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Ville et banlieue : zone légumière du futur ?

Alimentation des villes, demande forte pour des produits locaux, soutien des politiques, structuration de la filière… les voyants passent au vert pour l’agriculture urbaine en France. Des défis restent néanmoins à être relevés.

ferme urbaine
En France, plus de 70% des projets d’agriculture urbaine, quel que soit le modèle considéré, concerne la production de fruits et légumes.
© Nature urbaine

Le 7 décembre dernier, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la Ville, étaient en déplacement sur la ferme urbaine baptisée Zone sensible de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Ils ont dévoilé la première promotion de vingt-sept lauréats de l’appel à projets Quartiers fertiles. Cette démarche, pilotée par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), vise à déployer plus massivement l’agriculture dans les territoires en renouvellement urbain.

À noter aussi que dans le plan de relance de l’agriculture suite à la crise sanitaire, 30 M€ sont prévus pour multiplier par 5 le nombre de jardins partagés sur le territoire, en particulier en zones périurbaine et urbaine.

Bref, le politique s’est saisi du thème Agriculture urbaine et il y a des raisons à cela.

80 % de la population vit aujourd’hui en milieu urbain et le changement climatique affecte l’avenir du système alimentaire. Ces deux éléments prônent pour le développement de la production végétale au sein des agglomérations. Une tendance renforcée aussi par la crise sanitaire engendrée par la Covid-19 : la demande des consommateurs pour des produits cultivés localement s’est accrue.

 Dans son avis « L’agriculture urbaine : un outil déterminant pour des villes durables » de juin 2019, le Cese (Conseil économique, social et environnemental) le soulignait : « La juxtaposition des termes “agriculture” et “urbaine” sonne comme un paradoxe de nos jours, tant nos cités se sont artificialisées et déconnectées du monde rural. Pourtant, dans certains pays, une partie significative de l’alimentation reste produite en ville ou à proximité immédiate. C’était aussi le cas en France jusqu’à une époque relativement récente ».

Dynamisme mondial

Les données sur le sujet sont encore rares, mais on pourrait évaluer que le marché mondial de l’agriculture urbaine dépasse les 200 Md€ de chiffre d’affaires.

L’Amérique du Nord et l’Asie-Pacifique dominent le marché et restent dynamiques. Ainsi, aux États-Unis, en décembre, une société pionnière, Gotham Greens, a levé 71 Md€ pour son développement à travers le pays (l’entreprise qui exploite des serres en toiture est new-yorkaise d’origine). En un an, Gotham Greens a doublé sa capacité en ouvrant de nouvelles serres à Chicago, Baltimore, Denver…

Pour l’Asie, la rareté des terres cultivables autour des métropoles comme Hong Kong ou Singapour a dynamisé la construction de fermes verticales.

En Europe, les projets se développent, en Allemagne et au Royaume-Uni, mais pas uniquement. Au Danemark, la société Nordic Harvest vient d’ouvrir une des plus grandes fermes verticales d’Europe. Couvrant 7 000 m2, elle devrait produire 200 t de légumes (laitues, chou kale, herbes aromatiques) dès le premier trimestre 2021, avec un objectif de 1 000 t sur l’année complète. Nordic Harvest entend vendre ses produits à des prix similaires à ceux rencontrés en distribution bio. Elle s’inscrit donc dans une démarche totalement productive et marchande

France : une vocation sociale

La production d’aliments est la première mission de l’agriculture urbaine et elle adopte des formes, lieux et des techniques diverses : fermes verticales, potagers et serres sur les toits des immeubles ou production en parkings souterrains, aéroponie et hydroponie, jardins partagés…

La vocation productive et marchande est bien présente dans de nombreux projets. Mais l’agriculture urbaine en France a aussi des vocations sociales et sociétales : soutien aux populations précarisées, reconnexion avec la nature…

