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La pomme de terre guinéenne subit le Covid-19

En Guinée, la crise du coronavirus met à mal la filière de la pomme de terre, fleuron de son agriculture de rente. Une partie de la récolte a pourri faute d’être commercialisée. Les méventes se répercutent sur le financement de la prochaine campagne.

La campagne 2020 qui restera dans les esprits de Guinéens comme celle du coronavirus, s’avère catastrophique. Non que la récolte n’ait été bonne, au contraire, mais elle n’a pas été vendue. Seulement 52 % des volumes ont pu être sauvés grâce au stockage dans des entrepôts réfrigérés à grands frais. Etranglés par les crédits souscrits pour cette campagne, la Fédération des paysans du Fouta Djallon (FPFD) et ses producteurs cherchent des solutions pour financer la prochaine. Pour les 9 158 producteurs de pommes de terre de la FPFD, les méventes sont estimées à plus de deux millions d’euros. Un crève-cœur, pour Rabiatou Bah, responsable de la commercialisation. Le premier objectif de l’organisation paysanne étant d’assurer un revenu décent à ses membres.

Une culture qui améliore le niveau de vie

La culture de la pomme de terre est relativement récente en Guinée. Elle s’est développée au début des années 1990, à l’initiative de la Fédération des Paysans du Fouta Djallon (FPFD) et avec le soutien du gouvernement. Pour permettre à la nouvelle culture de s’établir sur le marché national, les importations ont été bloquées durant six ans, de février à juin, la période principale de commercialisation. L’organisation paysanne, appuyée depuis 1995 par Agriculteurs français et développement international (Afdi) Hauts-de-France, a mis à profit ce coup de pouce pour structurer la filière, perfectionner ses modes de production, organiser l’approvisionnement en semences de qualité et développer le conseil à l’exploitation familiale. Depuis 1999, sa marque « Belle de Guinée » tient tête aux pommes de terre importées à bas prix, non seulement sur le marché national guinéen mais aussi sur ceux d’Afrique de l’Ouest.

Tête de rotation dans les bas-fonds

Les sols profonds des hauts plateaux de la région montagneuse du Fouta Djallon au nord du pays et son climat tempéré (23°C en moyenne), sont particulièrement propices au tubercule. Il y est cultivé dans les bas-fonds et les plaines. Trois saisons rythment l’activité des producteurs et surtout des productrices, car il s’agit en majorité de femmes organisées dans des groupements villageois. En saison sèche, les plants de pomme de terre sont mis en terre entre novembre et décembre dans les bas-fonds. Un mois et demi plus tard, l’arachide est semée sur les billons et le maïs entre les billons. Les plants bénéficient ainsi de l’irrigation et profitent des effets de la fumure du tubercule. Ensuite, en saison des pluies, le riz prend le relais dans les parcelles, avant de céder sa place de nouveau à la pomme de terre. Désherbage et rebutage s’effectuent presque toujours manuellement, tout comme la collecte. En plaine, les surfaces étant plus grandes, le recours à la mécanisation pour la préparation du sol et les semis est fréquent. La récolte reste, elle, toujours manuelle, permettant ainsi à l’agriculture d’être source d’emplois saisonniers pour de nombreuses personnes, et en particulier de nombreuses femmes. Les parcelles ont une superficie de 0,5 à 2 ha en moyenne. La principale difficulté est d’acheminer semences, engrais et petits outillages dans des villages reculés, souvent difficiles d’accès. Un défi qu’a relevé la FPFD, qui a installé des magasins de stockage et prodigue à ses membres conseils et formations. L’organisation paysanne organise également le transport vers Conakry et les autres grandes villes.

La récolte pourrit faute d’être commercialisée

La campagne agricole de cette saison sèche avait pourtant bien commencé. 20 % de la production saisonnière a pu être récoltée et vendue en janvier au prix de 4 750 francs guinéens soit 0,43 euro le kilo, mais en mars, au plus fort de la période de commercialisation, les mesures de lutte contre la pandémie du Covid-19 se sont abattues : marchés et frontières fermés, déplacements entravés. Il n’était plus possible de vendre. La seule issue était de stocker le maximum avec le défi de maintenir la température des pommes de terre entreposées entre 8 et 14°C par 40°C à l’ombre. Ce que la FPFD a fait à grands frais pour 4 000 tonnes, tandis que les producteurs tentaient d’écouler localement et à perte ce qui pouvait l’être. En mai, le prix de vente de la pomme de terre était tombé à 2 750 francs guinéens (0,25 euro). Pour financer les campagnes agricoles, essentiellement les achats de semences et d’intrants de ses membres, la FPFD souscrit des emprunts auprès de banques, qui sont remboursés sur le produit de la campagne. Jusqu’à la crise, ce mécanisme avait fait ses preuves. Mais pour cette campagne, faute de vente, il n’y a pas de recettes. Les remboursements en revanche sont attendus. Prise à la gorge, la FPFD, qui compte 60 salariés, joue sa survie et les producteurs se demandent comment financer la prochaine campagne.

Laurence Monnot

 

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Les pommes de terre réfrigérées ont pu être écoulées

« Interview de Rabiatou Bah, Responsable de la commercialisation de la FPFD »

 

Trois mois après le début de la crise, les ventes sur les marchés ont-elles repris ?

Oui, elles ont enfin repris à partir de la mi-mai et 76 % des 4 000 tonnes de pommes de terre réfrigérées ont pu être écoulés en juin. Malheureusement, la production stockée par les paysans et dans les magasins non réfrigérés a subi de fortes pertes, liées à la pourriture, à l’attaque de teigne et à la perte de poids. Plus de 5 800 tonnes ont été perdues.

Quelles sont les conséquences pour la FPFD ?

La fédération, qui a toujours maintenu le cap, se trouve confrontée à d’énormes difficultés en raison du faible recouvrement du crédit de la campagne auprès de ses membres. Il nous est impossible de rembourser les banques qui ont fait l’avance sur la campagne et, forcément, nous manquons de financement pour la nouvelle campagne agricole.

Comment soutenir la prochaine campagne malgré tout ?

Appuyés par Agriculteurs français et développement international, nous avons lancé un appel au gouvernement guinéen et aux bailleurs internationaux. Nous misons sur plusieurs leviers : récupérer le reste du crédit de la campagne 2019/2020 auprès des producteurs d’une part, et trouver de nouveaux financements avec les partenaires au développement d’autre part. Nous espérons aussi que le plan de riposte au Covid-19 du gouvernement guinéen comprendra des subventions aux intrants agricoles.

En chiffres

L’agriculture en Guinée

Emplois : 80 % de la population et 57 % du revenu des ruraux

15 à 20 % du PIB

Le riz : principale culture vivrière

Population : 12,3 millions en 2018 (Banque mondiale)

Une organisation paysanne accompagnée

La Fédération des paysans du Fouta Djallon rassemble 35 000 adhérents, dont une majorité de femmes. Un tiers est engagé dans la culture de la pomme de terre. Les autres cultures sont principalement l’oignon, la tomate, le riz et le maïs. L’organisation paysanne dispense formations et conseil agricole, réalise aménagements hydro-agricoles et achat d’outillage et assure l’approvisionnement des membres en intrants. Depuis 28 ans, sa marque de pomme de terre la « Belle de Guinée » contribue à l’augmentation des revenus des producteurs. La FPFD est partenaire d’Agriculteurs français et développement international (Afdi) Hauts-de-France depuis 1995. L’association, qui l’a d’abord appuyée exclusivement sur la filière pommes de terre, privilégie maintenant le conseil global à l’exploitation et l’installation des jeunes.

 

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