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« L’agroforesterie a été notre fil conducteur durant 40 ans »

À l’EARL du Bois, dans l’Orne, Philippe et Marie-Claire Derouault ont relevé le défi de valoriser le territoire, préserver les paysages bocagers, transmettre leur savoir-faire et leur exploitation laitière et cidricole. Un parcours qui leur a valu de remporter le deuxième prix au concours général agricole des pratiques agroécologiques 2023.

Philippe et Marie-Claire Derouault. « Notre métier nous a plu. Nous l’avons envisagé de façon à contribuer à transmettre un environnement de qualité aux ...
Philippe et Marie-Claire Derouault. « Notre métier nous a plu. Nous l’avons envisagé de façon à contribuer à transmettre un environnement de qualité aux générations d’après. »
© F. Mechekour

L’exploitation de Philippe et Marie-Claire Derouault est enracinée à Juvigny-Val-d’Andaine depuis plus d’un siècle. Dans une région bocagère située à l’ouest du département de l’Orne. Un secteur réputé pour son cidre, son poiré, l'AOC calvados du domfrontais et le camembert AOP. « Mais où les cultures, en particulier celle du maïs, gagnent du terrain au détriment des prairies et des haies », observe Mariette Petitjean, chargée de mission au parc naturel régional Normandie-Maine. Cela n’a pas été le cas à l’EARL du Bois, jusqu’au départ en retraite de Philippe et Marie-Claire fin 2022. Le couple a fait en sorte que ce ne le soit pas non plus après. « Nous avons cherché un repreneur qui garde l’esprit de notre exploitation. Nous l’avons trouvé ! »

Pendant près de quarante ans, ils ont fait évoluer leur ferme laitière et l’activité cidricole, qui reprèsente 30 % du chiffre d’affaires, tout en maintenant le cap sur une de leurs priorités : contribuer à préserver l’environnement. Ils se sont appuyés pour cela sur des convictions fortes qui dépassent le seul périmètre de leur exploitation. Une trajectoire saluée en 2023 par le jury du concours général agricole des pratiques agroécologiques qui leur a attribué le deuxième prix du concours national dans la catégorie agroforesterie. Le jury a décortiqué la ferme à partir de fiches de notation en lien avec l’agroforesterie. « Ils ont obtenu un score de 58 points sur un total de 60 possibles, c’est vraiment très bien », rapporte Mariette Petitjean.

 

 
Les 45 vaches du troupeau ont produit 4 700 litres de lait à 45 de TB et 36,4 de TP en 2022. Leur ration se compose exclusivement d’herbe pâturée ou récoltée en foin ...
Les 45 vaches du troupeau ont produit 4 700 litres de lait à 45 de TB et 36,4 de TP en 2022. Leur ration se compose exclusivement d’herbe pâturée ou récoltée en foin et en ensilage. Elles ne consomment aucun concentré. © F. Mechekour

Valorisation en bois énergie, bois d’œuvre, copeaux…

 

 
Les six hectares de vergers sont, selon leur localisation, pâturés par les génisses, les mères nourrices, les vaches taries ou traites.
Les six hectares de vergers sont, selon leur localisation, pâturés par les génisses, les mères nourrices, les vaches taries ou traites. © P.-M.-C. Derouault

« Ce prix récompense le travail de toute une vie », souligne Philippe sur un ton où la fierté et la modestie se côtoient. Et quel travail ! Philippe Derouault a succédé à son père en 1984. À l’époque, le système était à la fois classique (maïs et herbe). Une partie des arbres était présente.

Philippe et Marie-Claire, qui l’a rejoint sur l’exploitation en 1990, ont planté 6 hectares de vergers hautes tiges (250 pommiers et 200 poiriers) et 1,5 km de haies sur talus. Des haies avec de nombreuses essences : chêne, sureau, frêne, châtaignier, érable champêtre, aulne, saule traité en rosses pour récolter le bois.

 

 
Les copeaux produits sur l’exploitation sont en partie utilisés comme litière dans les logettes.
Les copeaux produits sur l’exploitation sont en partie utilisés comme litière dans les logettes. © P.-M.-C. Derouault

Selon leurs caractéristiques, ces essences sont valorisées en bois énergie (60 stères par an dont la moitié vendue) et en bois d’œuvre. Egalement en copeaux (50 à 100 m3/an) utilisés comme litière pour les 70 logettes du troupeau laitier et faire un paillot pour les animaux logés en extérieur. L’excédent est vendu pour protéger des plantations de haies. « Les haies contribuent aussi au bien-être de nos vaches. En diminuant le stress thermique en période de fortes chaleurs, elles limitent les baisses de production laitière. »

Une rentabilité difficile à évaluer

Malgré ces nombreux atouts, Philippe et Marie-Claire constatent avec regret le recul des haies et prairies dans la région. « La rentabilité des haies est difficile à évaluer précisément. On ne peut pas forcer un paysan à avoir des arbres et des haies. Il n’y a pas d’obligation de résultat. Si vous n’en n’avez pas envie, la haie ne pourra pas vivre. » Philippe reconnaît que la bonne gestion d’une haie nécessite des connaissances et du temps. « L’entretien d’une haie ne s’improvise pas. Nous passions chaque année l’équivalent de deux semaines de travail à deux pour les entretenir. Il est vrai que plus les troupeaux s’agrandissent, plus c’est compliqué de trouver du temps pour entretenir et valoriser des haies. »

La réglementation peut aussi parfois mettre des bâtons dans les roues. « La taille des haies est nécessaire à leur survie. Une haie, ça se taille quand elle est accessible. Une loi interdit d’intervenir durant la période de nidification des oiseaux entre le 16 mars et le 16 août. Mais au 16 mars, quand l’hiver a été très pluvieux, on ne peut pas accéder dans les champs. C’est trop strict pour permettre à des gens qui ont beaucoup d’arbres à entretenir de le faire dans de bonnes conditions sans abîmer les prairies. Comme cette date limite est trop contraignante, certaines personnes préfèrent raser leurs haies. Il faudrait décaler cette date de deux semaines », argumente Philippe.