« L’agriculture urbaine est née avec des pionniers ayant le désir de changer les choses, avec une vision philosophique du sujet, dans une France totalement vierge sur le sujet, rappelle Anouck Barcat, présidente de l’Association française pour l’agriculture urbaine professionnelle (Afaup). Si, à l’origine, il y a un élan idéaliste qui perdure, dans ses aspects d’insertion des personnes en précarité par exemple, les modèles se sont adaptés et se mettent aujourd’hui en place. La tendance claire est au programme mixte : un modèle productif développant en même temps l’événementiel et la pédagogie. Des activités de conseils (techniques, modélisation financière…) peuvent s’ajouter. »

Selon une récente étude de QYResearch, l’agriculture urbaine française a atteint le chiffre d’affaires de 5,9 Md€ en 2019.

Impact de la Covid-19

La crise sanitaire a aussi rebattu les cartes.

Certaines entreprises d’agriculture urbaines ont été fragilisées par la fermeture de leurs débouchés traditionnels comme la restauration. En juin dernier, l’Afaup avait lancé une enquête en ligne auprès de ses 80 adhérents pendant le confinement. Sur les 32 répondants, 26 ont enregistré des pertes pouvant aller jusqu’à 30 000 €. Cinq entreprises ont évalué leurs pertes supérieures à 30 000 €.

Anouck Barcat tempère : « Cependant, elles ont fait preuve d’agilité et se sont rapidement adaptées. Le fait saillant est le basculement du BtoB vers le BtoC. Et cette tendance devrait perdurer ».

L’agriculture urbaine continuera aussi à s’adresser à la distribution, GMS comprise : « Au sein de l’Afaup, certains adhérents, pour des raisons idéologiques respectables et à respecter, ne veulent pas s’y engager, et pour d’autres, cela ne constitue pas un problème. Ceci étant dit, si l’on considère les surfaces actuelles, il n’est pas évident d’assurer les approvisionnements constants et la diversité en produits que demande la grande distribution ».

Besoin de structuration

« L’agriculture urbaine est un secteur encore sans contours. Il y a une multiplicité d’expériences mais il manque toujours le recul nécessaire pour bien évaluer ce qu’elle représente. Ce qui n’est pas sans conséquence lorsqu’il s’agit de porter les projets au niveau des ministères, des donneurs d’ordre, des entreprises. Sans données claires et nettes, il est difficile d’objectiver le secteur et de débloquer les financements. Beaucoup d’exigences sont demandées à l’agriculture urbaine, mais il est difficile d’obtenir les moyens pour les remplir », regrette Anouck Barcat.

C’est pourquoi l’Afaup s’est lancé dans la cartographie de la filière : il s’agit d’aller chercher les data, de les massifier et de les consolider pour offrir un portrait économique exact de l’activité : « Dans cette démarche, nous adoptons une vision à 360° en incluant toutes les parties prenantes et tous les sujets, par exemple, celui de la valeur économique des services environnementaux rendus par l’agriculture urbaine ».

En 2019, l’Afaup a édité une charte qui rassemble les bonnes pratiques, les principes et les usages généraux qu’il convient de suivre pour que les projets en milieu urbain et périurbain soient pérennes. Les collectivités s’y sont engagées.

« Il y avait des sujets qui nous avaient alertés en amont : celui de la garantie de la maîtrise foncière ou la nécessité de mener une étude de faisabilité par exemple. Savoir qui est propriétaire de la surface cultivée, si le site est adapté à accueillir un projet (gestion de l’eau, des déchets), si la viabilité économique existe, est indispensable. Tout comme les aspects liés à l’économie circulaire, la reconnexion avec le vivant, le renforcement de lien social… », note la présidente de l’Afaup.

Concurrent des maraîchers traditionnels ?

