituer des OP fortes face aux industriels.
Les producteurs de lait adhérents d’une organisation de producteurs (OP) doivent lui apporter tout leur volume de lait. Cette obligation bloque certains éleveurs et se montre contraignante pour les OP. Mais elle est aussi le socle pour constituer des OP fortes face aux industriels.
En 2024 et début 2025, quand la conjoncture tirait encore le prix du lait vers le haut et que le prix de nos voisins européens était bien meilleur qu’en France, il était tentant de vouloir vendre une partie de son lait, réalisé en plus de son contrat avec son acheteur habituel, sur des marchés plus porteurs.
Seulement voilà, pour les adhérents à une organisation de producteurs (OP), en l’état actuel de la réglementation française sur les OP, cela n’est possible que si l’OP a des partenariats avec plusieurs acheteurs.
La FNPL veut plus de liberté pour les producteurs
Or, en France, beaucoup d’OP sont encore monoacheteur, comme les OP liées à Lactalis adhérentes de l’Unell, certaines OP partenaires de Savencia, de Danone… « Dans une OP qui n’a qu’un accord-cadre avec Lactalis, les producteurs ne doivent pas dépasser leur volume contractuel sous peine de payer une pénalité élevée. Et s’ils veulent vendre du lait supplémentaire ailleurs, ils sont bloqués à cause de la loi française qui oblige le producteur à apporter la totalité de son volume à une seule OP », développe Yohann Barbe, président de la FNPL.
« Nous proposons donc une modification de la loi française pour que les OP aient le choix entre l’apport total obligatoire - qui a un intérêt quand l’OP est multiacheteurs - et l’apport partiel. Cette demande revient à appliquer strictement le droit européen. En effet, l’obligation d’apport total est une spécificité française, en dérogation au droit européen », expose-t-il. « Nous défendons cette possibilité pour apporter davantage de liberté aux producteurs. Et pour éviter la perte de leur agrément à certaines OP qui n’arriveraient pas à contrôler l’apport total. » Une OP qui n’obligerait pas à l’apport total pourrait « se contenter d’une déclaration sur l’honneur de ses adhérents pour connaître les volumes de lait qu’elle représente en négociation ».
Bien que séduisante présentée comme cela, seule la FNPL et quelques OP demandent au ministère de l’Agriculture de mettre fin à l’obligation de l’apport total. Les autres syndicats de producteurs, La coopération laitière et la Fnil n’y sont pas favorables. « Cette obligation apporte de fait une garantie d’approvisionnement aux industriels, ce qui explique que les industriels privés ne défendent pas cette proposition », commente Yohann Barbe.
Coordination rurale et Confédération paysanne défendent des OP multi-acheteurs
Du côté des syndicats de producteurs, la Coordination rurale et la Confédération paysanne sont résolument contre cet assouplissement.
« La Coordination rurale est en faveur des OP transversales multiacheteurs et plaide pour l’apport total, plante Joseph Martin, de la Coordination rurale. Grâce à l’apport total, une OP sait où elle va, peut massifier son offre et peser face aux industriels. » Selon lui, les éleveurs qui demandent de la souplesse ont les moyens d’aller chercher d’autres débouchés et de se défendre seuls. « Mais ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres qui ont besoin d’un collectif fort. » Il avoue que le chemin n’est pas simple et que « les OP FMB n’ont pas encore atteint leur objectif final, c’est-à-dire un contrat qui lie l’OP à Lactalis et non plus les producteurs directement à Lactalis. L’aboutissement de FMB sera quand elle deviendra une OP commerciale (NDLR : l’OP devient un intermédiaire commercial qui achète et vend le lait). »
La Confédération paysanne estime aussi que « très peu d’éleveurs sont en mesure de saisir des opportunités de prix intéressant en remplissant un camion destiné à d’autres acheteurs que leur laiterie habituelle. La fin de l’apport total n’apporterait une liberté qu’à certains éleveurs, au détriment des OP, vue que la maîtrise de l’offre lui échapperait », souligne Raphaël Cotty, responsable de la Commission lait du syndicat. Il ajoute : « Pour des OP inféodées à leur laiterie historique, ce besoin d’assouplissement peut se comprendre. C’est pour cela que nous défendons depuis le début des OP transversales. »
L’Unell, association d’OP Lactalis, ne veut pas faire le contrôleur
Du côté des OP, toutes n’ont pas la même vision.
« Pour l’Unell, le contrôle de l’apport total est une contrainte administrative, qui demande du temps, de l’énergie et donc de l’argent aux OP. On devient contrôleur, pour zéro plus-value aux OP et à leurs adhérents », fustige Yohann Serreau, président de l’Unell, une association de onze OP ne représentant que des producteurs sous-contrat avec Lactalis.
