Catherine Peix, réalisatrice, militante de la nature
Une cinéaste aux origines de la pomme
Scientifique, réalisatrice, militante de la nature, Catherine Peix a traqué l’origine du fruit défendu : la pomme. C’est aux confins du Kazakhstan, dans la forêt du Tian Shan et autour d’Almaty (qui signifie pomme en kazakh) qu’elle a filmé cet “Eden” retrouvé.





Sauvegarder, préserver la pomme “originelle”, plus précisément les forêts de pommiers historiques du Tian Shan à l’Est du Kazakhstan, tels sont les maîtres mots du travail de Catherine Peix, fascinée par les origines de quelque nature qu’elles soient. « J’aime savoir pourquoi une chose existe. J’ai voulu par ce reportage sensibiliser le public sur quelque chose auquel il ne pense jamais : pourquoi y a-t-il des plantes cultivées ? A cela je répondrais, il y a des plantes cultivées parce qu’il y a eu des plantes sauvages ! Aujourd’hui, on ne se pose plus la question des plantes sauvages… Or, si le cultivé dégénère, où trouvera-t-on les ressources permettant de continuer à cultiver ? Prendre conscience de ce patrimoine arboricole, c’est en quelque sorte m’intéresser au problème entier de la diversité agricole et alimentaire. » Mais la biodiversité comme elle l’entend n’a rien à voir avec le discours actuel. « La sortie de mon film “Aux origines de la pomme” n’est pas liée à l’année de la biodiversité ! J’ai commencé à le tourner en 2005 ! On devrait plutôt décréter un siècle de la biodiversité et non pas juste une année. Cela n’a pas de sens. Le futur de l’arboriculture, sera dans l’analyse des origines des plantes… Si on regarde bien comment c’était à l’origine, on comprend mieux le futur. Le futur est toujours dans les origines. »
Pour comprendre le travail de Catherine Peix, il faut la voir comme une militante de la nature. « Je suis une vraie résistante », se qualifie-t-elle en martelant qu’elle n’a rien de commun avec l’homme du moment Yann Arthus Bertrand. « J’ai dormi à même le sol, traversé ces forêts à cheval, rechargé mes batteries de caméra par des groupes électrogènes parce qu’il n’y avait pas d’électricité, c’est le seul moyen pour découvrir ce patrimoine extraordinaire. » C’est dans ce sens que le film est plutôt singulier parce qu’il balaie à la fois de l’histoire, de la génétique, du “road movie”, de l’histoire des hommes et puis de la génétique contemporaine puisque s’intéresser aux gènes de la résistance c’est avoir accès à des notions de marqueur moléculaire, des histoires de datation aussi.
Des forêts contenant plus de cinq millions de variétés de pommes différentes
Son documentaire retrace aussi bien le contexte géographique, les enjeux politiques et scientifiques en se fondant sur la vie de ceux qui se sont battus pour préserver l’histoire même des origines de la pomme du Tian Shan. Se retrouve ainsi remémoré le négationnisme scientifique stalinien, qui a envoyé au goulag nombre de scientifiques et particulièrement de généticiens tels que Nicolaï Vavilov, le premier à être convaincu d’avoir trouvé dans les pommiers du Kazakhstan l’origine même de la pomme. « Après avoir eu vent de l’existence de ces forêts vieilles de plusieurs milliers d’années, il m’a fallu retrouver Aymak Djangaliev. Ce chercheur kazakh, disciple de Vavilov, a voué sa vie aux origines de la pomme, à Malus Sieversii, cette forêt de plus de cinq millions de variétés de pommes différentes. C’est un homme brillant totalement incorruptible qui s’est mis en marge parce qu’il a voulu sauvegarder quelque chose qui était interdit. » Pour ce faire, elle s’est rapprochée de François Laurens, ingénieur de recherche à l’Inra d’Angers qui l’a d’ailleurs fortement conseillée pour le film. En remontant l’histoire, elle constate que deux chercheurs américains ont déjà eu vent des travaux d’Aymak Djangaliev et rapporté des scions aux Etats-Unis de ses forêts exceptionnelles nichées à plus de 2 000 m d’altitude. L’un généticien, l’autre agronome ont ainsi conforté le chercheur kazakh dans ses travaux en apportant la preuve que ces pommes des montagnes alentour d’Almaty présentaient pour certaines des résistances à plusieurs maladies dont le feu bactérien et la tavelure pour ne citer qu’elles. Et pourtant comme elle aime le rappeler : « Il n’y a jamais eu de feu bactérien au Kazakhstan. Et ces pommiers ont des gênes de résistance au feu bactérien. C’est incroyable. »
Une forêt ancestrale unique au monde donnant de gros fruits comestibles
