Une mission parlementaire enquête sur l’usage du chlordécone aux Antilles
Après une enquête de la mission d’information parlementaire aux Antilles, trois ministres de l’Agriculture seraient indirectement mis en cause.
Le 12 juillet, une mission d’information parlementaire présidée par Joël Beaugendre, député UMP de Guadeloupe, a rendu son rapport concernant l’utilisation massive de pesticides organochlorés aux Antilles et plus particulièrement le chlordécone. Ils ont aussi enquêté sur les intérêts économiques ayant entouré sa commercialisation jusqu’en octobre 1993.
A la suite du passage de deux cyclones successifs sur les Antilles françaises en 1979 et 1981, cet insecticide a été commercialisé sur le marché français afin de protéger les bananeraies plus vulnérables aux attaques de charançon. En effet, c’est en 1981 que le ministère de l’Agriculture accorde une autorisation de mise en marché pour le Curlone, nom de commercialisation du chlordécone, jusqu’en février 1990. Pourtant, il venait d’être interdit à la vente aux Etats-Unis en raison de sa toxicité aiguë et des effets constatés sur la santé des ouvriers travaillant dans l’usine de fabrication du chlordécone en Virginie (usine Hopwell).
Deux dérogations accordées après 1990
A partir de cette date, le chlordécone fait alors l’objet de plusieurs dérogations successives permettant de le commercialiser jusqu’en septembre 1993. Le rapport indique notamment que son utilisation a été prorogée de manière “regrettable” jusqu’au 30 septembre 1993, à la suite de deux dérogations accordées en mars 1992 et février 1993 alors que des traitements de substitution existaient déjà : le Temik, le Nemacur, le Rugby et le Counter.
Le rapport mentionne ainsi que “l’argument invoqué en 1990 pour justifier les demandes de prorogation du délai d’utilisation du Curlone paraissent en 1992 et 1993 dénué de fondement”. Des dérogations qui, selon la mission d’informations, mettent indirectement en cause trois ministres de l’Agriculture : Henri Nallet, Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson. L’une de ces dérogations a même été de façon très précise demandée par la Sicabam, et accordée par les services du ministère de l’Agriculture directement au président de la Sicabam de l’époque, Yves Hayot le 6 mars 1992. Le ministère étant par la suite obligé de renvoyer un rectificatif (le 19 mars 1992) pour que cette dérogation soit applicable à l’ensemble des producteurs de bananes des Antilles (voir les annexes du rapport).
Pas de risques de contaminations sur la banane
Selon Joël Beaugendre, la quasi-totalité des terres agricoles des îles seraient à ce jour polluées par le chlordécone. Or, cet organochloré a une toxicité démontrée sur l’ensemble des organismes vivants (poissons, rongeurs et homme) et du fait de sa structure chimique très stable, il est pratiquement non dégradable dans l’environnement. L’Inra précise même qu’il faut plusieurs dizaines d’années pour constater sa disparition.
En revanche, la mission estime qu’en l’état actuel des études réalisées, les légumes et fruits aériens (tomate, banane, concombre, agrumes, etc.) n’ont pas conduit à la détection de chlordécone. Une information que confirme le Bulletin d’alerte et de surveillance Antilles Guyane (Basag) de juin 2005, de l’Institut de veille sanitaire (INVS) : “seules les productions végétales en contact avec le sol sont exposées au risque de contamination”.
La mission demande donc la mise en place d’un droit à compensation pour les agriculteurs qui subissent les effets du principe de précaution, car ils sont contraints à faire des analyses de leur production au motif qu’elle pourrait avoir été contaminée.
Les parlementaires demandent que soit créé un permis pesticide, pour les agriculteurs de métropole et d’outre-mer. Elle souhaite aussi qu’un programme de recherche pour dépolluer les sols soit mené et devrait déposer des amendements lors de l’examen du projet de loi sur l’eau afin de donner les moyens suffisants pour protéger les ressources en eau des Antilles. Quant à la recherche analytique et épidémiologique sur le chlordécone, ils demandent à l’Etat de sanctuariser le budget de recherche en toxicologie et écotoxicologie pour mieux évaluer les effets des pesticides et des mélanges sur l’environnement et la santé humaine.