Trois-quarts des OP de l’Unell ont déjà été contrôlées par FranceAgriMer (FAM). « Cela prend des jours à une OP. FranceAgriMer nous a fait changer nos procédures : échantillonnage, méthode de contrôle et source de la donnée. Heureusement, FAM nous aide à nous mettre en conformité. » L’Unell voudrait que chaque OP puisse décider si elle veut être en apport total ou pas, via un vote des adhérents en assemblée générale. « Et qu’une déclaration sur l’honneur des adhérents suffise, qu’il n’y ait pas d’obligation à contrôler leurs déclarations », plaide Yohann Serreau.
France OP lait et Poplait veulent des OP puissantes
À l’inverse, Poplait, association de neuf OP laitières du Grand Ouest, milite pour des OP qui pèsent face aux industriels et structurées comme en filière fruits et légumes.
« Le cadre européen demande que les OP puissent apporter des garanties sur la connaissance de l’offre, sans exiger l’apport total, sauf pour le secteur des fruits et légumes. L’apport total obligatoire est lié au fait que les OP fruits et légumes ont droit aux programmes opérationnels, qui permettent de financer des actions en vue d’améliorer la valorisation des produits agricoles », expose Marie-Alix Momot, directrice de Poplait. Et du coup « qu’il y ait apport total ou pas, les OP doivent contrôler les volumes apportés par les adhérents si elles veulent vraiment connaître l’offre pour pouvoir négocier et construire des projets. »
Loïc Adam, président de France OP Lait (association de promotion et de défense des OP), va dans le même sens : « L’apport total obligatoire est important pour avoir des adhérents impliqués dans le collectif. C’est essentiel pour travailler sérieusement les débouchés. En effet, si une année un producteur peut apporter 100 % de son lait et une autre année seulement 70 %, l’OP ne peut pas passer d’accords durables avec des industriels. Nous défendons des OP fortes et donc structurées. »
Pour des OP qui diversifient les débouchés
Selon lui, « l’argument de la liberté du producteur pouvait tenir il y a dix ans quand les OP laitières étaient quasiment toutes monoacheteur. Et quand il y avait trop d’excédents de lait en France. Aujourd’hui, de plus en plus d’OP évoluent pour devenir pluriacheteurs. Et la concurrence entre laiteries pour attirer des producteurs et des volumes offre plus de possibilités de négociation aux éleveurs ». Il ajoute que si des adhérents ne veulent pas respecter l’apport total, « c’est à l’OP d’évoluer pour pouvoir accompagner les projets de leurs adhérents, en négociant avec d’autres acheteurs qui intéressent leurs adhérents. De même, les éleveurs devraient pouvoir monter un projet de lait différencié où qu’ils soient. C’est à l’OP de trouver un débouché pour leurs laits spécifiques ».
Le saviez-vous ?
Quand on parle d’apport total, il s’agit de volumes livrables. « Sont exclus le lait pour les veaux et les dons de lait, et quelques dérogations pour la vente directe et la transformation à la ferme », explique Marie-Alix Momot, juriste et directrice de l’association d’OP Poplait.
Mise en garde
« Que la règle soit l’apport total ou pas, la principale contrainte qui pourrait gêner une exploitation souhaitant bénéficier de deux contrats de vente de lait, ce sont les clauses dans les contrats qui conduisent à une exclusivité déguisée. Par exemple, quand la clause interdit la présence dans le tank à lait d’un lait destiné à un autre acheteur », évoque Marie-Alix Momot.
Les coopératives sont quasiment toutes en apport total
Les coopératives sont concernées par ce débat étant donné qu’elles peuvent se faire reconnaître OP. « Le droit coopératif agricole français permet aux adhérents de choisir s’ils optent pour l’apport total ou partiel à leur coopérative, rappelle Carole Humbert, directrice de La coopération laitière. Une fois votée, la règle est la même pour tous les adhérents. Dans les faits, quasiment toutes les coopératives laitières sont en apport total en France. Les exceptions concernent des petites coopératives sur un même secteur de collecte. L’apport total les fragiliserait en cas de regroupements d’exploitations.
Ailleurs en Europe, les grandes coopératives laitières sont aussi en apport total. Ce choix s’est imposé pour bien dimensionner les outils de collecte et transformation, et pour planifier et développer l’activité tout en améliorant la valorisation. En apport partiel, ce n’est pas impossible, mais cela complique les choses. Nous trouvons que c’est une régression. Et cela ne permettrait pas d’organiser des plans de maîtrise de la production comme celui mis en place pendant le Covid, ni de prétendre à des programmes opérationnels.
Enfin, le comportement individualiste de certains producteurs peut pénaliser la coopérative et les autres éleveurs adhérents. La mission des OP définie par la loi est de structurer les éleveurs, de massifier pour pouvoir négocier. L’apport total répond à cet objectif. »