Pour ses deuxièmes entretiens, l’Agriculture écologiquement intensive (AEI) a rassemblé 350 participants les 25 et 26 octobre derniers à l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers qui héberge cette association. Un succès puisque cette jeune structure – créée en 2009 suite au Grenelle de l’environnement – a su réunir durant ses débats et ateliers aussi bien des agriculteurs bio que des conventionnels, des représentants de plusieurs syndicats agricoles, des coopératives et des négoces agricoles, des scientifiques et des élus.
Face aux bouleversements actuels (et à venir) que traverse l’agriculture, les producteurs et leurs filières respectives doivent rapidement innover pour surmonter les défis auxquels ils se trouvent de plus en plus confrontés. L’AEI présidé par Michel Griffon, par ailleurs directeur adjoint de l’ANR (Agence nationale de la recherche), est au cœur de cette problématique et se veut donc une plate-forme d’échange d’idées et d’expériences. L’Agriculture écologiquement intensive – terme volontairement provocateur pour susciter le débat, insiste bien Michel Griffon – a pour objectif d’utiliser intensivement les mécanismes naturels en fertilisation et autodéfense des cultures en remplacement d’une utilisation intensive des intrants chimiques et énergie fossile. Produire plus et mieux avec moins, tel est donc le défi de ceux qui adhèrent à cette démarche. Ils commencent à être nombreux. Les coopératives Terrena, Agrial et Triskalia – qui représentent 8,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires –viennent de créer une chaire AEI en collaboration avec trois écoles de formation supérieure, Agrocampus Ouest, l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers et Oniris (Ecole nationale Nantes Atlantique vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation). Les trois coopératives vont consacrer 1 million d’euros sur cinq ans au financement de programmes d’enseignement et de recherche liés à l’AEI des trois écoles concernées. Une autre coopérative, la Cavac (534 millions d’euros de chiffre d’affaires), est partenaire comme Terrena, leur président respectif étant membres du conseil d’administration à titre personnel comme les autres administrateurs Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, et Marie Hélène Aubert, élue des Yvelines et ancienne membre des Verts.
Le Conseil régional des Pays de Loire et la chambre régionale de Bretagne ont également apporté leur appui financier. D’autres structures identiques souhaiteraient aussi s’impliquer. Il s’agit de la Normandie et de l’Aquitaine. Parmi les dix sponsors qui figurent sur la liste des partenaires, Système U y est engagé depuis l’été 2011. Il côtoie notamment le Crédit Agricole et Coop de France Ouest. Outre Michel Griffon, ancien directeur scientifique du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique), quelques scientifiques appuient la démarche comme Maximilien Rouer du bureau BeCitizen.
Plus de technicité et de risque
A l’issue des douze ateliers centrés sur des sujets aussi divers que l’impact du changement climatique sur l’agriculture, la volatilité des prix mondiaux, les raretés futures, la réduction des pesticides, la compétitivité, les protéines végétales, l’élevage et le rôle des consommateurs, les participants sont repartis avec quelques certitudes. La recherche doit se pencher plus spécialement sur l’élevage. Production indispensable et complémentaire des cultures produites sous AEI grâce aux apports en matière organique, la production animale est néanmoins très gourmande en terre agricole et émettrice de gaz à effet de serre. Ce qui pose problème.
L’AEI ne pourra se développer que si les politiques publiques appuient ses objectifs. Un simple constat : quand les prix à la vente des céréales sont soumis directement au marché mondial comme c’est le cas désormais, les céréaliers sont moins enclins à se lancer dans l’AEI qui exige plus de technicité et une prise de risque plus importante. Il en est de même avec la production de protéines végétales en Europe face au soja américain.
Les débats montrent ainsi l’interdépendance géographique de la production, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau au sein d’un bassin versant ou du choix des agrocarburants produits en Europe. Ces derniers pourraient avoir un impact direct sur la déforestation en Amérique du Sud. Avec des denrées devenues trop chères à produire en Europe par l’extension des cultures pour les agrocarburants, les Américains du Sud augmenteraient le défrichage pour exporter vers l’Europe. Autre certitude : le changement climatique devrait avoir une incidence sur l’agriculture et donc l’AEI. Mais les modèles livrent pour l’instant des résultats contradictoires. Les scientifiques japonais estiment que la production européenne en sortira gagnante à la fin de ce siècle, avis qui n’est pas partagé par les chercheurs australiens.
Prudence pour un étiquetage
Contrairement à 2010, le consommateur a largement été évoqué, un atelier et une table ronde lui ayant été entièrement dédiés. D’abord un constat : la grande diversité des attentes s’est multipliée depuis la crise de la vache folle en même temps que s’est installée une plus grande défiance vis-à-vis de la qualité des aliments. Le bio a été multiplié par deux.Parallèlement, la pléthore de signes de qualité engendre une confusion dans les esprits. Laurent Francony, membre du comité exécutif de Système U, qui a assisté à la table ronde, a même affirmé : « Des labels qui marchent bien peuvent se retourner contre le consommateur lui-même du fait d’une mauvaise compréhension. Sans message, les signes de qualité sont voués à disparaître. C’est ainsi que des labels comme Critère Qualité Certifiée ont laissé la place aux MDD et marques industrielles. Car le distributeur ou l’industriel peut mieux communiquer sur le produit qu’avec un label. Une seule lettre suffit parfois. » [ndlr : par exemple la lettre U].
Il a été fortement question de la valorisation de la démarche AEI auprès du consommateur. Mais la prudence était de mise chez tous les intervenants. Christiane Lambert, qui a soutenu l’appellation agriculture raisonnée sans que celle-ci puisse aboutir à une reconnaissance du consommateur, a suggéré la nécessité d’en « parler beaucoup » avant toute démarche d’étiquetage. « Il est nécessaire d’abord d’identifier l’AEI ! », a souligné le représentant de Système U. Les attentes du client deviennent à la fois plus précises et plus globales. Depuis un an et demi, le consommateur de Système U pose davantage de questions sur le caractère sociétal, le lieu de fabrication, de transformation et le contenu du produit. Aussi d’après Laurent Francony, un travail communautaire reste la clé du succès et de citer en exemple la démarche entreprise avec Biolait, conditionneur de lait bio : « La diffusion de ce produit n’étant pas possible dans tous les magasins U de France, nous avons travaillé ensemble sur un modèle économique de plus petite échelle en prenant en compte tous les aspects de l’activité sur le plan financier, sanitaire et communication. La valeur ajoutée a ainsi été renégociée afin de valoriser au mieux le produit. Cette démarche nous a fait sortir des relations habituelles producteurs-distributeurs puisque nous nous portions garants des critères mis en place dans le cahier des charges. »
Tout l’enjeu futur pour valoriser l’AEI auprès du consommateur sera donc d’utiliser les outils nécessaires à apporter la preuve de sa valeur environnementale.