Une réglementation pas toujours adaptée

 

 
Une dizaine de chênes centenaires, deux châtaigniers… ont été utilisés pour construire leur future maison avec ses dépendances. Avec à la clé une économie de ...
Une dizaine de chênes centenaires, deux châtaigniers… ont été utilisés pour construire leur future maison avec ses dépendances. Avec à la clé une économie de plusieurs milliers d’euros sur le coût de la matière première. © F. Mechekour

L’incompréhension est une autre difficulté à laquelle certaines personnes se heurtent parfois. « On entend régulièrement dire que des gens qui ne connaissent pas le métier sont offusqués et prennent des photos parce qu’une haie a été coupée à ras. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne va pas repousser. Ce qui peut l’empêcher de repousser, c’est quand vous coupez une haie et que vous retaillez les jeunes repousses de printemps avec une épareuse. »

Désormais, Philippe et Marie-Claire construisent une maison avec des dépendances pour profiter de leur retraite. Ils utilisent pour cela du bois prélevé sur leur ferme et des pierres locales. « Nous avons utilisé une dizaine de chênes, deux châtaigniers et deux peupliers qui étaient arrivés à maturité ou qui étaient tombés lors d’une tempête. Quelque part, nous leur offrons une seconde vie. Et nous avons anticipé en plantant plus d’arbres que ceux que nous avons utilisés. » À l’EARL du Bois, le renouvellement des générations s’applique aussi aux arbres et aux haies.

« Le cadre de vie et le système nous ont séduits »

Le choix d’un système tout herbe et bio depuis 2009 offrant un cadre de vie très agréable a été un facteur déterminant dans la transmission de leur exploitation à un tiers le 1er janvier.

 

 
Yoann Quiniou et sa compagne Jeanne. « Le maillage bocager et la beauté du site a beaucoup joué dans le choix de cette exploitation parce que nous voulions vivre dans un ...
Yoann Quiniou et sa compagne Jeanne. « Le maillage bocager et la beauté du site a beaucoup joué dans le choix de cette exploitation parce que nous voulions vivre dans un cadre qui nous plaît. » © F. Mechekour

« La beauté du site et des paysages, permise par le maillage bocager, est nécessaire pour se sentir bien où l’on vit. C’est très important », souligne Yoann Quiniou, sous le regard approbateur de Jeanne sa compagne. Après un an de parrainage, ce jeune ligérien de 31 ans a repris le flambeau de l’EARL du Bois. Jeanne sera bientôt salariée à mi-temps sur l’exploitation pour continuer à valoriser l’atelier cidricole. Non issu du milieu agricole, Yoann a suivi une formation d’ingénieur agricole. Puis, il a été directeur d’exploitation en lycée agricole et salarié dans plusieurs exploitations laitières bio avant de s’installer.

Des conditions climatiques plus favorables

Les conditions pédoclimatiques ont également pesé dans le choix de Yoann. « En Loire-Atlantique, les terres sont superficielles. Avec le changement climatique, les étés sont rudes pour les systèmes herbagers », expose-t-il. À l’instar de Philippe Derouault lorsqu’il a succédé à son père, Yoann va apporter sa touche personnelle à l’exploitation. Les modifications concerneront essentiellement la conduite du troupeau. « Je vais grouper les vêlages au printemps. J’envisage de passer à la monotraite au moins en automne pour dégager du temps pour m’occuper du verger. Avant de me lancer, il faut d’abord que je mesure son impact économique. »

Fiche élevage

• 2 UMO

• 60 ha dont 53 ha de prairies et 7 ha de vergers hautes tiges

• 8 km de haies

• 130 m/ha de densité bocagère (85 m pour la moyenne locale)

• 45 vaches

• 230 000 l de lait bio livrés

Au 31 décembre 2022

Ce qui a séduit le jury du concours général agricole des pratiques agroécologiques dans la catégorie agroforesterie

• Système tout herbe avec vergers hautes tiges pâturés.

• Cycle de la matière très intéressant et économe : pâturage/déjection/croissance de l’herbe.

• Persistance de haies avec de très vieux arbres (châtaigniers en particulier).

• Grande diversité d’arbres présents sous différentes formes (vergers, ripisylve, rosses ...) avec de nombreuses essences ayant une véritable plus-value pour le système : bois énergie, bois d’œuvre, litière, fourrages, fruits, protection du bétail, réservoir de biodiversité, etc.

• Gestion agroécologique du système avec maintien et renouvellement des prairies permanentes.

• Gestion durable des haies : coupe d’un linéaire chaque hiver avec une rotation globale sur 15 ans.

• Un fort engagement de transmission des savoir-faire, notamment la taille des rosses (terme local pour désigner des trognes).

• Des productions agricoles valorisées sous labels de qualité en circuit court pour la partie cidricole (AOC calvados, cidre et poiré AOP).

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