Saisonnalité
Un terme qui recoupe plusieurs sens
Malgré les incitations à consommer davantage en lien avec la saisonnalité, les habitudes d'achat en fruits et légumes n'ont guère varié globalement en dix ans.



Le message “Manger plus de produits de saison” a-t-il des répercussions sur le marché aujourd'hui ? Ce n'est pas systématique si l'on se réfère aux enquêtes effectuées tous les ans par le panéliste Kantar Worldpanel. « Si nous comparons les chiffres lissés sur trois années à dix ans d'intervalle, les résultats ne sont pas très visibles malgré quelques légères tendances à favoriser les produits de saison », remarque Arnaud Magnon, formateur consultant au CTIFL, spécialiste de la technique marchande et du marketing, en charge d'animer les points de vente et de dynamiser les linéaires fruits et légumes.
Prenons l'exemple emblématique de la tomate. L'espèce progresse aussi bien en hors-saison qu'en pleine saison avec une tendance cependant très légèrement en faveur des tomates de pleine saison. En moyenne sur les années 2012, 2013 et 2014, le volume de tomates consommées par les Français représente en hiver 4,5 % des fruits et légumes achetés et 13,4 % en été. A noter que sur les années 2005, 2006 et 2007, cette moyenne était de 4,04 % en hiver et de 12,5 % en été.
Pour la fraise, les chiffres indiquent une légère tendance là aussi à l'augmentation en pleine saison. Le volume moyen consommé en France passe de 0,1 % du total fruits et légumes en février à 11,5 % en mai pour les années 2012, 2013 et 2014. Dix ans plus tôt, il est de 0,1 % en février et monte jusqu'à 10,4 % en mai.
Pour un produit comme le chou-fleur qui présente une saison d'hiver, majoritaire, et une saison d'été largement plus minoritaire, les données sont révélatrices des tendances actuelles. En volume, le chou-fleur d'été représente 0,6 % de la consommation de légumes en été et 1,8 % en octobre pour les années 2012 à 2014. Sur les années 2005 à 2007, l'étude indique 0,6 % en été et 1,98 % en hiver. En sept ans, on note une légère tendance à la baisse pour le chou-fleur d'hiver.
« Pour compléter la question de la saisonnalité, conclut Arnaud Magnon, de nombreuses espèces ne sont encore présentes sur le marché que sur de courtes périodes. L'asperge et l'abricot, par exemple, sont offerts sur les étals durant quatre mois, dont deux mois pèsent pour 75 % des volumes. Et si le raisin est présent toute l'année avec des variétés d'importation, 80 % des ventes s'effectuent sur trois mois. »
Des facteurs multiples définissent la saisonnalité
Notons que ces chiffres n'intègrent pas l'origine des produits, France ou import. Or parler de saisonnalité aujourd'hui revêt des dimensions multiples. Pour les uns, cela signifie uniquement une production française. Pour les autres, certains qualificatifs doivent se rajouter comme la proximité et ses contraintes logistiques, la qualité gustative ou encore le mode de production. Des facteurs, plus subtils, interviennent encore, comme l'empreinte écologique (le chauffage par énergie fossile n'a pas la bonne cote), les qualités organoleptiques et même le culturel.
Les collectivités peuvent modifier les orientations
Antoine de Raymond, sociologue à l'Inra, chargé de recherche en économie, droit et politique, qui a mené des travaux sur les fruits et légumes, livre ses réflexions. « A l'évidence, affirme-t-il, la logistique a permis de mettre en place une offre plus globale à des prix supportables. Elle a contri-bué à désaisonnaliser le marché. Mais ce n'est pas vrai pour tous les produits. La cerise et l'asperge, qui nécessitent des coûts importants, restent une offre saisonnière. Par ailleurs, le changement climatique va sans doute accélérer la collusion de l'offre entre les régions. »
Le chercheur incite cependant sur le facteur culturel. « Les fraises sont associées à l'été. Les rites collectifs de Noël ou de Pâques restent vivaces. Mais nous avons pris l'habitude de manger les mêmes produits toute l'année. Or le phénomène nouveau, c'est la prise de conscience de l'impact sur l'environnement (importations, chauffage des serres...). Le mouvement est faible mais se traduit par exemple par le développement des Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap), 1 500 structures aujourd'hui depuis leur création en 2001. »
Pour Pierre Naves qui prépare une thèse au Centre Emile Durkheim, laboratoire de sociologie et science politique comparées à Bordeaux, sur la façon dont les normes publiques peuvent encourager le développement de produits de circuits courts et de proximité, le respect de la saison peut être un nouveau critère de choix. Mais il reste encore flou. « Les mesures publiques ou collectives pour inciter à manger des fruits et légumes de saison, affirme-t-il, n'ont pas encore eu de véritables impacts. » Mais le chercheur reste optimiste. « Des acteurs commencent à s'y intéresser, ajoute-t-il, comme la filière du pruneau d'Agen qui a créé un groupe de réflexion pour développer une offre en circuit court, la vente en circuit long de pruneaux d'Agen représentant 98 % de l'activité. Autre exemple, Rougeline a développé une stratégie commerciale centrée sur son bassin régional. » Enfin, il espère beaucoup des collectivités « qui peuvent devenir un acteur majeur dans l'orientation de choix stratégiques ».

Selon Valérie Sené, directrice marketing d'Interfel : « La notion de saisonnalité est bien évidemment un thème majeur pour l'interprofession. Il s'agit d'un fil rouge important pour nos travaux. C'est un sujet qui demande néanmoins à ce que le discours soit affiné. En effet, il faut reconnaître que le terme de “saison” est pour ainsi dire polyphonique. Il renvoie d'une part à la disponibilité du produit pour le consommateur en regard des productions françaises. Et d'autre part, il évoque aussi l'usage gastronomique que l'on fait des produits. Ainsi, par exemple, l'endive est consommée en salade pendant l'été et plutôt cuite en hiver. Et l'on peut dire de même pour la tomate. De plus, il y a une notion identitaire très forte attachée au produit. Elle renvoit au cycle de la vie ; l'expression “marchand des quatre saisons” est là pour nous le rappeler. Cela entraîne parfois des idées très arrêtées sur le sujet dans l'esprit consommateur. Cette particularité fait qu'il faut à chaque fois trouver le bon interlocuteur, et surtout communiquer sur des registres différents bien identifiés, pour mettre en avant la notion de saisonnalité. » Ph. G.