Plus encore que les gênes de résistance, Catherine Peix s’émerveille de la diversité des essences présentes dans ces forêts. Certaines pommes ont des saveurs de rose, de fraise, de banane, d’autres ont la chair totalement rouge. « C’est l’unique endroit dans le monde où il existe des forêts comme celles-là donnant de gros fruits. Elles débordent un peu en Chine et un tout petit peu au Tadjikistan mais c’est dans la région du Tian Shan, dans ces montagnes, qu’on les trouve. Après, il existe des vergers sauvages ailleurs. A l’image de Malus Floribunda originaire du Japon, Malus Siberica de Sibérie, Malus Orientalis du Caucase, Malus Fusca de Turquie et Malus Silvestri d’Europe de l’Ouest. Mais leurs fruits sont gros comme des cerises. » Avec ce patrimoine, Catherine Peix se plaît à soulever : « Si on était malin, on proposerait aux arboriculteurs du monde entier d’acheter des “élites” des forêts du Tian Shan. Les résultats seraient immédiats, il ne serait plus nécessaire d’attendre près de trente ans pour obtenir une nouvelle variété. »
A la recherche de mécènes pour sauvegarder ce patrimoine kazakh
C’est donc pour sauvegarder et protéger ce trésor de biodiversité qu’elle recherche des mécènes, afin d’encadrer un possible “pillage” de patrimoine génétique. Déjà, Aymak Djangaliev a réussi à ce que certaines variétés de pommes sélectionnées par ses soins soient protégées par une patente d’Etat. Mais comment protéger l’ensemble ? Catherine Peix rappelle que certaines régions forestières kazakhes ont été transformées en réserves d’Etat, ou appartiennent à des instituts de recherche nationaux. Mais elle s’inquiète car il ne reste plus qu’un cinquième de la surface des forêts sauvages de pommiers existantes en 1929. « Aujourd’hui, mon équipe est toute petite. Je suis actuellement à la recherche de soutiens pour pouvoir en tout premier lieu éduquer les Kazakhs leur faire comprendre qu’ils sont à la tête d’un trésor qu’il faut préserver. Car plus ce patrimoine sera connu, plus on pourra le sauver. Reconnaître que ce patrimoine vient du Kazakhstan, plus cela donne la chance à ce pays de prendre soin de son patrimoine. » Elle se remémore d’ailleurs qu’à chaque voyage dans la région d’Almaty où elle a interrogé les Kazakhs à propos de ces pommiers historiques de plus de 30 m de haut, ils réagissaient tous en indiquant qu’ils en possédaient forcément quelques-uns dans leurs datchas, mais sans avoir conscience de cet héritage extraordinaire. « C’est une véritable éducation qu’il est nécessaire d’entreprendre auprès du pays tout entier et même dans les grands pays producteurs de pommes à travers le monde. C’est en ce sens que nous avons aussi pris des photos et que nous souhaitons éditer un livre à ce sujet car cette histoire est presque rocambolesque. Il est nécessaire de faire circuler cette information capitale. Avec tout ce matériel, il serait ainsi possible d’entamer un véritable travail éducatif. Mais pour cela nous avons besoin de soutiens qu’ils soient politiques ou financiers. » Elle se plaît même à rêver d’un mécénat colossal d’Apple. « Il prendrait alors le rôle de gardien de patrimoine sauvage et si Apple se met dans le coup, on fait un énorme chantier au Kazakhstan, on fait de la reforestation en utilisant des populations différentes. On fait de la formation auprès des Kazakhs… »
Pour l’heure, son film a fait l’objet d’une projection en avant-première à l’Unesco le 3 mai dernier en présence de l’ambassadeur du Kazakhstan en France, Nourlan Danenov, et de l’ambassadeur du Kazakhstan auprès de l’Unesco, Olzhas Suleimenov, la projection devant se poursuivre par un débat autour de la biodiversité. Il sera ensuite diffusé le 10 mai sur la chaîne Arte avant d’être reprogrammé, dès le mois de septembre, sur plusieurs chaînes régionales de France 3. Parallèlement à ce travail sur les forêts de pommiers du Tian Shan, Catherine Peix a jeté son dévolu sur d’autres origines de plantes importantes pour l’alimentation humaine. « Ce film sur la pomme est plutôt singulier parce qu’il balaie nombre de sujets différents. Car, nous n’avons jamais traité le problème des origines de ce que l’on mange. Or, l’alimentation industrielle a conduit à de multiples exclusions. A l’inverse de la culture agricole qui réduit la biodiversité le fait de produire par exemple le même blé partout dans le monde nous rend vulnérables. »
Les origines de la pomme.
Le Kazakhstan, terre d’origine de certaines espèces Malus Sieversii du Tian Shan. Un documentaire de Catherine Peix produit par Kri-Kor Films/Seppia avec le concours de France 3 Alsace et Arte.