Le développement de l’agriculture urbaine n’est pas sans poser des questions aux maraîchers traditionnels qui y voient – surtout sur l’aspect des soutiens financiers et autres – une certaine forme de concurrence. Même si les entreprises engagées dans l’agriculture urbaine ne prétendent pas (plus) assurer l’autonomie alimentaire des villes, la défiance entre les deux parties est actée.

« On ne peut pas nier qu’il existe une certaine méfiance. Mais, elle provient d’un manque d’information mutuelle entre nous », plaide Anouck Barcat.

Pour la présidente de l’Afaup, les deux modèles sont complémentaires et partagent plus que l’on ne pourrait penser au premier abord. « Déjà, nous ne sommes pas concurrents avec les maraîchers sur les questions budgétaires : nous rencontrons des problèmes similaires. On avance souvent que certains projets d’agriculture urbaine lèvent des fonds très importants : cela existe mais sans commune mesure avec ce qui se rencontre au Japon, et il s’agit principalement d’investissements privés pour des projets relevant du high-tech. De plus, nous avons certainement à gagner dans un apport mutuel au niveau des techniques de production », énumère-t-elle.

En 2021, l’Afaup a la volonté de renforcer la communication entre agriculture urbaine et traditionnelle.

Apaiser le débat avec l’agriculture traditionnelle

Jacques Rouchaussé, président de Légumes de France, défend aussi une situation apaisée : « Nous ne sommes pas là pour nous opposer. Mieux vaut comprendre la diversité de notre agriculture qui est une vraie richesse. Il faut déjà apprendre à se connaître ».

À la fin du mois d’octobre, le président de Légumes de France a eu l’occasion de visiter une exploitation urbaine à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis : «  J’y ai vu de la terre, de l’irrigation, des rotations courtes, des productions diversifiées (poireaux, choux, tomates…) sur des espaces très restreints, et des prouesses techniques. Pour le reste, je n’ai pas de boule de cristal pour évaluer la pérennité du dispositif. J’en ai tiré la conclusion que ces modes de cultures urbaines ne sont pas concurrentes mais bien complémentaires. L’agriculture urbaine s’adresse à une certaine partie de la société comme l’agriculture traditionnelle répond à une autre ».

Pour le président de Légumes de France, l’enjeu est en fin de compte de développer la production française. En effet, la France ne produit que 50 % des légumes qu’elle consomme. Après tout, alors que l’on parle de plus en plus de souveraineté alimentaire, l’important est de récupérer des parts de marché, que les légumes soient cultivés dans le champ ou sur le toit.

Témoignage : la ferme urbaine d’Achères

En 2018, la commune d’Achères (Yvelines), proche de Saint-Germain-en-Laye, a mis à disposition 7 ha de terrain à l’association Integraterre pour développer une ferme urbaine, proche des habitations. En 2020, une première zone de production sur géotextile de 700 m2 (fraises, tomates, choux-fleurs, haricots verts, courgettes, poivrons…) a fourni 500 à 700 kg de légumes.

 La vente s’est faite auprès de la population au travers d’une cueillette directe une fois par semaine. En moyenne, treize personnes ont fréquenté le site par jour de vente. Integraterre propose aussi miel produit par ses cinq ruches, pickles, coulis de tomate.

« Nourrir la population d’Achères ? Nous sommes plutôt complémentaires des circuits existants, considère Aline Ouvrart, chef de projet d’Integraterre. Même si les conditions de production étaient optimales, les 30 t potentielles qui seraient récoltées pourraient au mieux couvrir les besoins de fruits et légumes de 40 % des familles. Nous devons ne pas brader le fruit de notre production et conserver un prix abordable pour la population, souvent en situation de précarité. C’est pourquoi nous réfléchissons à proposer un prix solidaire. »

En tout cas, les projets ne manquent pas. Une serre tunnel de 250 m2 est en cours d’installation. Deux vergers (35 arbres chacun) sont plantés en continu depuis 2018 avec des espèces connues (pommes, coings, cerises, figues prunes) et moins répandues (arbousiers, sureaux).

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