Réforme de la PAC : grandes cultures, élevage, zones intermédiaires... qui sont les gagnants et les perdants ?
Le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie a présenté le 21 mai les premiers arbitrages du plan stratégique national, qui déclinera la nouvelle PAC dans sa version française. Lait et ovins/caprins s'en sortent bien, les bovins allaitants sont les plus mal lotis.
Le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie a présenté le 21 mai les premiers arbitrages du plan stratégique national, qui déclinera la nouvelle PAC dans sa version française. Lait et ovins/caprins s'en sortent bien, les bovins allaitants sont les plus mal lotis.
On en sait désormais plus sur les gagnants et les perdants de la future politique agricole commune qui entrera en vigueur en 2023. Le 21 mai, le ministre de l’Agriculture a présenté les premiers arbitrages de la déclinaison française de la PAC, ou Plan stratégique national (PSN). Julien Denormandie a reconnu endosser « le rôle pas évident d’arbitre des répartitions, avec forcément des transferts d’un côté vers un autre », pour ventiler les 43,7 milliards d’euros que représente le budget français de la PAC pour la période 2023-2027.
1-Le lait et les ovins/caprins gagnants, les bovins allaitants perdants
Le ministre a toutefois souligné que les effets de transferts étaient bien moins marqués qu’avec la précédente PAC, qui avait vu certains territoires perdre « 20 à 30 % de leurs aides » au profit d’autres secteurs. En prenant en compte les paiements directs et l’ICHN (aides pour les zones à handicap naturel), les évolutions en moyenne pour les différentes catégories se répartissent ainsi, si l’on se projette à la fin de la période :
- +2 à 3 % pour les ovins/caprins
- +2 % pour le lait
- Stabilité pour les grandes cultures
- Stabilité pour la polyculture-élevage
- -3 à 4 % pour les bovins viande
L’élevage allaitant serait donc le principal perdant en prenant en compte les paiements directs et l’ICHN. Cette baisse provient principalement de l’adoption de la réforme des UGB et de la fusion des aides couplées allaitantes et laitières, qui profite aux élevages laitiers. La réforme de l’UGB se fait avec une baisse de l’enveloppe de 17 millions d’euros (M€) par an, en raison de l’allocation de cette somme à la montée en puissance de l’aide couplée aux protéines végétales.
« Cette baisse ne prend pas en compte la convergence, qui va être favorable aux allaitants et aux ovins/caprins, et le fait qu’un euro sur deux destinés aux protéines végétales bénéficiera aux bovins », a souligné Julien Denormandie. De plus, le gonflement de l’aide couplée aux protéines se fera progressivement jusqu’à 2027 afin que « le rythme soit identique à celui de la convergence, et qu’il n’y ait pas d’effet couperet en 2023 ».
Concernant le secteur allaitant, le ministre a appelé à « mieux structurer la filière pour créer de la valeur » avec pour « priorité des priorités le renforcement de la loi Egalim ».
2-Statu quo pour le paiement redistributif et le transfert entre piliers
Le ministre de l’Agriculture a opté pour le statu quo concernant le transfert des montants du premier pilier (paiement de base, aides couplées, écorégimes, paiement redistributif…) vers le second pilier (ICHN, MAE, outils de gestion de crise…). Le taux de transfert est ainsi maintenu à 7,53 %. Cette décision est plutôt favorable aux grandes cultures, qui bénéficient surtout des aides du premier pilier.
Le système de paiement redistributif, qui majore les aides sur les premiers hectares (et favorise donc les petites exploitations) est lui aussi laissé inchangé : il portera toujours sur 10 % du budget du premier pilier, répartis sur les 52 premiers hectares.
3-Poursuite « progressive » de la convergence du paiement de base
« La convergence est une nécessité, a affirmé Julien Denormandie. Nous sommes actuellement à 70 %, arriver à 100 % est inéluctable, mais nous devons le faire dans le souci de la progressivité. » Le rythme prévu amènera la convergence des paiements de base à 85 % à la fin de la période, avec « un mécanisme de limitation des pertes individuelles à 30 % ».
La poursuite de la convergence profitera aux zones intermédiaires, à l’élevage allaitant et aux ovins/caprins, mais est défavorable aux élevages laitiers.
4-Maintien du niveau de l’ICHN
Le budget d’1,1 milliard d’euros annuel de l’ICHN est préservé. Du fait de changement de certaines règles européennes, cela impose à l’État d’abonder 108 millions d’euros en plus chaque année, soit 540 millions d’euros apportés par l’État sur la période.
Le ciblage de cette aide, actuellement quasiment exclusivement destinée à l’élevage, est également inchangé. Le secteur des grandes cultures s’était plaint des modalités d’allocation de cette aide, qui exclut quasi intégralement ces productions.
5-Un écorégime « accessible à tous » via trois voies
« L’écorégime, ce n’est pas de l’argent en plus pour les agriculteurs, c’est une partie de leur revenu qui leur est pris, et ne leur est rendu que s’ils mettent en place des principes agro-environnementaux. Pour cette raison, il faut que chacun puisse y aller le plus rapidement possible », a soutenu Julien Denormandie.
La part du budget du premier pilier reste à définir au niveau européen (négociations du trilogue entre la Commission européenne, le conseil des ministres et le parlement), mais le chiffre de 25 % apparaît probable.
L’écorégime sera organisé sur deux niveaux : le niveau de base, et le niveau supérieur. Trois voies d’accès seront possibles :
- Les pratiques (non-labour sur un pourcentage significatif des prairies permanentes ; couverture végétale d’une part substantielle des interrangs dans les cultures permanentes ; diversité des assolements sur les terres arables, avec une valorisation des légumineuses, des plantes sarclées et des prairies permanentes)
- La certification : obtention du niveau « supérieur » pour le bio et la HVE (niveau 3 de la certification environnementale) ; obtention du niveau de base pour une certification environnementale de niveau « 2 + » qui reste à définir
- Les infrastructures agroécologiques (IAE). Si les IAE présentes sur l’exploitation ne permettent pas d’accéder à l’écorégime par la voie « IAE », elles apporteront néanmoins des bonus au titre des deux autres voies (« certification » et « pratique »).
« Avec ces avancées, 79 % des grandes cultures auront accès au niveau standard ou supérieur, a annoncé le ministre de l’Agriculture. Parmi les autres, 13 % pourront y accéder en modifiant 5 % de leur assolement. »
6-Hausse des aides du second pilier pour l’agriculture biologique
Les aides destinées à l’agriculture biologique financées par le second pilier, actuellement de 250 millions d’euros par an (aides au maintien incluses), seront portées à 340 millions d’euros.
Cet arbitrage a fait l’objet de « discussions très dures » au cours du conseil supérieur d’orientation qui précédait la conférence de presse, a rapporté Julien Denormandie. « Certains voulaient 1 milliard d’euros pour le bio plutôt que 340 millions d’euros, mais cela signifierait arrêter l’investissement via les MAE ou autre, baisser l’ICHN, transférer massivement du premier pilier vers le second, avec l’illusion de croire qu’on peut investir sans revenu, a défendu le ministre. Certains défenseurs du bio préfèrent l’aide au maintien à l’investissement et à l’installation, je le déplore. »
7-Des fonds gérés par les régions en hausse, budget maintenu pour les MAEC
Les fonds Feader gérés par les régions passeront de 645 millions d’euros (M€) à 678 M€, les 33 M€ supplémentaires devant être destinés prioritairement à l’installation.
L’enveloppe des mesures agro-environnementales et climatiques est maintenue à 260 M€ par an. Sur ce budget, 30 M€ seront redéployés vers les zones à faible potentiel (notamment les zones intermédiaires).
8-Elévation progressive de l’aide couplée aux protéines végétales, création d’une aide couplée au maraîchage
Les aides couplées aux protéines végétales consomment actuellement 2 % du budget du premier pilier. Elles vont être progressivement remontées à 3,5 % d’ici 2027 (+0,3 point chaque année à partir de 2023). 34 millions d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés aux protéines. La progressivité se justifie selon le ministre par la limitation de l’impact sur l’enveloppe des aides couplées animales. L’Europe fixe en effet un maximum de 15 % du premier pilier pour les aides couplées.
La hausse pour les protéines végétales va donc se traduire par une baisse des montants des aides directes allouées à l’élevage. Toutes aides confondues, le secteur ovin/caprin sera toutefois gagnant à la fin de la période car il sera très bénéficiaire de la convergence.
Une aide de 10 M€ va être créée pour le maraîchage. Les autres aides (blé dur, houblon…) sont maintenues.
9-Un coup de pouce aux zones intermédiaires
Les zones intermédiaires « bénéficieront de la nouvelle PAC », selon Julien Denormandie, grâce à l’effet de convergence créé par les écorégimes (les zones intermédiaires touchent moins de paiement de base que la moyenne nationale). Ces zones profiteront aussi de la création de MAEC dédiées et dotées de 30 millions d’euros. Les modalités de ces MAEC « restent à construire avec les chambres d’agriculture », a précisé le ministre.
10-La réforme des UGB actée, favorable au lait au détriment de l’allaitant
« La réforme des UGB est acceptée et comprise par la grande majorité des parties prenantes », a assuré Julien Denormandie. Cette réforme va se traduire par la fusion des aides couplées allaitantes et laitières, au détriment de la viande et au bénéfice du lait, afin de « soutenir les laitiers, qui connaissent une décapitalisation », ont été impactés par les réformes précédentes et par la convergence.
Il y aura une UGB lait et une UGB allaitant, mais pas d’UGB mixte. Le travail reste à faire pour la finalisation technique, par exemple sur la définition de l’UGB.
11-Revalorisation des aides à l'assurance récolte dans le second pilier
Les aides dédiées à l'assurance récolte dans le second pilier seront portées de 150 millions d'euros à 186 millions d'euros. « Ce n'est pas assez, mais pour faire plus il faudrait diminuer la bio ou l'ICHN », a justifié le ministre, qui a réitéré l'idée que « l'agriculture ne peut être financée par le seul monde agricole ». Il s'est par ailleurs montré favorable à l'activation des règles Omnibus (subvention montée à 70 % pour des franchises allant jusque 20 %). « Je pense qu'il faut y aller, mais ce ne pourra pas être la PAC qui le finance. »